Dossier

Relation Paris-Ouaga: elle vise d’abord à consolider l’axe Paris-Abidjan

 

La relation entre Paris et Ouagadougou est, depuis toujours, à nulle autre comparable. Il suffit, pour en prendre conscience, de regarder une carte : Ouagadougou est reliée à la côte atlantique par une voie ferrée dont le terminus est le port d’Abidjan. C’est un fil à la patte. Qui existe depuis 1954. Mais, auparavant, au temps de la colonisation, déjà, la Haute-Volta n’était rien d’autre que le réservoir de main-d’œuvre pour une colonie de Côte d’Ivoire (et d’autres aussi, notamment le Mali où l’Office du Niger était un gros «consommateur» de main-d’œuvre) qui en manquait cruellement pour ses plantations. D’où cette volonté de Paris d’intégrer la Haute-Volta dans la Côte d’Ivoire; ce qui sera effectif de 1932 à 1947.
Décision contre laquelle les nationalistes voltaïques vont s’insurger. Tout comme ils s’insurgeront contre le rêve de «double nationalité» – Voltaïque/Ivoirien – de Maurice Yaméogo, rêve qui lui coûtera la présidence de la République le 3 janvier 1966.
La relation entre Paris et Ouagadougou va être, dès lors, formatée par les régimes militaires en place dans la capitale de la Haute-Volta puis du Burkina Faso. Une relation strictement utilitariste: ce territoire est considéré par la France comme l’arrière-cour de la Côte d’Ivoire. C’était vrai avant l’indépendance ; cela le sera plus encore après l’indépendance. Le pays n’a de richesse que les bras de ses hommes et de ses femmes. Rien d’autre.
Et le chemin de fer, depuis soixante ans, n’a pas réellement dépassé la gare de Ouagadougou mais est un lien fixe entre la capitale économique de l’Afrique de l’Ouest et le premier pays francophone d’Afrique à avoir confié son destin à un militaire (le commandant Sangoulé Lamizana). Quand, en 1971, Lamizana viendra en visite en France sous la présidence de Georges Pompidou (qui se rendra en Haute-Volta l’année suivante), Jacques Foccart évoquera une nécessaire «préparation psychologique» de ce voyage, «les Voltaïques étant en effet difficiles à saisir», dira-t-il. Ils le seront plus encore au début de la décennie 1980 quand les militaires vont se succéder au pouvoir jusqu’à l’arrivée de Thomas Sankara et l’avènement de la «Révolution».

La dévaluation du CFA passe par un accord avec Ouaga
François Mitterrand se rendra à Ouagadougou en 1986. Le leader de la «Révolution» va lui tenir un discours anti-impérialiste qui va ravir le chef de l’Etat français : pendant plus d’une heure, il va lui répondre point par point, concluant par un très paternaliste et condescendant: «Vous avez trente-cinq ans, j’en ai le double. Il vous faudra mûrir». Sankara n’en n’aura pas le temps. En 1987, Blaise Compaoré lui succède. Ce qui ne manque pas de ravir Abidjan et, du même coup, Paris. Le Burkina Faso va dès lors évoluer dans le bon sens selon Paris : une Constitution qui mettra fin à l’Etat d’exception et la signature d’un premier programme d’ajustement structurel avec le FMI. En 1993, Compaoré est à Paris en visite officielle. François Mitterrand est toujours à l’Elysée mais c’est le temps de la deuxième cohabitation et c’est Edouard Balladur qui est à Matignon. Tandis que Michel Roussin a en main, fermement, la Coopération.
La République française va mettre les petits plats dans les grands. Compaoré, qui est installé au Crillon, est accompagné de six ministres burkinabè (Marc Christian Roch Kaboré, Thomas Sanon, Zéphirin Diabré, Salif Diallo, Juliette Bonkoungou, Antoine Raogo Sawadogo). Elysée, Matignon, Sénat, Quai d’Orsay, Conseil économique et social (CES), Conseil des investisseurs français en Afrique (CIAN), Nanterre (siège du Conseil général des Hauts-de-Seine), Ecole militaire, Château de Versailles mais aussi Jacques Foccart, Charles Pasqua, Jacques Chirac (alors maire de Paris…), le programme est dense et prestigieux. Et Compaoré va aussi recevoir une flopée de chefs d’entreprises (dont Vincent Bolloré, Pierre Castel, Jean-Louis Vilgrain, Michel Pébereau alors président de la BNP). Le Burkina Faso est engagé dans une vaste politique de privatisation des entreprises publiques et parapubliques et la dévaluation du franc CFA est, plus que jamais, à l’ordre du jour
Le partenariat entre Blaise Compaoré et Charles Taylor, jugé particulièrement sulfureux par Paris (et plus encore Washington), n’aura aucune incidence sur ces journées d’exception : la réussite de la dévaluation du franc CFA, une nécessité pour la Côte d’Ivoire, un mal absolument pas nécessaire pour le Burkina Faso, vaut bien quelques coups de canif dans les «droits de l’homme».

