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ONATEL/Douanes: problème d’information ou de fraude ?

 

Soupçons de fraude douanière à l’ONATEL. C’est l’affaire qui défraie la chronique sur le plan économique. Dans notre parution de la semaine dernière, nous en parlions sur la base de l’appréciation que le Réseau national de lutte contre la corruption (RENLAC) fait de cette affaire qui a éclaté en novembre 2014. Selon le RENLAC, la société de téléphonie «n’a pas payé des droits et des taxes portant sur un certain nombre de ses équipements durant une certaine période». Pour cela, il interpelle le gouvernement sur, non seulement, le recouvrement de ces droits et taxes, mais aussi les pénalités qui accompagnent une telle «faute» qu’il identifie à de la fraude. La valeur de l’ensemble des équipements s’élève à 34,77 milliards de F CFA. Pour le RENLAC, les droits et taxes équivalent à ce montant s’élèvent à un peu plus de 11 milliards. Pour obtenir ce montant, il faut considérer que l’entreprise est classée dans la Catégorie 2 du Tarif des Douanes et alors faire l’opération 34,77 milliards X 34%. Quant au montant de la pénalité, la réglementation dit qu’il équivaut au double de la valeur des biens concernés.

Pour la Douane, il manque dans le dossier l’acte autorisant la «cession» des équipements. (DR)
Pour la Douane, il manque dans le dossier l’acte autorisant la «cession» des équipements. (DR)

Mais la question est d’abord de savoir s’il y a eu fraude de la part de l’ONATEL. Le RENLAC pense que oui. L’ONG se base surtout sur un PV de constat de cette fraude dressé par la Direction générale des Douanes le 20 mai 2015 et transmis à l’ONATEL, d’abord par courrier électronique le 2 juin 2015, puis sur support papier le 5 juin suivant.
Du côté de la société de téléphonie, on rejette totalement l’existence de la fraude. Dans un récent communiqué, en date du 17 octobre 2016, et en réaction à la déclaration du RENLAC sur la situation, l’ONATEL «dément avec la plus grande fermeté des accusations fantaisistes». La société dénonce une campagne qui vise à la couvrir d’opprobre dans les médias.

A l’ONATEL, on rejette toute intention de fraude. (DR)
A l’ONATEL, on rejette toute intention de fraude. (DR)

Par ailleurs, l’ONATEL a tenu à «rappeler que les avantages accordés à sa branche TELMOB depuis 2002 en tant qu’établissement public, puis directement à TELMOB SA et à l’ONATEL SA, loin d’être des privilèges, sont strictement conformes au Code des investissements (Loi) depuis 1995 visant à encourager les investissements.
Le décret fixant les conditions d’application de cette loi dispose, entre autres, qu’en cas de changement de forme juridique, n’emportant pas de changement de l’objet agréé de l’entreprise, le régime fiscal privilégié est maintenu ». C’est précisément l’article 30 du décret d’application du Code des investissements qui indique le maintien du régime fiscal privilégié. C’est cette disposition qui a donc été appliquée dans le cadre de la « fusion-absorption » de TELMOB par l’ONATEL, intervenue en décembre 2011.

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Suivant cette logique, l’ONATEL estime que toutes les opérations douanières relatives à TELMOB (à présent sous tutelle juridique de l’ONATEL) doivent continuer à bénéficier des avantages qui avaient été accordés à TELMOB SA. C’est aussi l’avis de la Commission nationale des investissements (CNI), structure composée des représentants de plusieurs ministères et de services stratégiques dont Direction générale des Douanes. Selon le Code des investissements et son décret d’application du 22 octobre 2010, c’est la CNI qui « est chargée d’étudier les dossiers de demande d’agrément à l’un des régimes privilégiés prévus par le Code des investissements ».
Lorsque l’affaire des dédouanements de l’ONATEL a été soulevée par l’ancien DG des Douanes, Sylvestre Sam, dans une lettre en date du 11 novembre 2014 adressée à l’ONATEL, la CNI a été sollicitée pour clarifier la situation. A travers deux correspondances, en guise de réponse, la CNI a confirmé que les dédouanements de TELMOB, à la suite de la fusion-absorption, continuaient à bénéficier du régime d’avantages antérieurs. Ce régime, c’est la Catégorie 1 du Tarif des Douanes. Cette Catégorie 1 permet d’appliquer un taux de taxation cumulé de 26,85 % aux biens appartenant à TELMOB (placée sous tutelle juridique de l’ONATEL). C’est ce taux de Douanes que l’ONATEL a payé sur ses dédouanements relatifs à TELMOB jusqu’à ce qu’il lui soit reproché d’avoir fraudé. Pour l’ensemble des dédouanements sous la Catégorie 1, c’est environ 10 milliards de F CFA que l’ONATEL a versés aux Douanes, au titre des droits et taxes. Des quittances l’attestent. Le montant d’environ 10 milliards est obtenu en faisant l’opération 34, 77 milliards X 26, 85%.

