Les organisations paysannes regroupées au sein de la CPF et du ROPPA et leurs partenaires de la société civile ont organisé un atelier régional de partage d’expériences et de réflexions sur les pôles de croissance, à Ouagadougou, du 15 au 17 décembre 2016. Au cœur des échanges, l’avenir des petits producteurs dans le cadre de la mise en œuvre de l’approche pôle de croissance en lien avec l’exploitation familiale, la sécurité foncière et alimentaire a été la préoccupation des participants.
Les organisations paysannes, au terme de leurs échanges, sont arrivées au constat que la nouvelle approche de développement de l’agriculture par les pôles de croissance ne prend pas correctement en compte les petits producteurs et surtout l’exploitation familiale sur laquelle repose la sécurité alimentaire, voire la souveraineté alimentaire des pays.
Elles ont donc voulu donner l’alerte afin d’attirer l’attention des décideurs sur les «impacts avérés et les risques potentiels» liés à cette nouvelle approche.
Il s’agit, entre autres, de l’accaparement des terres avec son corollaire d’insécurité foncière, l’aggravation de l’insécurité alimentaire et nutritionnelle liée à la déconnexion des productions réalisées sur les pôles de croissance avec les marchés locaux et les systèmes alimentaires locaux, la naissance de conflits entre investisseurs et populations locales, l’aggravation des tensions agriculteurs /éleveurs…
Pour Bassiaka Dao, président de la CPF, hôte de l’atelier, il ne s’agit pas de rejeter le concept «pôle de croissance, mais plutôt de voir dans la mise en œuvre des expériences-pays comment celles-ci peuvent respecter les intérêts de l’agriculture familiale et lui être profitable, elle qui occupe près de 80% de la population. Depuis une dizaine d’années, l’approche pôle de croissance est mise en œuvre dans certains pays dont le Burkina, soutenue par les institutions de Brettons Woods dont la Banque mondiale. Et les paysans sont sceptiques», le niveau d’investissement ne créera pas forcement de la croissance partagée et de l’inclusion. Le concept de pôles de croissance est orienté vers les exportations par les facilitations d’investissement massif du secteur privé, avec aux passages des exonérations fiscales. Toute chose dont ne bénéficient pas les petits exploitants agricoles pour développer leurs capacités. C’est ce que les OP appelle «une agriculture à deux vitesses qui favorise les investissements des entreprises nationales et des multinationales au détriment de ceux des exploitations familiales». Et pourtant, martèlent-elles, «d’après la FAO, ce sont ces exploitations familiales qui réalisent au moins 80% des investissements agricoles de la sous-région et fournissent 70% des denrées alimentaires disponibles sur les marché domestiques». Pour le secrétaire exécutif du Roppa, Ousseni Ouédraogo, la crise de 2007 /2008 a montré que les agriculteurs familiaux, s’ils sont convenablement soutenus, peuvent réaliser des exploits. Au Burkina, les appuis conséquents n’ont-ils pas permis de doubler la production de riz en une campagne? Questionne-t-il.
Pour lui, il est possible de faire cette jonction entre la production de l’agriculture familiale et le marché.
Les organisations paysannes comme le Roppa et la CPF qui font de l’agriculture familiale la base du développement des économies africaines estiment que ces pôles de croissances ne sont pas encore profitables à l’agriculture familiale, d’où la déclaration de Ouagadougou qui interpelle les gouvernements africains et les organisations communautaires sur la nécessité et l’urgence de réviser les orientations actuelles des politiques défendant les pôles de croissance. De plus, les pôles de croissance semblent remettre en cause les acquis engrangés dans le cadre de la politiques agricole commune de la Cedeao et le processus du programme.
Les organisateurs de la rencontre de Ouagadougou émettent des craintes à deux niveaux. Il s’agit premièrement de la marginalisation des exploitations familiales et des petits producteurs affectés par les projets. Leur réinstallation et les indemnisations qui s’en suivent ne sont pas toujours à la hauteur des compensations attendues, ainsi que leur intégration réelle à la dynamique des pôles de croissance.
Le gouvernement du Burkina Faso qui fait office de pionnier en Afrique de l’Ouest a été invité à prendre un certain nombre de dispositions à cet effet. Il s’agit, entre autres, de s’assurer du respect des droits fondamentaux des populations affectées par le projet Bagrépôle et les autres pôles de croissance tels que ceux du Sourou et Samendeni; de mettre un terme aux exemptions fiscales, tarifaires et douanières accordées aux entreprises investissant sur les pôles de croissance, en vue de générer des revenus pour l’Etat, et les conditions nécessaires à la redistribution des richesses créées.
FW
Les exhortations des organisation paysannes
A l’issue de l’atelier d’Ouagadougou, une déclaration a été lue. Ses auteurs y demande de réviser les orientations actuelles des pôles de croissance. Elle s’adresse à plusieurs acteurs dont le gouvernement et les organisations régionales que sont l’Uemoa et la Cedeao.
Aux gouvernements africains CEDEAO/UEMOA
- Respecter les engagements de Malabo
- Accroitre les investissements publics en faveur du développement, en ciblant les priorités de l’agriculture familiale, les pratiques agro-écologiques et le développement des périmètres irrigués destinés aux exploitations agricoles
- Renoncer au développement des pôles de croissance qui favorisent l’agrobusiness au détriment de l’agriculture familiale, en particulier grâce aux exemptions fiscales, tarifaires et douanières
CEDEAO/UEMOA
- Ouvrir le dialogue avec les OP et les OSC pour revoir les axes du PRIA-SAN et le PCD-TASAN en lien avec la promotion des pôles de croissance
- Exécuter les axes prioritaires du PRIA-SAN et le PCD-TASAN conformément aux engagements pris avec les OP et les OSC
- Exécuter la réforme du TEC afin de l’adapter aux réalités socio-économiques
- Associer les OP et les OSC aux différentes études de capitalisation sur les pôles de croissance