Dans son rapport 2015 sur l’état de la corruption au Burkina Faso que le Réseau national de lutte anticorruption (RENLAC) a rendu public le 30 juin 2016, des témoignages de plusieurs personnes mettent en exergue les pratiques de corruption en 2015.
2.000 personnes ont été interrogées au cours de l’enquête. 87,4% d’entre elles ont déclaré que la corruption est fréquente ou très fréquente au Burkina Faso. Cette enseignante de 48 ans, à Bobo-Dioulasso, justifie cette situation par le fait que: «Certains agents s’attendent à des rétributions illégales en contrepartie des services demandés». Ce retraité de 59 ans, à Ouagadougou, estime pour sa part qu’aujourd’hui il est difficile d’accéder à un service auquel on a droit dans une administration publique sans faire intervenir une connaissance ou offrir une rétribution illégale à un agent dans ladite administration. «La plupart des citoyens manifestent une opposition quand on leur parle de la corruption, mais s’y conforment sans peine dans leurs actes quotidiens face à des opportunités de corruption», justifie un religieux de 58 ans, à Banfora.
A la question de savoir si la corruption est en régression ou en progression, 47,7% des enquêtés estiment qu’elle régresse. Ce constat est une première depuis 2002, note le RENLAC. Les justifications données par quelques répondants donnent une idée sur les raisons de cette régression en 2015. «Certaines actions des autorités de la transition ont fait que ceux qui, habituellement, s’adonnaient à ces pratiques répréhensibles se méfient; ce qui fait que la pratique a sensiblement diminué comparativement à l’année passée», a observé un agent de l’action sociale de 37 ans, à Gaoua.
Une étudiante de 23 ans, à Bobo-Dioulasso, explique la régression de la corruption par «le changement de régime et surtout la prise de conscience des citoyens, les agents des services publics hésitent de plus en plus à se lancer dans la corruption».
Le RENLAC s’est préoccupé de savoir si de l’argent a été donné au cours des actes de corruption.
Certaines personnes enquêtées ont déclaré avoir personnellement offert une rétribution illégale afin d’obtenir dans une administration publique un service non soumis à paiement. Les montants donnés varient entre 500 à 1,5 million de FCFA. Le point des rétributions offertes indique que 7.831.750 F CFA ont été offerts.
Le point des rétributions
Voici quelques témoignages. «J’ai une moto tricycle que j’ai confiée à un jeune pour exploitation. Un jour, il transportait des femmes vers un village de la localité et la police municipale l’a arrêté. Les agents de police municipale lui ont demandé de présenter sa carte grise et son permis de conduire. Il leur a présenté la carte grise, mais pour le permis de conduire, il n’en avait pas. Les agents de police lui ont dit qu’il devait payer 12.000 FCFA, pour défaut de permis de conduire. Il m’a appelé pour m’informer et quand je suis arrivé, j’ai fait comprendre aux agents de police que nous ne savions pas que pour conduire les tricycles il faut avoir un permis de conduire. J’ai négocié et payé 3.000 FCFA, pour qu’il laisse partir mon petit, mais ils ne m’ont pas remis un reçu en retour», raconte un homme de 44 ans, à Dori.
Pour ce commerçant de 42 ans, à Ouagadougou, «les agents des impôts qui passent de boutique en boutique chaque année pour l’impôt m’ont dit que ma patente coûtait 50.000 FCFA et qu’ils pouvaient me faire un rabais à condition de payer 40.000 FCFA au comptant contre un reçu de 25.000 FCFA. J’ai accepté cet arrangement».
Ce chauffeur de 48 ans, à Ouagadougou, est un habitué des voyages hors du Burkina Faso. Il affirme payer un minimum de 2.000 FCFA aux différents postes de contrôle (Gendarmerie, Douane et Police), qu’il traverse. «Tous les chauffeurs font autant. Si tu essaies de résister et que tes collègues donnent, c’est toi qui auras tout le temps des problèmes et tu cours le risque d’avoir des ennuis avec ton patron», conclut-il.
Des agents de services publics ont témoigné avoir reçu une rétribution illégale dont le montant cumulé s’élève 511.000 FCFA avec des extrêmes de 1.000 à 200.000 F CFA.
L’enquête a aussi donné la parole aux témoins d’actes de corruption. Cet homme de 30 ans, à Tenkodogo, raconte qu’à la CNSS, sa tante devait percevoir la pension de son défunt mari. Les nombreuses tentatives qu’elle a entreprises auprès des services compétents sont restées vaines et il l’a accompagné chez une connaissance en service au niveau de la CNSS. La solution au problème a été trouvée 3 jours après contre le paiement de la somme de 10.000 F CFA pour désintéresser les agents qui s’investiront dans le traitement diligent du dossier.
Un chômeur de 24 ans, à Ouagadougou, a été témoin d’une situation de corruption à l’hôpital Yalgado où il avait accompagné son frère. Pendant une journée, il n’a pas eu de lits dans une chambre pour son frère. Un accompagnateur d’un malade qui les a observés a conseillé de négocier avec un des brancardiers en lui proposant un peu d’agent. Dès que la somme de 2.000 F CFA a été proposée, en peu de temps, le brancardier a trouvé une chambre où il y avait jusqu’à 2 lits libres. L’enquête du RENLAC s’est intéressée à l’attitude des enquêtés face à un cas de corruption dans un service de l’administration publique.
La sollicitation d’une rétribution illégale est très mal acceptée par la grande majorité des enquêtés. Ils sont 91,9% à juger cette attitude inacceptable et condamnable contre 0,6% qui l’a jugée acceptable.
Ce résultat conforte le RENLAC qui estime que la résistance des citoyens face à la corruption est possible avec une forte chance de succès, si celle-ci est bien organisée.
Elie KABORE
Quelles sont les causes de la corruption?
Les résultats de l’enquête déterminent multiples causes de la corruption et les situent prioritairement dans la recherche du gain facile, la pauvreté, la vie chère, les bas salaires, l’impunité, la cupidité, le manque d’intégrité et de conscience professionnelle, la méconnaissance des procédures d’offres de services par les usagers.
Toutefois, l’importance de ces causes varie en fonction de la catégorie du travailleur de l’administration publique ou parapublique et du type de corruption en présence.
En effet, la corruption des agents d’exécution qui n’ont pas de pouvoir de décision serait due principalement aux bas salaires et à la vie chère. Par contre, la corruption des hauts responsables, ceux qui ont un pouvoir de décision, serait liée à la recherche du gain facile et/ou à la cupidité.