Après une période prolongée de croissance économique solide, l’Afrique subsaharienne (AfSS) traverse une phase délicate. Le rythme d’expansion économique est tombé à 3,4 % en 2015. C’est le niveau le plus bas depuis une quinzaine d’années. En outre, d’après nos projections, la croissance devrait se modérer davantage cette année pour se situer à 3 %, taux nettement inférieur aux près de 6 % de la dernière décennie, et à peine supérieur à celui de la croissance démographique. De fait, pour la première fois depuis la fin des années 1990, la croissance du PIB par habitant sera inférieure à 1 % pendant deux années consécutives.
Chocs multiples
Ce ralentissement s’explique par les retombées négatives de la chute des cours des matières premières sur certains des principaux pays et, plus récemment, par la sécheresse qui sévit en Afrique de l’Est et en Afrique australe. Le net repli des prix des produits de base a gravement perturbé plusieurs des plus grands pays d’Afrique subsaharienne. Les cours du pétrole se sont certes légèrement redressés depuis le début de l’année, mais ils sont inférieurs de plus de 60 % aux maxima de 2013.
Cela représente un choc sans précédent. De ce fait, des pays exportateurs de pétrole comme le Nigeria, l’Angola et la plupart des pays de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC), restent aux prises avec une conjoncture économique particulièrement difficile.
D’après nos prévisions, la croissance devrait ralentir davantage dans les pays exportateurs de pétrole de la région pour se situer à 2,2 % en 2016, après avoir atteint pas moins de 6 % en 2014. Les pays exportateurs de matières premières hors énergie, tels que l’Afrique du Sud, le Ghana et la Zambie sont également frappés par la chute des cours des produits de base.
Par ailleurs, plusieurs pays d’Afrique australe et d’Afrique de l’Est souffrent d’une grave sécheresse qui menace la sécurité alimentaire de plusieurs millions de personnes. La croissance devrait en pâtir gravement dans un certain nombre de pays, dont l’Éthiopie, le Malawi et la Zambie. Plusieurs pays doivent également faire face à des tensions supplémentaires sur le plan budgétaire et sur celui des comptes extérieurs, en raison de l’augmentation des besoins d’aide humanitaire.
Plusieurs pays continuent d’afficher de bons résultats
Faut-il pour autant en conclure que la dynamique de croissance de la région s’est arrêtée ? Nous ne pensons pas que ce soit le cas. Et pour plusieurs raisons.
Beaucoup de pays continuent d’enregistrer une croissance robuste.
Concrètement, la plupart des importateurs de pétrole s’en sortent généralement mieux, avec des taux de croissance dépassant 5 %, notamment en Côte d’Ivoire, au Kenya, au Sénégal et dans beaucoup de pays à revenu intermédiaire.
Dans la plupart des cas, la croissance s’appuie sur les investissements dans l’infrastructure et la solidité de la consommation privée. Le repli des cours du pétrole a également profité à beaucoup de ces pays, encore que la chute des prix des autres produits de base et les dépréciations monétaires aient en partie compensé les gains.
Assombri par des risques baissiers, l’environnent économique reste à court terme difficile pour de nombreux pays, mais les perspectives à moyen terme demeurent favorables. Les facteurs sous-jacents de croissance à l’œuvre au plan national durant la dernière décennie continuent de jouer en général. Plus particulièrement, l’amélioration sensible du climat des affaires et une évolution démographique favorable devraient se révéler propices à l’avenir.
Changer de cap pour assurer des perspectives favorables
Cependant, pour que ce considérable potentiel se réalise, un changement de cap décisif est impératif dans bien des cas. Celui-ci est particulièrement urgent pour deux groupes de pays, car leur riposte a jusqu’à présent été généralement insuffisante. Face à la diminution rapide de leur marge de manœuvres budgétaires et de leurs réserves de change et aux contraintes de financement, les pays exportateurs de matières premières devraient réagir de manière rapide et énergique au choc pour éviter tout ajustement désordonné.
Pour les pays n’appartenant pas à une union monétaire, la flexibilité du taux de change – entre autres mesures macroéconomiques – devrait être la première ligne de défense. Comme les recettes provenant du secteur extractif vont vraisemblablement diminuer à long terme, un nombre important des pays concernés doivent aussi impérieusement maîtriser leur déficit budgétaire et doter le reste de l’économie d’une assiette fiscale viable.
Dans leur travail de rééquilibrage, les pays doivent s’efforcer de préserver les dépenses sociales prioritaires et les investissements en capital propices à la croissance, notamment pour ne pas mettre en péril les objectifs de développement à plus long terme.
Étant donné le net durcissement des conditions de financement extérieur, les pays qui ont accès aux marchés financiers mondiaux et dont les déficits budgétaires et courants ont été élevés ces dernières années, devront eux aussi récalibrer leur politique budgétaire. Ce réajustement les aidera à reconstituer des marges de manœuvres limitées et à atténuer les facteurs de vulnérabilité au cas où la situation extérieure se dégraderait davantage.
Le moment est venu de changer de cap pour relever les défis de l’heure et pérenniser les acquis enregistrés par l’AfSS durant les 15 dernières années. Les mesures nécessaires risquent de provoquer un ralentissement de la croissance à court terme, mais elles permettront d’éviter un ajustement plus coûteux et désordonné. Nous sommes persuadés que les pays de la région seront à même de tirer pleinement parti du potentiel dont ils disposent.
Antoinette Monsio Sayeh : Notice biographique
Antoinette Monsio Sayeh a pris ses fonctions actuelles de directrice du Département Afrique du Fonds monétaire international en juillet 2008. En tant que ministre des Finances du Liberia (de janvier 2006 à juin 2008) au lendemain du conflit qu’a connu ce pays, elle a piloté l’apurement des arriérés accumulés de longue date par le Liberia sur sa dette multilatérale, permis au pays d’atteindre le point de décision au titre de l’initiative pour les Pays pauvres très endettés, géré les négociations avec le Club de Paris, et œuvré à l’élaboration de la première Stratégie de réduction de la pauvreté. Ce faisant, Mme Sayeh a considérablement renforcé les finances publiques du Liberia, tout en promouvant la réforme de la gestion des finances de l’État.
Avant d’entrer au gouvernement de la présidente Ellen Johnson Sirleaf, Mme Sayeh avait travaillé à la Banque mondiale pendant dix-sept ans, en qualité de directrice des opérations pour le Bénin, le Niger et le Togo, économiste-pays pour le Pakistan et l’Afghanistan, ainsi que comme conseillère à la vice-présidence de la Politique opérationnelle de la Banque et assistante de son directeur général principal.
Avant de rejoindre la Banque mondiale, Mme Sayeh a travaillé comme conseillère économique au ministère des Finances et au ministère du Plan du Liberia.
Elle est titulaire d’une licence en économie de Swarthmore College, obtenue avec mention, et d’un doctorat en relations économiques internationales de la Fletcher School de l’université Tufts.