Emmanuel Macron a beau être certain de devenir le prochain président français, il est encore loin de pouvoir appliquer à coup sûr son programme de transformation de la France, consistant à changer une économie statique, rigide et vacillante en une puissance inspirée du modèle scandinave, dans laquelle les acteurs populistes seraient à nouveau relégués en marge de la vie politique.
L’obstacle sur le chemin de Macron n’est autre que l’Assemblée nationale française, dont les députés seront élus au mois de juin. Si une coalition de partis opposés à son mouvement En Marche! venait à
l’emporter et à désigner un Premier ministre, Macron se retrouverait confronté à cette situation que nous appelons en France la cohabitation. Il serait alors relégué à un rôle presque exclusivement honorifique, aux côtés d’un Premier ministre qui exercerait la plupart des pouvoirs exécutifs.
Pour éviter un tel scénario, le mouvement En Marche ! de Macron va devoir passer du statut de force littéralement inexistante à celui de force dominante au parlement. Pour s’y assurer une majorité confortable, et ainsi pouvoir mettre en œuvre son programme, Macron devra rassembler les parlementaires d’autres partis, allant du centre-droit au centre-gauche, au sein d’une coalition autour du mouvement En Marche !
Il s’agirait pour une telle coalition de se concentrer sur un petit nombre de réformes majeures : réforme du marché du travail, réforme fiscale et réforme de l’éducation, que tous les acteurs concernés considèrent comme des priorités pour moderniser l’économie française. C’est pourquoi l’on a parlé d’une «majorité de projet». François Bayrou, centriste du Mouvement démocrate, soutient d’ores et déjà Macron.
D’autres acteurs politiques, issus du centre-droit comme Jean-Louis Borloo ou encore du centre-gauche, patientent également en coulisses, à l’instar de l’ancien Premier ministre socialiste Manuel Valls. Au sein du parti de centre-droit Les Républicains, le président du Conseil régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur Christian Estrosi, ainsi que Benoist Apparu et d’autres personnalités proches d’Alain Juppé, se disent intéressés par une participation au processus de réformes de Macron à l’issue des élections législatives.Si Macron joue intelligemment ses cartes, s’il fait preuve de détermination, mais également s’il décèle et résiste à la tentation de se comporter en nouveau Napoléon, il peut espérer brillamment remplacer la vieille scission politique française gauche-droite par une opposition entre réformistes et conservateurs. S’il y parvient, et se retrouve ainsi en capacité d’appliquer son audacieux programme de réformes, Macron marquera l’histoire et incarnera un espoir pour les progressistes du monde entier.o
Traduit de l’anglais par Martin Morel
Copyright: Project Syndicate, 2017.
www.project-syndicate.org
La solution scandinave de Macron pour la France – Par Philippe Aghion
La campagne présidentielle a révélé une frustration et une colère grandissantes parmi le peuple français. Si Macron échoue à répondre aux plaintes de la population, la menace populiste sera vouée à progresser.
Le programme de Macron est pour le moins audacieux. L’objectif consiste à ranimer une économie française moribonde, en transformant le modèle de croissance du pays. Mais il ne s’agit pas d’un programme de pur libéralisme économique; Macron puise en effet ses solutions du côté des pays scandinaves.
Si le modèle scandinave plaît à Macron, c’est parce qu’il associe un haut niveau de flexibilité du marché du travail à une démarche d’encouragement de l’innovation, ainsi qu’à un haut degré de protection sociale. C’est précisément ce filet de sécurité universelle qui a permis aux pays scandinaves de s’adapter aux pressions de la mondialisation, et de distancer plusieurs pays développés comme la France sur le terrain de la plupart des indicateurs de performance économique. Le marché du travail français est connu pour sa rigidité. Les travailleurs français redoutent de perdre leur emploi dans la mesure où ils ne peuvent dans une telle situation espérer ni formation de qualité ni compensation adéquate.
C’est pourquoi l’une des premières mesures de Macron consistera à étendre la protection sociale à plusieurs catégories jusqu’à présent exclues, telles que les travailleurs indépendants, ainsi qu’à rebâtir la formation professionnelle. Le projet de Macron consistant à renforcer l’efficacité du marché du travail ne s’arrête pas là.
Macron entend également œuvrer pour que les négociations collectives s’effectuent directement à l’échelle de l’entreprise, plutôt qu’au niveau national. Parmi les autres objectifs clés figurent plusieurs réformes de l’éducation visant à assurer mobilité sociale et égalité des chances, ainsi qu’un système plus flexible en matière de retraites, dans la mesure où les individus changent désormais fréquemment d’emploi et de secteur.
Les démarches de Macron visant à encourager l’innovation se fondent sur la réforme fiscale. Elles consistent à exempter d’impôt annuel sur la fortune les actifs financiers, à faire passer de 33% à 25 % le taux d’imposition des sociétés, et à imposer les revenus du capital des particuliers via un prélèvement forfaitaire de 30 %, le tout se rapprochant ainsi du système suédois.
Ce programme devrait contribuer à réduire le chômage ainsi qu’à promouvoir une croissance plus forte et plus inclusive, atténuant ainsi la frustration et la colère montantes de la population française. Mais Macron devra avant tout faire accepter ses mesures par le parlement français. o
Traduit de l’anglais par Martin Morel
Copyright: Project Syndicate, 2017.
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