«L’usine» ivoirienne tourne
La négociation de la dévaluation du franc CFA va être au cœur des relations entre Paris et Ouagadougou. Le Burkina Faso est une économie rurale qui ne passionne pas, cependant, les opérateurs économiques français. Quelques grands patrons hexagonaux ont des relations privilégiées avec Compaoré, mais pour des raisons strictement… ivoiriennes.
Les intérêts économiques français se trouvent en Côte d’Ivoire ; et «l’usine ivoirienne» ne tourne que grâce, pour l’essentiel, à la main-d’œuvre des diasporas africaines, à commencer par la diaspora burkinabè. La France peut se passer de tout ce que produit le Burkina Faso et les importations burkinabè de produits français sont désormais concurrencées par la montée en puissance des «émergents».
Par ailleurs, les investisseurs français ne se sont pas précipités pour racheter les entreprises privatisées à Ouagadougou, Bobo-Dioulasso ou Koudougou à l’exception des monopoles. Cependant, le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire sont deux éléments (inégaux) d’un même ensemble. La meilleure preuve en est que l’on y trouve alors les mêmes grands groupes français: Dagris dans le coton; Bolloré dans le transport ferroviaire et le transit; CFAO-PPR dans l’import-export et la distribution; Castel-BGI dans les brasseries; BNP-Paribas et la Société générale dans la banque; Athena et Gras Savoye dans l’assurance; Accor dans l’hôtellerie; Bouygues et ses filiales (Colas, DTP Dragages), Razel, Satom dans le BTP; TotalFinaElf dans le distribution des produits pétroliers; France télécom dans la téléphonie; Canal + dans la télévision…
Gérard Simon, ambassadeur de France à Ouagadougou de fin 1992 à fin 1995, aura retenu comme leçon de ses activités diplomatiques en Afrique (Maroc, Madagascar, Afrique du Sud, Algérie, Zambie, Somalie, Tunisie avant d’achever sa carrière au Burkina Faso) qu’il convient de privilégier «la stabilité des régimes» plutôt que «l’instauration de démocraties artificielles». C’est tout dire (dès lors que les diplomates cessent de l’être !).

