Le débat sur le F CFA est reparti de plus belle. Cette fois, sous forme d’une campagne à travers le continent. La plupart des capitales africaines qui partagent cette monnaie commune ont abrité des conférences publiques sur l’épineuse question du maintien ou pas du F CFA et de sa liaison avec la Trésor français. A Ouagadougou, c’est le CAR (Citoyens africains pour la renaissance) qui a piloté cette manifestation contre le F CFA. Abdoulaye Syri, économiste – chercheur à l’université Ouaga 2 et doctorant au Laboratoire d’analyse de politiques économiques, était l’animateur de la conférence. Il revient sur la problématique du décrochage et surtout les conditions dans lesquelles il pourrait s’opérer.
– L’Economiste du Faso : Quel était l’objectif de cette conférence ?
Abdoulaye Syri, économiste: J’ai été sollicité par le mouvement CAR pour donner une conférence pour éclairer l’opinion publique sur le F CFA et le développement. Cette conférence se tenait concomitamment dans d’autres pays sur le continent. La question c’est de savoir si on se sépare ou non du F CFA. Il ne s’agissait pas de dire qu’on est pour ou contre le F CFA, nous sommes des chercheurs et nous nous devons de problématiser.
Les économistes problématisent la question: est-ce la fixité du taux de change avec l’Euro qui pénalise le développement de nos économies où est-ce qu’il faut rompre pour espérer avoir des impacts directs? Il y a plusieurs positions sur le sujet au niveau des chercheurs. Il y a aussi la population qui prend de plus en plus conscience, les ONG et la société civile aussi se sont saisies de la question, car elles ont compris que le Franc peut être un outil de développement et critiquent la gestion de la BCEAO. Ses détracteurs estiment que la Banque, actuellement, ne s’occupe pas de développement, elle s’occupe plutôt de lutter contre l’inflation, la stabilité des prix… Les questions de développement ne l’intéressent pas. D’où l’interrogation: est-ce un problème de gestion ? Faut-il rompre les liens avec la métropole, dévaluer, pour ceux qui pensent que le CFA est surévalué, tendre vers une nouvelle monnaie et avec quel régime de change ?
– Des chefs d’Etat commencent à joindre leurs voix à la thèse du décrochage?
Oui, les politiques commencent également à s’intéresser au débat, notamment Idriss Deby du Tchad qui appelle à réviser les accords de coopération monétaire. Voilà en gros la problématique. On réfléchit sur la souveraineté monétaire, l’indépendance monétaire et financière, avec toujours en filigrane est-ce que cela aura les effets escomptés sur le développement ?
– Du point de vue des chercheurs, quelle en est la réponse?
A l’expérience, on peut répondre par oui et par non. Un pays comme la Guinée bat sa monnaie, mais n’est pas le meilleur en matière de développement malgré ses richesses, et un pays comme le Ghana réussit plus ou moins à se maintenir avec la rigueur qu’on reconnait aux anglophones. On a tendance alors à dire que tout se résume à la question de gestion, en un mot, de gouvernance. L’exemple des réserves de change est illustratif. La marge actuelle est de 50%, mais les gestionnaires ont souvent réussi des taux de couverture qui vont au-delà.
– Quelles sont les alternatives qui se présentent, parce que la pression se fait forte de la part des «anti CFA» ?
Au regard des mouvements en cours, la révision des accords de coopération monétaire et financière est, me semble-t-il, un passage obligé, comme en 1973 qui a vu le transfert du siège de la BCEAO à Dakar au Sénégal. Le F CFA demeurera dans ce cas.
La dévaluation aussi n’est pas exclue. Mais par définition, personne ne peut dire quand. Les échéances d’une dévaluation, en principe, ne doivent pas être divulguées, sinon que la dévaluation n’aura pas les effets escomptés. L’autre scénario est d’aller directement à la monnaie commune de la CEDEAO avec l’ECO. Le problème qu’il faudra gérer parallèlement, c’est de voir comment les Etats de l’Afrique centrale qui ont en partage le F CFA (Franc de la Coopération Financière d’Afrique) vont s’organiser, n’étant pas de cette zone économique.
– Les antis FCFA comptent sur le rapatriement des réserves extérieures pour booster le développement. Est-ce la solution à nos problèmes ?
Le rapatriement des fonds qui constituent la réserve de la BCEAO au trésor de France est en débat. A-t-on un tissu de production assez étoffé pour absorber toute cette masse en cas de rapatriement pour les faire fructifier ? Le combat pour une monnaie africaine est noble. L’autre combat, c’est celui de la rigueur économique pour développer notre tissu économique. Nous avons confié notre argent au Trésor français, avec cette particularité que si on a besoin de cet argent, on n’en a pas accès. Ces réserves sont placées à un taux qui nous rapporte de l’argent certes, ce qui n’est pas le cas d’un banquier classique chez lequel on peut disposer et affecter nos ressources selon nos besoins.
Ces réserves sont en place pour servir de garanties pour nos échanges avec l’Europe et le reste du monde. Aujourd’hui, cela parait désuet parce qu’une bonne partie de nos échanges se fait de plus en plus avec l’Asie et de moins en moins avec l’Union européenne. Le principe de cette réserve qui sert de garantie n’est plus pertinent et pourrait être utile à autre chose. Notamment à financer notre propre développement. Mais il est certain que même rapatriées, une bonne partie des garanties devra être conservée en termes de devises étrangères pour assurer nos échanges avec le reste du monde. Les réserves obligatoires déposées par les deux banques centrales dans les comptes du Trésor français sont estimées à plus de 8.000 milliards de FCFA en 2015 ; soit pour l’UEMOA environ plus de 5.000 milliards et environ plus de 3.000 milliards pour l’Afrique centrale. Certains économistes pourraient avoir raison sur la gestion effective de cette réserve. On a par exemple l’économiste Kako Nubukpo, ancien ministre togolais de la prospective, qui juge urgent de revoir la parité fixe entre le F CFA et l’Euro parce qu’il freine le développement de l’Afrique. Il a publié en 2011 un ouvrage aux éditions Karthala sous le titre «Improvisation économique en Afrique de l’Ouest: Du coton au F CFA?» et un autre en collectif intitulé «Sortir l’Afrique de la servitude monétaire. A qui profite le F CFA», paru dans les éditions La Dispute, où il dénonce l’attitude de la BCEAO. Il y a un autre livre collectif sur «Développement endogène de l’Afrique et mondialisation: une relecture de la pensée du professeur Joseph Ki-Zerbo», dont je suis co-auteur, dans lequel on réfléchit sur un nouveau modèle de développement qui s’appuie sur des circuits de production et de distribution solides.
Entretien réalisé par Abdoulaye TAO
Abdoulaye Siry, co-auteur
Abdoulaye SIRY est Co–auteur de l’ouvrage «Développement endogène de l’Afrique et mondialisation: une relecture de la pensée du professeur Joseph KI-Zerbo», sous la coordination des Pr Fernand Sanou et Pr Alain Joseph Sissao. Le livre est édité par la Presse Universitaire de Ouagadougou et la fondation Joseph KI-Zerbo. Il a aussi contribué ainsi qu’une soixantaine de chercheurs à l’œuvre: «Le financement du développement endogène en Afrique subsaharienne» pages 495 à 517.