LONDRES – Nous vivons probablement l’année la plus lourde de conséquences pour les migrations et la protection des réfugiés depuis la signature de la Convention de Genève, en 1951.
Les choix que nous allons faire contribueront à créer ou bien des sociétés plus ouvertes, fondées sur la coopération internationale, ou bien à l’inverse encourageront des États autoritaires et leurs objectifs nationalistes.
Les crises des réfugiés et des migrations, en Méditerranée, en Asie, en Afrique et en Amérique centrale répandent leurs épouvantables souffrances sur l’humanité. On ne saurait surestimer leur portée. Car l’incapacité du monde à aider les populations les plus vulnérables traduit un effroyable effondrement moral dans la communauté internationale.
Nous courons le risque d’oublier ce que nous comprenons collectivement des raisons du système multilatéral et de la coopération internationale. Lorsque nous refusons de protéger ceux qui sont en butte aux persécutions, non seulement nous les mettons en danger, mais nous réduisons à néant nos principes de liberté civile et mettons en péril notre propre liberté.
L’an dernier, nous avions littéralement un million de fois l’occasion de nous rappeler que le système de protection des réfugiés ne fonctionnait plus. Chaque demandeur d’asile traversant courageusement la Méditerranée nous disait que quelque-chose n’allait pas dans les pays de premier asile.
Comment avons-nous pu permettre que pèse sur la Jordanie, le Liban et la Turquie la charge de recevoir presque cinq millions de réfugiés sans soutien ou presque du reste du monde? Il en coûte au moins 3.000 dollars par an de fournir à un réfugié un niveau décent d’assistance – une somme dont la communauté internationale n’assume qu’une bien petite part. Quand les failles du système qui devrait les protéger deviennent des trous béants, les réfugiés votent avec leurs pieds.
Plutôt que de faire porter sur d’autres le poids du fardeau, nous devons commencer à partager les responsabilités. La façon la plus intelligente de sauvegarder la souveraineté nationale, c’est de réduire les risques que courent les migrants lorsqu’ils tentent de se mettre en sûreté, et d’augmenter les moyens mis à leur disposition pour qu’ils puissent faire quelque chose de leurs vies.
À cela, trois conditions sont nécessaires. Tout d’abord, il nous faut tirer parti de la dynamique politique qui s’est construite autour de la question des réfugiés pour que chacun s’engage à améliorer sur des points précis le système international de protection des migrants et, d’une façon générale, pour réduire leur vulnérabilité.
Il est tout simplement inacceptable que dix pays seulement soient contraints de porter la plus grande part du fardeau, que 86% de réfugiés résident dans des pays en développement et que moins de 100.000 par an soient relogés.
Nous devons aider les réfugiés. Nous n’avons pas le choix. Et nous ne pouvons tolérer que cette responsabilité ne soit dictée que par la proximité d’une crise.
Nous ne pouvons plus nous permettre, d’une année sur l’autre, de crise en crise, de mendier des promesses (qui trop souvent demeurent lettre morte). Nous devons calculer, comme si nous préparions un budget familial, les coûts de l’aide aux migrants forcés et aux pays qui les hébergent, puis collectivement réunir les fonds nécessaires dans le contexte d’un plan construit sur le long terme.
Nous devons aussi étendre nos capacités d’accueil des réfugiés par le relogement et par les autres filières légales – études, emploi et visas de regroupement familial.
En deuxième lieu, le renforcement du système de protection international nous demande de repenser l’idée même de notre responsabilité envers les réfugiés.
Nous ne pouvons plus nous permettre de les considérer comme un poids mort et de les héberger dans des camps permanents. Au contraire, nous devons les aider à devenir des membres actifs, parmi d’autres, de nos communautés. Notre modèle doit se fonder sur l’intégration complète des réfugiés, le plus tôt possible, sur les marchés du travail et dans le système scolaire. Et nous devons nous jurer de ne jamais retenir des enfants prisonniers.
Enfin, le système des Nations-Unies doit se doter de moyens renforcés de gestion des migrations et permettre aux migrants de parler d’une voix plus forte au niveau mondial. Alors seulement nous pourrons nous accorder sur un ensemble de missions dans le but de réduire les risques encourus par tous les migrants, d’assurer leur sauvetage en mer, d’offrir un accès sûr à la réinstallation et de fournir des titres de séjour.
Réfugiés et migrations attirent cette année l’attention des responsables politiques et des opinions publiques. Ces préoccupations atteignent un degré qui n’aura sans doute pas d’équivalent, à l’avenir, pour les gens de ma génération ou même de la suivante. Il dépend de la façon dont nous nous saisirons de la situation que la condition de nombreux humains – sans parler de la condition humaine elle-même – s’améliore ou s’aggrave.
Traduction François Boisivon
Copyright: Project Syndicate, 2016.
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Mettre un terme à cette spirale descendante
Dans un effort désespéré pour décourager leur venue, l’Union européenne – berceau du système international de protection – jette aux orties sa tradition des droits de l’homme et les normes fondamentales du droit d’asile. Le signal envoyé aux pays de première arrivée – en substance qu’ils ne sont pas tenus de respecter complètement les règles de protection – pourrait être dévastateur.
Imaginant à tort qu’ils sauvegarderaient leur souveraineté en agissant unilatéralement, les États se sont refusé à donner aux migrations une réponse internationale. Mais comme l’ont crûment montré les événements en Méditerranée, cette politique est vouée à l’échec. Elle n’affirme qu’une souveraineté de tigres de papier et sape la crédibilité des États démocratiques et du système multilatéral, au bénéfice des passeurs et des populistes autoritaires. Nous devons mettre un terme à cette spirale descendante.
Une crise mondiale systémique exige une réponse mondiale systémique. Avant que les dirigeants de la planète ne se retrouvent au sommet des Nations-Unies sur la gestion des grands mouvements des migrants et des réfugiés, en septembre, la communauté mondiale doit reconnaître ce qui ne va pas – et s’accorder pour y remédier.