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Mais en suivant la présentation faite par le RENLAC, l’ONATEL ne bénéficierait pas des avantages de la Catégorie 1 (26,85% de taux de taxation), mais serait plutôt classé dans la Catégorie 2 (34% de taxation). Pourtant la CNI, structure compétente, confirme la Catégorie 1 pour TELMOB après sa fusion-absorption. Il faut rappeler que le ministère des Finances confirme que c’est la CNI qui est « la seule structure » habilitée à traiter des questions liées aux avantages sur le régime d’investissements.
Dès février 2012, le ministre des Finances de l’époque, Lucien Bembamba, l’avait rappelé lorsque la direction de l’ONATEL l’avait sollicité sur cette situation. Outre le fait de renier à TELMOB les avantages de la Catégorie 1, la position du RENLAC semble ignorer que l’ONATEL a déjà payé des droits et taxes d’un montant d’environ 10 milliards sur la base de ses équipements de 34,77 milliards. La seule particularité est que ce montant a été obtenu en appliquant un taux de taxation de 26,85% découlant la Catégorie 1.
Cette réalité fait que même si, aujourd’hui, c’est effectivement 11 milliards qui sont réclamés à l’ONATEL parce qu’on estimerait que c’est la Catégorie 2 (34% de taux de taxation) qui lui est applicable, il ne resterait que la différence entre 11 et 10 milliards à recouvrer au titre des droits et taxes. L’affaire des pénalités est un autre débat, car il faudrait établir qu’il y a intention délibérée de ne pas être à jour.
A tout point de vue, l’existence de la fraude de la part de l’ONATEL reste un sujet à débat, surtout juridique.
Il faudra se rappeler que ce qui s’est passé entre TELMOB et l’ONATEL s’appelle «fusion-absorption». Le terme est consacré dans le Code des investissements. Et l’article 30 du décret d’application de ce Code dispose clairement, entre autres, «qu’en cas de changement de forme juridique, n’emportant pas de changement de l’objet agréé de l’entreprise, le régime fiscal privilégié est maintenu».
Pourtant , le constat qui est à l’origine du litige entre l’ONATEL et les Douanes table sur «une cession» des équipements et matériels acquis antérieurement par TELMOB SA à ONATEL SA. Le terme « cession » a tout son sens car dans la procédure d’octroi du régime de faveur, «il fait interdiction au bénéficiaire de céder, à titre onéreux ou gratuit, d’affecter à d’autres destinations les marchandises admises en exonération sans l’accord préalable de l’Administration des Douanes». C’est sur cette interdiction que s’était basé l’ancien DG des Douanes pour reprocher à l’ONATEL une fraude dans sa lettre 11 novembre 2014. C’est aussi sur le même argument d’interdiction que s’est basé le PV de constat de fraude dressé par les services des Douanes le 20 mai 2015.
Mais pour l’ONATEL, on ne pourrait lui reprocher quelque chose sur cette base, car «il ne s’agit pas de cession, mais de fusion-absorption dont les conditions sont clairement définies par le décret d’application du Code des investissements en son article 30. D’où l’absence de fraude et la justification de l’application des conditions de la Catégorie 1 (26,85%) du Tarif des Douanes». Par ailleurs, l’ONATEL a estimé qu’il n’était pas opportun de produire un acte administratif pour informer l’administration des Douanes, car on n’était pas dans la situation où cela est exigé. L’ONATEL s’est acquitté de ses droits et taxes en application des conditions de la Catégorie1 qui le concerne, selon le Code des investissements.
Conditions confirmées par la CNI. Maintenant, il faut se demander si le fait de n’avoir pas spécialement informé l’Administration des Douanes sur ce fait peut être considéré comme une fraude. Débat de juristes. Il semble en effet que tout part de l’absence d’acte d’information.

Karim GADIAGA


Règlement à l’amiable pour clore un long débat

Lorsque le gouvernement de la transition s’est installé en fin novembre 2014, l’affaire ONATEL/Douanes était déjà sur la table depuis le 11 novembre, grâce au Dg des Douanes de l’époque. L’administration douanière a, en substance, indiqué qu’elle n’avait été informée du transfert des avantages de TELMOB à l’ONATEL et que par conséquent tous les actes posés par l’ONATEL SA dans cette optique relevaient de la fraude. Un PV de constat de fraude fut dressé le 5 mai 2015. En réaction, l’ONATEL a écrit le 10 juin 2015 pour se justifier et surtout rappeler que la situation qui le concerne était une « fusion-absorption, qui du reste, n’est ni une opération de cession, ni une opération de vente à un tiers ». Par la même occasion, l’ONATEL a transmis aux Douanes la lettre de la CNI qui confirme le transfert des avantages de TELMOB à ONATEL.
Les Douanes contestent la période d’application de ce transfert et l’ONATEL saisit encore la CNI pour demander de clarifier son avis. La CNI confirme alors le transfert des avantages. Mais nouveau refus des Douanes. De nombreuses correspondances sont échangées et l’affaire traine alors que chacun estime qu’il a raison. Le ministre des Finances sous la transition convoque les parties et décide, suivant ses prérogatives, de trouver une solution pour mettre fin à la querelle. L’image du Burkina dans le climat des affaires était en jeu. Les deux parties sont d’accord pour un règlement à l’amiable. Sur la base de son pouvoir discrétionnaire, le ministre accède à cette solution à l’amiable avec le payement par l’ONATEL de 100 millions de F CFA au profit des Douanes. Ce n’est pas pour les droits et taxes, mais pour les douaniers. Est-ce ce montant qui n’est pas du goût des agents verbalisateurs ? La question se pose car au sein des Douanes, l’agent qui découvre une fraude a droit à environ 24% du montant des pénalités et le reste est versé dans les différents fonds internes.

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