«Les états financiers de la Société de gestion de l’abattoir frigorifique de Ouagadougou (SOGEAO) montrent que l’exploitation de l’entreprise est déficitaire depuis le premier exercice. Ce déficit s’est progressivement aggravé au point de laminer totalement les fonds propres qui sont même devenus négatifs, du fait des pertes successives et, d’autres parts, des fonds de roulement et des besoins en fonds de roulement tous négatifs sur toute la période». Ces informations alarmistes sont tirées d’une présentation de la SOGEAO, faite par Mamoudou Ouédraogo, DG de cette société mixte (Etat: 46,31 % et privé: 53,69 %) créée en 2004 pour reprendre l’exploitation de l’Abattoir frigorifique de Ouagadougou (AFO) après sa privatisation. C’était lors d’un atelier tenu le 20 juin 2017 sur la question de l’organisation de l’abattage en vue de la production de la viande saine à Ouagadougou. Un atelier organisé par la Direction générale du Commerce du ministère en charge du Commerce et ayant réuni des élus locaux, des responsables des services vétérinaires, le ministère de l’Environnement, des experts de l’aviation et de la navigation aérienne et des acteurs de la production de la viande.
Selon le DG de la SOGEAO, le déficit cumulé se chiffre à plus de 1,3 milliard de F CFA au 31 décembre 2016, avec des résultats négatifs de plus de 157 millions de F CFA à la même date. Parmi les raisons qui ont mis la société dans cet état bancal, il y a d’abord «la non-mise en œuvre, par l’Etat, des engagements contenus dans la convention de concession à la SOGEAO». Afin de garantir la rentabilité de l’exploitation de l’AFO, la convention privatisation de 2004 stipule que l’Etat doit mettre l’établissement aux normes internationales de manière à permettre au concessionnaire de remplir les conditions d’exportations de la viande. Il devait également lutter contre les abattages clandestins, la distribution et la commercialisation de viandes foraines dans la commune de Ouagadougou.
Un programme qui passe par une organisation de la profession de boucher, en application des dispositions réglementaires ainsi que le maintien d’une concurrence saine et loyale dans le secteur de l’industrie de la viande. S’il y a eu des initiatives visant à réaliser ces engagements, elles ne sont pas effectives aujourd’hui. Ce qui a engendré une recrudescence des abattages clandestins et la circulation et la commercialisation de viandes foraines dans la commune de Ouagadougou en provenance des communes environnantes, notamment celles de Koubri, de Saaba, Tanghin-Dassouri et de Kinfangué. Même les bouchers régulièrement inscrits pour recevoir les prestations de l’AFO sont dans une tendance de désertion. En 2015, sur un effectif de 304 bouchers inscrits, 121 d’entre eux (soit 40%) n’ont abattu aucun animal au sein de l’établissement. Or, l’AFO, réduit à servir de lieu d’abattage aux bouchers au lieu d’être un puissant producteur de viande ravitaillant les grossistes et autres commerçants du marché, vit uniquement des frais d’abattage payés par les bouchers. Résultat: la SOGEAO enregistre une sous-utilisation de la capacité de son abattoir frigorifique. La capacité théorique actuelle de l’AFO est de plus de 20.000 tonnes de viande par an, alors qu’il n’a produit que moins de la moitié ces dernières années. Entre 2005 et 2015, le taux d’exploitation des équipements est en baisse de 53% à 44%. Quant au taux de couverture de la demande de la ville de Ouagadougou, il est passé de 76 % en 2005 à 58 % en 2015. D’où la perte totale cumulée de plus de 1,3 milliard de F CFA. «Le capital social de la société a été entièrement absorbé, à partir de 2009, par les pertes réalisées», affirme le DG. Déjà, dès à partir de 2007, le capital social a été consommé à plus des 2/3 et de ce fait devrait entrainer soit une recapitalisation ou une dissolution de la société.
Aujourd’hui, le pronostic vital de la société est engagé. «La situation de la SOGEAO est très critique au point qu’il est indispensable de procéder en urgence à la recapitalisation de la société pour éviter sa dissolution», prévient Mamoudou Ouédraogo.
Karim GADIAGA
Quelles solutions pour sa survie?
