Quelle est l’ampleur du blanchiment d’argent au Burkina Faso? Quelles sont les méthodes et les techniques utilisées? Des interrogations qui restent sans réponse à cause du manque de communication des acteurs nationaux en charge de la répression du blanchiment d’argent.
C’est du côté du Groupe intergouvernemental d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique (GIABA), un organisme mis en place dans l’espace CEDEAO, que L’Economiste du Faso a eu des informations sur le Burkina Faso se rapportant au blanchiment de capitaux et aux infractions sous-jacentes. Le gouvernement semble vouloir faire bouger les choses avec ses dernières mesures à la Cellule
nationale de traitement des informations financières (Centif). Sur la base des éléments d’appréciation transmis par la Centif Burkina au GIABA durant la période 2014-2015, aucune Déclaration de transactions en espèces (DTE) n’a été enregistrée. Par compte, on a dénombré 85 Déclarations d’opérations suspectes (DOS), soit 8,15% de l’ensemble des DOS détectées dans l’espace CEDEAO. Sur l’ensemble des DOS reçues, 75 sont en rapport avec le blanchiment d’argent, représentant 11,73% dans la CEDEAO. 10 de ces DOS sont liées à d’autres crimes économiques ou financiers. Elles représentent 20,40% des 49 cas détectés dans l’ensemble des pays de la CEDEAO. Sur ce dernier cas, le Burkina bat le record dans l’espace CEDEAO en termes de nombre.
Malgré la quantité des DOS, le Burkina Faso pèche dans les suites à y donner. Seulement 26 dossiers ont fait l’objet d’un traitement et 8 dossiers ont été transmis aux autorités judiciaires compétentes. Toutefois, on note qu’aucune enquête, aucune poursuite n’est en cours et aucune condamnation n’a été enregistrée au Burkina Faso entre octobre 2014 et septembre 2015.
Les principales infractions sous-jacentes
Pour le GIABA, la «fraude et fraude fiscale» constituent les principales infractions sous-jacente au blanchiment d’argent dans l’espace CEDEAO, avec 15 cas rapportés entre octobre 2014 et septembre 2015. Cette infraction est suivie par celles liées à la «corruption» et au «trafic de stupéfiants» qui enregistrent respectivement 13 et 12 cas. Pour le cas spécifique du Burkina Faso, 9 infractions sous-jacentes ont été rapportées dont un cas dans chacune des infractions suivantes: stupéfiants, corruption, fraude/ fraude fiscale, contrebande, traite des êtres humains, vol, contrefaçon, piraterie.
Les méthodes et techniques de blanchiment d’argent au Burkina Faso ne diffèrent pas de celles des autres pays de la CEDEAO. L’argent sale serait investi dans le secteur de l’immobilier, des mouvements transfrontaliers d’espèces, les banques, les compagnies d’assurance, les Entreprises et professions non financières désignées (EPNFD), les casinos et les jeux de hasard et la microfinance.
Le GIABA estime que c’est la faiblesse dans l’application des lois qui sape les efforts de lutte contre le blanchiment d’argent, en plus de la faible capacité des autorités chargées de la répression de ce fléau. Face à la situation, les nouvelles autorités burkinabè semblent vouloir faire de la lutte contre le blanchiment d’argent une préoccupation à travers la prise de 2 mesures en Conseil des ministres.
La première en date du 23 mars 2016 porte sur l’adoption d’un projet de loi uniforme relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Selon le gouvernement, ce projet de loi vise à combler les insuffisances du dispositif relevées lors des exercices d’évaluation mutuelle édictés par le GIABA.
La seconde mesure en date du 9 mars 2016 porte sur l’adoption du rapport 2015 de la CENTIF dans lequel le portefeuille des déclarations de soupçons représentant une masse financière d’environ 86 milliards de F CFA a été relevé. Le traitement de l’ensemble des dossiers a engendré 27 rapports d’enquêtes financières soumis au Procureur du Faso en vue de poursuites judiciaires.
Elie KABORE
Les statistiques du Groupe intergouvernemental d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique (GIABA)
Selon le GIABA, en 2015, ce sont 2.047.176 Déclarations de transactions en espèces (DTE) qui ont été rapportées, contre 1.511.290 en 2014. Cette hausse s’explique par le fait que des pays comme le Ghana et le Nigeria ont fourni plus de DTE en 2015. En ce qui concerne les Déclarations d’opérations suspectes (DOS), on en a dénombrées 1.042 en 2015 contre 2.302 en 2014 dans les 16 pays de la CEDEAO. Ce qui représente une baisse considérable essentiellement due à l’absence de DOS dans le rapport du Nigeria qui est le plus grand rapporteur de DOS. En outre, sur les 1.042 DOS qui ont été reçues, 639, soit plus de 61,32%, sont liées au blanchiment de capitaux. Il y a eu une nette baisse des cas liés au blanchiment de capitaux si on les compare avec 2014 où 80% des cas (1.879 cas sur 2.302 reçus) étaient liés au blanchiment de capitaux.
Immobilier, microfinance, faux billets, les secteurs de prédilection
Selon la CENTIF (2012), l’immobilier et les travaux publics sont des lieux de prédilection pour recevoir l’argent sale. C’est le cas des grands immeubles, des celibateriums, des maquis-bars-restaurants, des hôtels. Dans le secteur de la microfinance, la pratique des tontines basée sur la confiance mutuelle permet de blanchir de l’argent.
L’origine des fonds n’est jamais justifiée. Le nombre de faux billets de 10.000F CFA a connu une augmentation 156% entre 2007 et 2011. Ces faux billets servent à des achats auprès de vendeurs au bétail dans les campagnes où les dispositifs de contrôle sont inexistants.
Quant à la contrebande des engins à deux roues, elle a entrainé des pertes de 300 millions de FCFA par mois en 2009 à la douane.
Les médicaments de rue entrainent un manque à gagner d’environ 1,3 milliard de FCFA par an pour les pharmacies officielles.
Les fonds qui proviennent de ces trafics sont blanchis dans l’immobilier. Les recettes générées sont déposées dans un compte bancaire sans éveiller les soupçons.