Alors qu’Abidjan brûle …
Ce sera dès lors le retour en grâce d’un pays qui, avec habileté, va surfer sur la crise ivoiro-ivoirienne. Pas question que Paris cherche des poux dans la tête des dirigeants burkinabè alors que la Côte d’Ivoire brûle et que les armées françaises sont obligées de s’y investir massivement pour empêcher l’implosion de la première économie régionale.
L’opération «Bayiri», qui va rapatrier plusieurs dizaines de milliers de Burkinabè de Côte d’Ivoire, va permettre à Ouagadougou d’obtenir le soutien financier de la France, de manière bien plus conséquente qu’au cours des années précédentes alors que, justement, les relations économiques entre la France et le Burkina Faso, elles, sont en panne. Ce qui ne saurait poser un problème de conjoncture au Burkina Faso: la Libye de Kadhafi reste un partenaire majeur et les «rebelles» ivoiriens, qui ont fait de Bobo-Dioulasso et de Ouaga 2000 leur base arrière, injectent dans le pays des fortunes grises, noires et parfois rouge sang.
C’est donc tout naturellement, l’accord de Marcoussis (2003) n’ayant rien réglé, que les Burkinabè vont s’investir dans la mise en place de l’accord de Ouagadougou (2007). Pour des raisons diplomatiques (garder le contact avec la communauté internationale et s’affirmer comme médiateur), politiques (le pays étant confronté à une situation délicate sur sa frontière sud, l’union nationale est non-négociable, Hermann Yaméogo en fera l’expérience), économiques (les produits du Nord de la Côte d’Ivoire transitent désormais par le Burkina Faso qui va même mettre en place des usines de transformation), sociales (la «rébellion» nourrit l’économie informelle – mais pas seulement – des grandes villes burkinabè).
Ouagadougou va trouver une solution à la crise ivoiro-ivoirienne. Qui, bien évidemment, va dans le sens de ses intérêts. Mais pourquoi en serait-il autrement ; c’est Bédié qui a mis le feu aux poudres même si les apprentis sorciers n’ont pas manqué pour entretenir l’incendie. Et ce sont les Burkinabè de la diaspora ivoirienne (et leurs familles restées au pays) qui en ont été les victimes, même s’ils attendent toujours que le gouvernement d’Abidjan (comme celui de Ouagadougou) prenne en compte ce qu’ils ont dû subir! Mais du côté de Paris, la détermination et la fermeté de l’équipe dirigeante burkinabè dans la résolution de la crise ivoirienne prend le pas sur tout le reste.
Illustration de cette satisfaction : Paris va nommer à Ouagadougou, en 2010, un ambassadeur qui n’est autre qu’un général de corps d’armée. Il s’agit d’Emmanuel Beth, un guerrier, vieux routier de l’Afrique subsaharienne et premier patron de la force «Licorne» en 2002. Car c’est désormais à Ouagadougou que les choses sérieuses se passent puisqu’il n’est pas, dans la sous-région, un pôle de stabilité aussi fiable. Ouagadougou va donc assurer le coaching d’Alassane D. Ouattara que la France a soutenu dans sa conquête du pouvoir face à Gbagbo. Position qui sera renforcée par l’invasion du Nord du Mali par des groupes islamistes radicaux et l’implication du Burkina Faso, cette fois encore, dans la résolution de la crise malienne.

Interventionniste, Paris laisse faire à Ouaga
La fin est connue. Elle a été racontée dès le Moyen-Age dans «Le Roman de Renart»: «Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse». L’œil rivé sur sa relation avec Paris (bien que Paris soit toujours dans la retenue vis-à-vis de Compaoré et des siens), les responsables politiques burkinabè, considérant que tout va bien pour eux, vont penser que tout va bien, aussi, pour le reste d’une population qu’ils ont cessé de côtoyer. En 2011, ce sera la mutinerie des forces armées (en décembre 2006, déjà, des affrontements armés à Ouagadougou avaient empêché d’y tenir les sommets de la CEDEAO et de l’UEMOA), en 2013 les «marches» de l’opposition et de la société civile contre le pouvoir, en 2014 l’effondrement du régime de Compaoré qui va se réfugier … en Côte d’Ivoire. Paris laissera faire. Parce que le Burkina Faso n’est pas la Côte d’Ivoire ni même le Mali. Et que ce pays, qui a connu des insurrections populaires, des coups d’Etat militaires, des «révolutions»… a toujours trouvé, en lui-même, les ressources lui permettant de résoudre les crises auxquelles il était confronté. C’est ce que Michel Kafando, président de la Transition, avait rappelé à François Hollande l’an dernier, alors qu’il était en visite à Paris. C’est aussi ce que le président Kaboré vient de lui redire alors que son pays a été frappé, il y a deux mois à peine, par une attaque «terroriste» d’ampleur.
Le président Kaboré était voici quelques jours à Paris. Il y était déjà il y a près de vingt-deux ans, en novembre 1994. C’était alors sa première visite officielle en France depuis qu’il avait été nommé au poste de Premier ministre. C’était au lendemain de la dévaluation du franc CFA. Les questions financières étaient à l’ordre du jour alors que le Burkina Faso était entré dans l’ère du PAS. Mais, déjà, Ouagadougou était confrontée à un afflux de milliers de réfugiés touareg venus du Mali et du Niger. Kaboré avait aussi mené une opération de séduction auprès des patrons du CNPF (aujourd’hui MEDEF), insistant sur «la nécessité impérieuse de créer un cadre de concertation efficace entre les opérateurs économiques français et burkinabè, une place de choix devant être réservée à la promotion des relations de partenariat entre le secteur privé burkinabè et le secteur privé français qui doit pouvoir être également un vecteur de la coopération française en Afrique».

