Joseph Hage est le consul honoraire du Liban au Burkina Faso. Dans cet entretien, il nous parle de la communauté libanaise au Faso, comment elle s’organise et le rôle que joue le consulat pour maintenir cette fraternité vive.
– Combien de ressortissants libanais y a-t-il au Burkina Faso, et quel est leur profil?
Aujourd’hui, la communauté libanaise du Burkina Faso compte entre 1.250 et 1.300 personnes, qui vivent en grande majorité à Ouagadougou et dans les grandes villes du pays. 65% possèdent la double nationalité, libanaise et burkinabè, qu’ils ont obtenue en déposant un dossier après 10 ans de résidence ici, ou bien en se mariant avec un conjoint burkinabè. Nous avons au moins une vingtaine de couples mixtes dans lesquels c’est en général l’homme qui est Libanais.
– La plupart d’entre vous vivent ici depuis longtemps. Vous sentez-vous davantage Africain ou Libanais?
Je me sens les deux, parfaitement, de façon égale. Vous savez, il y a des Libanais qui sont nés ici. Moi-même je suis arrivé quand j’avais 16 ans. Je me sens très intégré, sinon comment aurais-je pu rester 50 ans dans ce pays? Certes, la couleur de peau n’est pas la même. Physiquement, on nous prend pour des Français ou des Italiens. Mais pour le reste, on est fondus dans la société.
– Des traits culturels communs ne rapprochent-ils pas les deux populations?
Ici, on a beaucoup de coutumes, alors qu’au Liban elles ont progressivement disparu avec le temps. Mais il reste quand même quelque chose qui nous lie aux Africains: l’accueil et le respect entre les uns et les autres. Le respect des enfants aux grands, aux pères, le fait d’écouter l’ancien. Même s’il n’a pas raison, je l’écoute et je ne peux pas le contrarier. Et puis, il y a toujours cette unité familiale, comme ici en Afrique. Si le père décède, les autres membres de la famille vont venir s’occuper des enfants. Au Liban, c’est pareil.
– Quel lien entretient la diaspora avec son pays d’origine?
Je dirais que 95% des Libanais du Burkina rentrent au moins une fois par an au Liban. Ils préfèrent passer leurs vacances là-bas, parce que c’est un pays accueillant et qu’ils s’y sentent toujours chez eux. Même s’ils n’y ont jamais vécu et qu’ils n’ont plus de famille directe, il y a toujours le petit cousin, le cousin de mon père, le village et ainsi de suite… Je sais que les liens sont plus distendus pour la diaspora libanaise du Sénégal, où les paysages sont peut-être plus variés pour y passer ses vacances!
– La diaspora libanaise possède justement plus de 400.000 ressortissants en Afrique de l’Ouest. Avez-vous des contacts avec vos compatriotes installés dans les autres pays de la sous-région?
On a effectivement de la famille partout. Le Liban est un petit pays où tout le monde se connaît. J’ai des cousins germains qui travaillent à Bamako, à Cotonou, en Côte d’Ivoire. Il y a également des Libanais de mon village qui sont à Lomé, à Abidjan, au Sénégal. On garde toujours le contact. Soit ils passent de temps en temps ici, soit on leur rend visite quand on est de passage là-bas. Je ne vais pas dire que je connais tout le monde, mais si on prend les connaissances des connaissances des connaissances, on atteint facilement des dizaines de milliers de personnes!
– Dans quels secteurs travaillent les Libanais du Faso et quel est leur poids dans l’économie burkinabè?
La majorité des Libanais du Burkina travaillent dans le commerce et l’industrie. Mais à la différence de la Côte d’Ivoire, où ils possèdent depuis quelques années une chambre de commerce dédiée, ce n’est pas facile d’évaluer notre poids dans l’économie nationale. Tout ce que je peux dire, d’après un calcul rapide, c’est que les Libanais emploient directement près de 10.000 travailleurs locaux, tous secteurs confondus. Si on estime ensuite qu’un salaire peut nourrir une dizaine de personnes, disons que presque 100.000 Burkinabè vivent grâce aux emplois que nous avons créés.
– Le Liban est une mosaïque confessionnelle, sociale, politique, et cela se retrouve dans sa diaspora. Dans ces conditions, peut-on véritablement parler de «communauté» libanaise unifiée?
Lorsqu’il y a des fêtes, que ce soit pour célébrer des événements heureux ou malheureux, tout le monde participe. Chacun possède ses propres opinions politiques, mais c’est un vrai mélange et vous ne pouvez pas savoir quelles sont les appartenances partisanes de chacun. La communauté libanaise vit en parfaite symbiose. Quand les chrétiens ont une cérémonie à l’église, les musulmans rentrent. Ils ne prient pas mais ils assistent, et vice versa lors des célébrations du calendrier islamique.
– Le consulat honoraire du Liban a été créé le 27 novembre 2004. Quel est son rôle?
Le consulat joue le même rôle de représentation qu’une ambassade, le côté politique en moins. Je suis invité à toutes les grandes cérémonies, et je peux intervenir auprès du ministère des Affaires étrangères si mon pays me le demande. Certes, je ne participe pas à toutes les réunions entre diplomates, mais lorsqu’un nouveau chancelier est nommé, il vient souvent me voir et je peux lui donner quelques renseignements. Depuis le temps que je suis là, je connais bien certains politiques. Au consulat, nous avons également le pouvoir de faire et de renouveler les passeports, ainsi que d’accomplir certaines formalités. Avant, je remplissais en quelque sorte les fonctions de responsable de la communauté libanaise. Mais c’était difficile car il fallait sans cesse se rendre à Abidjan pour signer des documents. Alors les autorités m’ont demandé si je voulais bien devenir consul, et j’ai accepté.
– N’est-ce pas trop contraignant?
Entre les obligations administratives, les réunions et toutes les cérémonies auxquelles je suis invité, le rôle de consul occupe aujourd’hui plus de la moitié de mon temps. Je suis nommé pour une durée indéterminée, et je peux être démis de mes fonctions seulement si la communauté estime que je ne travaille pas suffisamment. Par ailleurs, je dois financer les activités et toutes les charges de ma poche.
L’immeuble du consulat, c’est celui de ma société. Chaque trimestre, on envoie nos recettes au Trésor libanais, mais on ne reçoit rien en retour. C’est pour cela que les consulats honoraires sont très avantageux pour l’Etat. Ce n’est que lorsque la communauté devient trop importante qu’on est obligé d’ouvrir une ambassade, comme à Abidjan ou à Accra.
– Beaucoup de représentations diplomatiques basées à Ouagadougou sont très actives sur le plan de la coopération. Est-ce votre cas?
Le consulat n’a pas de budget pour cela, et nous le faisons seulement à titre personnel. On intervient par exemple lorsqu’il y a des inondations ou quand l’Etat nous sollicite. Mais ce n’est jamais très visible. C’est pour cela que nous réfléchissons à fonder une ONG ou, si vous préférez, une sorte de «coopération libanaise». On cotiserait dans une caisse commune qui serait ensuite mise à contribution pour construire des cliniques, des écoles, des lieux de culte… Et le tout, sous la bannière de la communauté libanaise.
TO