Parmi les solutions de sauvetage de la société, les avis instruits recommandent de «faire de l’Abattoir frigorifique de Ouagadougou le seul lieu d’abattage des grands animaux (bovins, équins, dromadaires) dans la commune de Ouagadougou». Ce qui se rapproche de la vision contenue dans la convention de privatisation de 2004. Une autre recommandation soutient «la finalisation du recrutement du partenaire technique de référence pour l’exploitation et la gestion de l’AFO dont le dossier serait suffisamment avancé». En rappel, grâce à la prise contrôle de la SOGEAO par un opérateur professionnel, elle deviendra, à l’image de la BRAKINA dans la production la bière burkinabè, la seule qui met la viande sur le marché, par l’intermédiaire de grossistes organisés. Cela suppose que la SOGEAO a les moyens d’acheter, elle-même, les animaux pour produire de la viande de toute variété et en quantité. Elle pourra, grâce à une organisation conséquente de la distribution, ravitailler non seulement le marché national, mais aussi international, notamment la Côte d’Ivoire, où la demande existe. Mais d’ores et déjà, il est recommandé de soumettre aux structures publiques et privées de la restauration, telles que les Universités, l’Armée, les Hôtels, les mines, les restaurants grand standing, de s’approvisionner soit directement auprès de l’AFO ou auprès des bouchers abattants à l’AFO. Il y a également le renforcement des capacités d’intervention de la Brigade de lutte contre les abattages clandestins.
Les abattoirs périphériques: est-ce la solution ?
Quelles solutions face à la recrudescence des abattages clandestins et la circulation, dans des mauvaises conditions, des viandes foraines à Ouagadougou? Des phénomènes qui mettent en péril la santé du consommateur. En effet, près de 60% des maladies de l’homme, connues sous le nom de zoonoses, sont d’origine animale.
Face à tous ces risques cumulés à la désaffection de l’AFO par les bouchers, évoquant, entre autres raisons, la distance, les autorités nationales ont eu l’idée, depuis 2013, de créer des abattoirs périphériques. Il s’agit de parvenir au démantèlement pur et simple des abattoirs anarchiques installés dans les communes rurales limitrophes de Ouaga et qui ne répondent à aucune norme d’hygiène requise pour l’activité.
C’est dans ce sens qu’une étude «pour la mise en place des abattoirs périphériques dans la ville de Ouagadougou» a été engagée depuis 2014. Cette étude suit encore son cours. En attendant sa finalisation, qui se poursuit, cette étude envisage plusieurs abattoirs périphériques dans les arrondissements de Ouagadougou ou dans les communes rurales limitrophes. Ces abattoirs périphériques seront administrés et professionnellement exploités par la SOGEAO. Une logistique conséquente et une organisation appropriée devraient être mises en place pour assurer leur fonctionnement efficace. Les études environnementales devraient être réalisées dans ce sens ainsi que les dispositions sécuritaires face au «péril aviaire (charognards)» qui menace les avions dans les proximités des abattoirs. Des moyens financiers et humains devraient également être dégagés.
Mais déjà, cette vision n’est pas partagée par tous. Bon nombre d’observateurs avisés estiment qu’il faut avoir le courage de réaffirmer la position de l’AFO comme abattoir unique pour Ouagadougou et pour l’exportation.
«Dans des villes très grandes et à fortes populations comme Lagos, Abidjan ou Casablanca, il n’y a qu’un seul abattoir qui ravitaille tous les vendeurs de viande et cela fonctionne bien», fait savoir Mamoudou Ouédraogo, DG de la SOGEAO. Pour lui, on pourrait mettre l’AFO aux normes, recruter le partenaire technique, organiser les bouchers et activer la brigade anti-abattage clandestin.
Nathanaël Ouédraogo, élu municipal de la ville Ouagadougou et troisième adjoint au maire, tout comme le maire de la commune rurale de Tanghin-Dasouri, estime que la production de la viande est une question délicate et de santé qui ne devrait pas suivre les désiderata des bouchers. Pareil pour les services vétérinaires qui estiment qu’on peut toujours réaffirmer le positionnement de l’AFO comme établissement de référence tout en organisant intelligemment le ravitaillement des vendeurs de viande.
Au niveau des responsables de l’aviation, c’est le risque que comporte la multiplication des abattoirs, avec les oiseaux qu’ils attirent qui a été soulevé. Autour des abattoirs, le péril aviaire existe pour les avions. D’ailleurs, l’AFO, dans son emplacement et sa forme actuelle, présente des risques pour l’aéroport de Ouagadougu et celui de Donsin prévu pour 2020. «Un abattoir non couvert attire des vautours, dangereux pour la sécurité des avions en vol, et l’AFO est situé dans le sens de la piste de l’aéroport de Donsin», a prévenu un représentant de l’ASECNA.
Karim GADIAGA