La traque au quartier Kilwin de l’arrondissement 3 de Ouagadougou d’un Burkinabè présumé recruteur de terroristes relance le débat sur l’existence du radicalisme au Burkina. Une étude réalisée par les chercheurs burkinabè Augustin Loada et américain Peter Romaniuk avait pointé du doigt la pauvreté comme source de motivation d’engagement dans les rangs des groupes terroristes.
«Le samedi 22 octobre, dans l’après-midi, des populations de Yagma nous ont fait comprendre qu’il y a des tentatives de recrutements de jeunes pour être formés au-delà de notre frontière. Ces recrutements avaient pour but de faire des formations pour revenir s’en prendre à nos forces de défense et de sécurité. Nous avons donc essayé de suivre les traces et de pouvoir remonter l’information afin de mettre la main sur ceux qui viennent effectuer ces recrutements. Ce qui nous a donc conduits à plusieurs domiciles et nous avons débusqué le lièvre que nous avons poursuivi jusque-là. Nos hommes ont essuyé des tirs, mais ont riposté ». Le récit est fait par le directeur général de la police nationale, le contrôleur général de police Lazare Tarpaga. Quelques heures plutôt, un assaillant de nationalité burkinabè a été abattu par ses hommes pour avoir, dit-on, recruté des jeunes pour des formations à des fins terroristes.
Après l’arrestation au Mali de Boubacar Sawadogo, présumé cerveau de l’attaque de la brigade de gendarmerie de Samorogouan dans les Hauts-Bassins en 2015, c’est la deuxième fois qu’un burkinabè est clairement cité parmi des terroristes. Depuis, les Burkinabè s’interrogent. Habitué à voir des terroristes d’autres pays, le Burkina compte désormais des apprentis terroristes dans ses rangs. Avec cette action au quartier Kilwin, à l’arrondissement de 3 de Ouagadougou, l’idée que des Burkinabè alimentent les filières terroristes à l’intérieur du pays suscite des inquiétudes. Cette tentative de recrutements de jeunes pour aller au front du terrorisme est une autre démonstration de la montée du terrorisme au faso. Quelle est aujourd’hui l’ampleur de l’extrémisme violent au Burkina Faso? Quelles sont les origines de l’extrémisme violent ou ses sources probables? Voilà, entre autres, les questions auxquelles ont tenté de répondre les chercheurs burkinabè Augustin Loada et américain Peter Romaniuk à travers une étude sur la « Prévention de l’extrémisme violent au Burkina Faso: vers une résilience nationale dans un contexte d’insécurité régionale». Mais selon un officier de gendarmerie, il n’y a pas péril en la demeure pour l’instant, puisque selon lui le Burkina ne présente pas le même profil islamique que les autres pays et qui puisse conduire à la radicalisation. «Notre chance est qu’il n’y a pas de base idéologique qui puisse constituer le lit du terrorisme au Burkina. Jusqu’à présent, les terroristes n’ont pas réussi à installer une qatiba ici comme le projetait Boubacar Sawadogo. C’est un islam tolérant que les gens pratiquent de façon générale au Burkina», analyse notre source. Pour autant, s’il n’y a pas de base idéologique qui puisse conduire au radicalisme, il ne faut pas vite se frotter les mains. D’autres facteurs peuvent conduire des Burkinabè à répondre aux sirènes des terroristes. Dans «Prévention de l’extrémisme violent au Burkina Faso: vers une résilience nationale dans un contexte d’insécurité régionale» publié en juin 2014 par les chercheurs Loada et Romaniuk, les facteurs incitatifs et attractifs à l’extrémisme violent ont été épluchés. Après une recherche documentaire, des entretiens, des réunions de groupes de discussions rassemblant une large diversité d’acteurs dans cinq villes du pays (Ouagadougou, Bobo-Dioulasso, Fada N’Gourma, Ouahigouya et Dori), les chercheurs ont abouti à la conclusion que le Burkina Faso était vulnérable à la menace de l’extrémisme violent. Une vulnérabilité due selon les chercheurs à la prévalence de conditions structurelles, ou ce qu’ils ont appelé des «facteurs incitatifs». «Ces facteurs alimentent le risque d’extrémisme violent dans le pays. Il s’agit de facteurs politiques tels que la corruption endémique et l’impunité des élites; de facteurs sociaux liés aux frustrations face aux attentes, au relatif dénuement et aux besoins sociaux et économiques non satisfaits et de facteurs culturels, y compris religieux», lit-on dans le rapport de l’étude financée par le ministère des Affaires étrangères du Danemark.
Mais, nuancent les chercheurs, malgré la présence de ces facteurs incitatifs, il n’a été trouvé que peu de traces d’extrémisme à l’échelon individuel ou de groupes. A contrario, sur les «facteurs d’attraction» résultant des retombées de la violence extrémiste à l’échelon régional, de la radicalisation des individus ou des groupes au niveau national et de la présence d’extrémistes étrangers venus d’autres régions, quelques cas de participation burkinabè à des activités extrémistes, même s’il s’agissait d’incidents isolés, ont été trouvés. «Les quelques preuves d’implication burkinabè dans des activités extrémistes que nous avons repérées semblent indiquer que cette implication résulte d’initiatives de recrutement organisées par des groupes extrémistes régionaux bien établis, mais nous ne pouvons affirmer qu’il s’agit là d’une véritable tendance», expliquent Augustin Loada et Peter Romaniuk. Mais l’étude a relevé que suite à l’escalade du conflit au Mali, quelques Touaregs aux ressources conséquentes ont commencé à faire leur apparition dans des villes comme Dori et ont attiré l’attention de certains locaux, avec des opinions religieuses extrêmement conservatrices. Les chercheurs burkinabè et américain mentionnent aussi qu’ils ont durant l’étude disposé de preuves de la tentative de Boko Haram de collecter des fonds et d’acquérir des armes au Burkina Faso.
Sur le terrain du recrutement, à Ouahigouya, une personne interrogée était au courant des activités de recrutement du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest lors desquelles 300.000 francs CFA ont été offerts en échange d’un engagement au combat. L’individu a accepté cette offre pour des raisons économiques et était parti au combat. Il était revenu dans son village et avait utilisé l’argent pour ouvrir une petite affaire. «À aucun moment, il n’a été suggéré que cet individu ou d’autres, approchés de la même façon, avaient des motivations idéologiques», précisent les chercheurs.
Fréderic Cissé
Les causes possibles
Les conditions structurelles favorisant le risque d’extrémisme violent sont prévalentes dans le pays. Ce sont à la fois des conditions économiques, surtout la pauvreté, le sous-développement et le chômage, et des facteurs politiques liés à la corruption, l’impunité et la mauvaise gouvernance. Lors de nos entretiens aux quatre coins du pays, nous avons noté un mécontentement étendu et profond à l’égard des conditions économiques et politiques du Burkina Faso, qui alimente une variété de griefs spécifiques en relation, par exemple, avec l’éducation, ainsi que la prévalence de clivages sociaux liés à certaines tensions inter et intracommunautaires, à des conflits entre fermiers et bergers ou à des litiges fonciers, notamment concernant des mines. « Ceux qui connaissent le chemin vers l’extrémisme ont souligné que les gens pauvres et désespérés qui ont perdu confiance en la capacité de l’État à améliorer leur situation ou à faire en sorte que justice soit faite ont peu à perdre en acceptant de s’engager dans un conflit moyennant une rémunération, même s’ils sont partagés sur la cause pour laquelle ils se battent apparemment», lit-on dans le rapport. Répondre donc aux attentes socio-économiques des populations et améliorer la gouvernance constituent des éléments de prévention du terrorisme.