Jean-Pierre BEJOT (Correspondance particulière)


La crise ivoirienne renforce la relation Paris-Ouaga, malgré les «affaires»!

La relation France-Burkina Faso aura alors d’autant plus d’intensité que Mitterrand a cédé l’Elysée à Chirac et que la droite française n’a d’yeux que pour Abidjan où le «Vieux» est mort et où une «guerre de succession» va être déclenchée par Henri Konan Bédié au nom d’une «ivoirité» qui vise, aussi, les Burkinabè de Côte d’Ivoire. Ce qui va permettre à la classe politique burkinabè de se positionner en victime mais aussi en protecteur de sa diaspora présente dans le pays. Puis la chute brutale de Bédié et l’incertitude qui règnera en Côte d’Ivoire vont rendre, pour Paris, Compaoré incontournable. Alors que Laurent Gbagbo a accédé au pouvoir dans des conditions calamiteuses puis que le pays va être coupé en deux, la connexion sera de plus en plus avérée entre Kosyam et les «rebelles» ivoiriens. Ces événements dramatiques en Côte d’Ivoire vont permettre à l’équipe en place au Burkina Faso de tirer un voile pudique sur les «affaires» qui, régulièrement, pourrissent la vie du pays. A commencer par «l’affaire Norbert Zongo» qui avait conduit à la mise en quarantaine internationale du président du Faso ; puis le meurtre à Ouagadougou, jamais élucidé, de Balla Keïta, ancien ministre de Félix Houphouët-Boigny devenu le coach du général Robert Gueï, quelques semaines avant le déclenchement du coup de force du 18-19 septembre 2002.


 

Le bouclier qui protège Abidjan

Ce partenariat économique ne s’est jamais, ni mis en place ni développé. Le Burkina Faso, en donnant dès la fin de la décennie 1990 la priorité à la gestion des crises régionales, pensant y trouver un succédané à l’absence de motivation économique majeure, a trouvé une oreille attentive du côté de Paris et du Trésor public français. Pas sûr, cependant, que cette implication régionale (avec toutes les dérives inhérentes de Taylor à Soro) ait été profitable à la grande masse des Burkinabè. C’est que le président Kaboré devrait reprendre son ouvrage là où il l’avait laissé le 6 février 1996 : donner à l’économie burkinabè les moyens de ne pas désespérer les travailleurs burkinabè.
La relation entre Paris et Ouagadougou donne souvent l’impression d’être à géométrie variable, les Burkinabè étant, pour les Français, «difficiles à saisir» (pour reprendre le «mot» de Foccart au sujet des Voltaïques). La dévaluation du franc CFA dans les années 1990, la crise ivoirienne dans les années 2000, la lutte contre le terrorisme dans les années 2010 ont cependant conduit Paris à prendre en compte Ouagadougou. Compaoré avait compris l’intérêt qu’il y avait pour le Burkina Faso à être ainsi le bouclier de la Côte d’Ivoire. Mais cet intérêt profitait à quelques-uns, à Ouagadougou comme à Bouaké et à Abidjan. Le président Kaboré a vocation à changer la donne dans un contexte difficile : Compaoré est en Côte d’Ivoire et Ouattara a entamé son deuxième et dernier mandat. C’est dire que pour la décennie à venir, Ouagadougou va, une fois encore, être l’interlocuteur incontournable.

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