Au regard de sa configuration et de son rôle sous le régime Blaise Compaoré, le monde des hommes d’affaires ne va pas encore manquer de constituer un enjeu de gestion du pouvoir actuel. On peut d’ailleurs dire que le régime du président Roch Kaboré est sur le point de procéder à une redistribution des pouvoirs dans les instances qui regroupent les opérateurs économiques.
Une sorte de reformatage du paysage qui doit permettre, non seulement, de redéfinir des nouveaux pôles d’influence, mais aussi placer des hommes de main à la tête des structures les plus représentatives du monde économique. On pense notamment à la Chambre de commerce et d’industrie du Burkina Faso (CCI-BF), le Conseil présidentiel pour l’investissement (CPI) ou le Conseil national du patronat burkinabè (CNPB). Outre le fait que sous le règne de Blaise Compaoré, la carte de la répartition des affaires avait une forte coloration politique, la présence et le positionnement des hommes d’affaires dans leurs structures de représentation pouvaient aussi avoir des explications en termes de proximité avec le pouvoir central.
A tort ou à raison, l’on considérait ainsi que le statut d’Alizèta Ouédraogo comme présidente de la CCI-BF et sa forte influence dans le milieu des affaires découlaient de sa qualité de belle-mère de François Compaoré, frère cadet de Blaise. Pareille au niveau du CPI, organe directement rattaché à la présidence du Faso, dont on estimait qu’il n’est constitué que d’opérateurs économiques très proches du régime Compaoré.
Pour ce qui concerne les structures corporatives ou syndicales des hommes d’affaires, le Burkina en compte plusieurs. Toutefois, quelques-unes seulement avaient suffisamment d’influence sous le régime Compaoré. Il y a notamment le Syndicat des commerçants importateurs et exportateurs (SCIMPEX) dirigé par le très influent Lassiné Diawara qui a presque toujours secondé le président de l’institution consulaire.
L’on avait également le Club des hommes d’affaires franco-burkinabè (CHAFB), qui jusqu’en juin 2013 était dirigé par Eddie Komboigo, actuel président du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), ancien parti au pouvoir.
A ce lot de structures influentes, on peut aussi ajouter le Groupement des professionnels de l’industrie (GPI) qui compte en son sein tous les industriels de la ville de Bobo-Dioulasso, notamment.
Plusieurs structures créées autour des «petits commerçants» des marchés et yaar disposent également d’une force de mobilisation dans leurs espaces respectifs. En fonction du besoin, ces petites structures de commerçants ne manquaient pas d’être aussi des canaux d’influence au profit du pouvoir Compaoré.
Mais depuis l’insurrection populaire de fin octobre 2014, Blaise Compaoré est parti. Un départ qui ne signifie pas pour autant la fin du scénario qu’il a créé pour avoir le contrôle du milieu des affaires. L’actuel régime est sur le point de maintenir le scénario en l’estampillant de sa marque. Pour cela, il entend seulement changer les acteurs et, dans une moindre mesure, le décor.
A la CCI-BF, la date des élections consulaires, qui n’est toujours pas connue, ne pourra assurément l’être que quand les tractations sur les différents positionnements seront finies. Qui pour présider cette institution stratégique pour le milieu des affaires? Les candidats pressentis ou déclarés à ce jour sont Apollinaire Compaoré, patron de Telecel à travers son groupe Planor Afrique, Idrissa Nassa, patron de Coris Bank, et Mahamadi Savadogo dit «Kadhafi», qui contrôle le groupe SMAF international. Ce dernier est réputé proche de Salif Diallo, le président de l’Assemblée nationale.
On peut d’ailleurs voir dans l’audience que le président Kaboré a accordée récemment au CERCLE des chefs d’entreprises burkinabè un signe de la nouvelle dimension que Kadhafi, président de cette structure, pourrait prendre bientôt dans le monde des affaires.
Le CERCLE pourrait aussi devenir très influent. Conduite par Kadhafi, une délégation du Cercle a été reçue par le président du Faso le 23 mai 2016. D’importants projets ont été évoqués lors de cette rencontre. Il a été notamment question «des voies et moyens pour donner un nouveau souffle au climat des affaires». Dans ce sens, le CERCLE a proposé la tenue d’une rencontre nationale avec le secteur privé «pour essayer de donner sa vision pour orienter les hommes d’affaires afin qu’ils puissent se mettre sur le terrain».
Le CERCLE a aussi proposé «la dynamisation ou la mise en place des structures qui regroupent les hommes d’affaires tels que le patronat, la CCI-BF, la Maison de l’Entreprise, le CPI pour leur permettre d’accompagner l’action du gouvernement dans le cadre du développement économique du Burkina».
Des propositions pour lesquelles le président Kaboré a marqué son accord. Accord qui place d’office le CERCLE et son président dans une position de pilote pour les autres.
Karim GADIAGA
Eviter le syndrome du passé
Au-delà de Blaise Compaoré et de son gouvernement, l’onde de choc des manifestations de colère de fin octobre 2014 avait violemment retenti dans le milieu des affaires. La proximité vraie ou supposée de certains hommes d’affaires avec le régime balayé leur avait valu la punition des insurgés. Les entreprises ou les domiciles de ces personnes ont subi des saccages et des pillages sur fond de vengeance.
En effet, une large partie de l’opinion ne s’accommodait pas avec la façon dont les affaires sont gérées. Leur conviction était établie sur le fait que les proches du cercle présidentiel monopolisaient toutes les affaires. Le projet controversé de modification l’article 37 de la Constitution n’a fait qu’exacerber ce ressenti, débouchant alors sur une sorte de règlement de comptes contre les entreprises et leurs patrons suspectés d’appartenir au clan présidentiel. Aujourd’hui, les patrons d’entreprises devraient savoir tirer leçon de cet épisode malheureux pour éviter toute nouvelle déconvenue.