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Assurance récolte indicielle : Un programme peut en cacher un autre !

«La superficie totale des terres arables du continent africain dépasse celle de l’Europe occidentale, des Etats-Unis, de la Chine et de l’Inde réunis. Et pourtant, la production agricole de l’Afrique est inférieure à celle de tout autre continent […] et près d’un tiers de la population africaine souffre de malnutrition», déclarait Kofi Annan lors d’une interview avec l’hebdomadaire égyptien Al-Ahram en 20101.
Les investissements agricoles, notamment en main-d’œuvre, en technologies, en engrais et en semences, augmentent considérablement les récoltes. Pourtant, dans de nombreux pays africains, les taux d’investissement des petits agriculteurs restent encore très faibles.
Au Ghana, par exemple, une enquête a montré que le fermier moyen n’utilise que 7,4 kg d’engrais par hectare, soit treize fois moins que le même fermier typique d’Asie du Sud. Or, au nord du Ghana, le climat est caractérisé par une unique et courte saison des pluies, avec de fortes variations en précipitations selon les années, induisant un risque élevé pour les fermiers dont les terres sont principalement alimentées par les pluies. Ce faible investissement est-il dû uniquement à la peur des risques climatiques imprédictibles, ou bien y a-t-il d’autres freins, tels qu’un manque de capital? Quelles sont les solutions les plus efficaces pour augmenter les investissements agricoles et, ainsi, lutter contre la faim ?

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Notre équipe de chercheurs2 a tenté de comprendre quelles étaient les raisons de ce sous-investissement. Nous avons suivi 1.250 fermiers, qui avaient été repartis par tirage au sort en cinq groupes : le premier et le deuxième groupes ont bénéficié d’une assurance pour pallier les risques climatiques (une assurance indicielle), gratuitement ou à différents prix.
Les agriculteurs ayant contracté cette assurance étaient indemnisés lorsque le taux de précipitations était trop élevé ou trop faible, selon des critères préétablis.Le troisième groupe a reçu une aide financière pour acheter des intrants agricoles, tels que semences ou engrais, et le quatrième groupe a bénéficié à la fois de l’assurance et de l’aide financière. Pour le dernier groupe, les conditions habituelles sont restées inchangées, constituant ainsi un point de comparaison.
Les résultats, au bout d’un an, suggèrent que c’est la crainte de devoir faire face à une mauvaise récolte qui freine l’investissement des agriculteurs et non un manque de capital.
Les agriculteurs qui avaient contracté une assurance, mais qui n’avaient pas reçu d’aide financière, ont investi davantage dans leurs activités agricoles, pour acheter des engrais et cultiver plus de terres. Ainsi, le simple fait de diminuer la contrainte du risque a permis aux agriculteurs de réunir les ressources nécessaires pour investir et augmenter leur production. Cependant, même si les récoltes ont été meilleures grâce aux investissements, les bénéfices n’ont pas augmenté de manière significative.
Par ailleurs, nous avons constaté que le taux de souscription à l’assurance dépend fortement du prix auquel elle est vendue. Seuls deux agriculteurs sur dix ont acheté l’assurance au prix du marché, alors que le taux de souscription était de 40 à 50% lorsqu’elle était proposée à un prix réduit (inférieur d’un tiers au prix du marché, et ne couvrant pas les coûts administratifs de l’assureur).
Nous avons aussi observé que les agriculteurs ont davantage souscrit cette assurance lorsqu’ils (ou quelqu’un de leur entourage) avaient reçu une indemnisation l’année précédente. Il apparaît donc que la confiance est un facteur important pour augmenter les taux d’adoption d’assurances.
Sur la base de ces résultats, des compagnies d’assurance opérant au Ghana ont commencé à développer des systèmes pour faire baisser leurs coûts et pour augmenter la couverture de leurs produits, notamment grâce au système bancaire par téléphonie mobile offrant des services à prix réduits et en adoptant une meilleure qualité des données sur les précipitations par l’utilisation d’informations satellites. Ceci marque une première avancée dans la pertinence de nos recherches et leur utilisation par les décideurs publics et privés.
Cependant, l’assurance n’a pas suffi à améliorer les bénéfices des fermiers. D’autres facteurs, comme l’accès aux bons intrants agricoles, le manque d’argent pour acheter ces intrants au moment opportun ou encore la capacité de s’en servir correctement ont pu affecter les gains tirés des récoltes. C’est ainsi que nous avons lancé une deuxième étude en 20143. Nous avons alors cherché à apporter, en plus de l’assurance récolte indicielle, une formation personnalisée aux techniques agricoles et un accès à des intrants plus divers, disponibles à plusieurs moments de l’année et avec la possibilité de se faire livrer avant le début de la saison des plantations.Cette étude est en cours et les résultats seront disponibles en 2017.
Cela fait donc plus de 7 ans que nous continuons à chercher à améliorer l’investissement agricole au Ghana. Chaque résultat fait ressortir des nouvelles possibilités d’innovations et permet d’influencer les politiques publiques. Nous travaillons directement avec le ministère de l’Agriculture, et avec le Programme d’Assurance Agricole au Ghana (GAIP) qui cherche notamment à développer de nouveaux indicateurs d’assurance tels que les volumes de récoltes, le vent, ou encore la perte d’options d’investissement. Il est probable que de tels produits aient des impacts similaires à l’assurance récolte indicielle.
Nous espérons que nos recherches et expérimentations en investissements agricoles permettront de faire reculer l’insécurité alimentaire et la faim. Dans la sous-région, les dérèglements climatiques importants subis depuis plusieurs années et notamment la désertification de la zone sahélienne rendent ces questions de plus en plus urgentes.

Par Christopher Udry


1) http://www.kofiannanfoundation.org/in-the-news/la-revolution-verte-est-en-marche-en-afrique/
2) Dean Karlan (Université de Yale), Robert Osei et Isaac OseiAkoto (Université du Ghana)
3) Dean Karlan (Université de Yale), Mathias Fosu (Savanna Agricultural Research Institute) et ShashidaraKolavalli (International Food Policy Research Institute)

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