Dans le Sud-Ouest du Burkina Faso, la production de céréales est élevée et la région a un fort potentiel agricole. Pour autant, les producteurs font face à de nombreux problèmes de liquidité qui apparaissent à des moments clés de l’année. Les ménages s’endettent alors pour les frais d’inscription à l’école, les frais de santé, les cérémonies familiales et autres. Les observations montrent que dans cette région agricole, les producteurs s’endettent même pour investir dans de la nourriture en période de soudure ou dans les intrants agricoles nécessaires à leur production.
Afin de pallier cette situation, les organisations paysannes s’attellent depuis quelques années à proposer un outil financier original appelé warrantage. Le principe du warrantage est simple : c’est un système de stockage-crédit qui consiste, pour une organisation paysanne ou ses membres, à déposer tout ou partie de sa production dans des magasins sécurisés pendant plusieurs mois, au moment de la récolte lorsque les prix sont bas. Le producteur peut en outre, s’il le souhaite, bénéficier d’un crédit d’un montant équivalent à 80% de la valeur entreposée.
Après environ six mois, lorsque les prix sont plus élevés, le paysan récupère sa récolte et rembourse son crédit si besoin, éventuellement en vendant une partie de sa récolte. Le warrantage constitue donc pour le producteur un système fiable lui permettant d’améliorer ses revenus en tirant profit de l’augmentation des prix des produits agricoles au cours des mois suivant la récolte et de répondre à ses besoins de liquidité au moment de la récolte et pendant la saison sèche.
Trois grandes unions coopératives paysannes et leurs partenaires ont organisé un système de warrantage en 2007 dans le cadre d’un projet de coopération et se sont ensuite autonomisés en devenant la coopérative agricole COPSA-C. En 2014, Innovations for Poverty Action et une équipe de recherche d’IFPRI menée par Susan Godlonton et moi-même, avons conduit, en partenariat avec la COPSA-C, une étude mesurant l’impact du warrantage sur les revenus, la consommation, ainsi que les décisions agricoles et les investissements des producteurs de deux provinces du Sud-Ouest du Burkina Faso (Tuy et Ioba).
Afin de mesurer rigoureusement l’impact du programme dans 40 villages, nous avons segmenté les producteurs intéressés au warrantage en deux groupes par le biais d’une loterie publique: les uns pouvant bénéficier du programme, les autres n’en bénéficiant pas. Les bénéficiaires ont été invités à stocker leur production dans un entrepôt entre les mois de janvier et juin et à souscrire à un crédit représentant 80% de la valeur stockée. La constitution des groupes par tirage au sort est le fondement des essais contrôlés aléatoires, méthode d’évaluation des politiques publiques la plus rigoureuse actuellement. Elle permet d’obtenir deux groupes identiques en tous points, à l’exception de l’accès au warrantage, et donc d’attribuer toute différence finale entre ces groupes à l’accès au warrantage.
On observe tout d’abord que les producteurs ont stocké principalement du maïs, du sorgho et du riz. Parmi eux, 39% des producteurs ont choisi de souscrire à des crédits, qui ont tous été remboursés. Cela montre un premier résultat : six paysans sur dix acceptent de réduire leur consommation immédiate, en ne faisant pas recours au crédit, pour accroître leur rentabilité et leur consommation pendant la saison sèche.
Deuxièmement, et c’est un résultat majeur de cette étude, les ménages ayant eu accès au warrantage ont en moyenne dépensé près de 15.000 FCFA de plus que les ménages du groupe de comparaison, au cours de l’année. Les dépenses supplémentaires induites par le warrantage se font principalement dans l’éducation et dans les effets personnels. Les producteurs bénéficiant du warrantage ont ainsi plus que doublé les montants dépensés dans l’éducation de leurs enfants par rapport au groupe de comparaison.
Un autre résultat notable est que le système de warrantage a également doublé le niveau de dépenses dans tous les intrants agricoles – semences, engrais, main-d’œuvre, équipement. Le programme a aussi eu un impact positif sur la sécurité alimentaire, impact cependant éphémère puisqu’il n’a duré que deux mois après la récolte.
Enfin, le warrantage a permis aux agriculteurs de diversifier leurs revenus en achetant du bétail pour l’élevage. Effectivement, la valeur totale du bétail acheté par les ménages bénéficiaires du warrantage a augmenté de près de 25 %.
Ainsi, cette étude apporte la preuve claire et rigoureuse que le warrantage est un outil précieux pour l’augmentation et la diversification des revenus des producteurs à travers l’investissement agricole et l’élevage. Il est donc primordial d’encourager la politique actuellement en cours d’élaboration au Burkina Faso, visant à favoriser la pratique du warrantage par les organisations paysannes.
Mais cette étude révèle aussi que les bénéfices du warrantage vont au-delà de ceux anticipés et sont spectaculaires dans le domaine de l’éducation. Ce nouveau savoir est particulièrement utile lorsque l’on connaît les dividendes de l’éducation en termes de croissance économique et de bien-être et nous donne à nouveau la preuve que la recherche est indispensable pour saisir tous les enjeux des politiques publiques et mieux les accompagner.
Par Clara Delavallade