Quel est l’état actuel de la mise en œuvre des points des engagements du gouvernement à l’issue des négociations gouvernement-syndicats de 2015? Quelles sont les attentes du monde syndical vis-à-vis du nouveau gouvernement? Après la rencontre du Premier ministre avec le monde syndical, Bassolma Bazié, secrétaire général et porte-parole du collectif syndical Confédération générale des travailleurs du Burkina Faso (CGT-B), a accepté de répondre aux questions de L’Economiste du Faso. Voici la teneur de ses réponses.
– L’Economiste du Faso: Comment est organisé le monde syndical, notamment l’Unité d’action syndicale (UAS) ?
Bassolma Bazié, secrétaire général et porte-parole de la CGT-B: L’UAS est constituée de 2 entités, à savoir 6 centrales syndicales et 16 syndicats autonomes.
Les décisions qui engagent l’UAS sont prises par consensus, sur la base de la force de l’argumentaire et non sur la base d’une majorité mécanique. Le Président de mois (PDM) des centrales syndicales parle au nom de l’UAS, mais uniquement en ce qui concerne les décisions consensuelles. Le traitement de toute décision non consensuelle relève de la souveraineté de chaque organisation membre. L’organisation doit nécessairement et honnêtement mentionner que c’est sa position et, par conséquent, en assume l’entière responsabilité.
– Quel est l’état actuel de la mise en œuvre des points des engagements du gouvernement à l’issue des négociations gouvernement-syndicats de 2015?
Nous faisons ce point avec beaucoup de pincements au cœur, parce que le respect de la parole donnée est la chose la plus rare chez nos autorités politiques et c’est vraiment dommage. Il faut toujours être prêt à aller à la confrontation pour avoir des résultats. Par exemple, en dehors de l’arrêté abrogeant celui portant les zones rouges, de la légère diminution des prix des hydrocarbures, de la relecture de la loi 013, tous les autres engagements contenus dans le communiqué final sont restés en l’état.
– Vous avez eu une rencontre avec le nouveau ministre de la Fonction publique. Qu’est-ce qui a été dit au cours de cette rencontre?
La rencontre avec le ministre de la Fonction publique, du Travail et de la Sécurité sociale, Clément P. Sawadogo, le 25 février 2016, était une prise de contact. Mais nous lui avons signifié que nous attendons la mise en œuvre des engagements pris dans le communiqué final, au nom de la continuité de l’Etat. Dans un premier temps, la mise en œuvre de loi 013 relue, la relecture de la loi 028 portant Code du travail, de la loi 027 portant collectivités territoriales, du règlement de la question de l’impact de l’IUTS sur les primes et indemnités des travailleurs dans le privé, des élections professionnelles, etc.
Dans un deuxième temps, la mise en œuvre des protocoles d’accords sectoriels: ministères de la Justice, de l’Economie et des Finances, de la Fonction publique, des Mines, de l’Industrie et du Commerce, de l’Eau (2IE), etc. Enfin, le versement de la subvention accordée aux acteurs sociaux (partis politiques, patronat du privé et syndicats), mais dont la part des syndicats a été bloquée pour l’année 2015 sans nous avoir donné des raisons valables. Est-ce une façon de nous respecter? Comment comprendre qu’on bloque un droit constitutionnel d’un acteur social?
– Quelles sont vos autres attentes vis-à-vis du nouveau gouvernement?
Outre l’application de la loi 2015-081/CNT du 24 novembre 2015 issue de la relecture de la loi 013 et la mise en œuvre des protocoles d’accords sectoriels signés avec les syndicats déjà évoqués plus haut, nos attentes peuvent s’articuler autour des grands points suivants : la justice pour les martyrs de l’insurrection populaire, de la résistance populaire, de même que pour leurs familles; la lutte contre l’impunité des crimes économiques et de sang, contre la fraude, contre la corruption; la lutte contre la vie chère par la diminution conséquente des prix des hydrocarbures; la baisse des prix des produits de première nécessité; l’accessibilité à une éducation et à des soins de qualité par les populations, etc.
Enfin, la lutte pour le renforcement des libertés, de la démocratie: sécurité des populations et de leurs biens, etc., le respect des libertés démocratiques et syndicales (libertés syndicales et politiques, la liberté d’expression, de réunion et de manifestation).
– De nombreux travailleurs sont des absentéistes, des retardataires, des auteurs de corruption, de malversations, etc. Que fait le syndicat en amont pour prévenir ces comportements répréhensibles ?
Les syndicats ne peuvent pas cautionner ces comportements et pratiques contraires aux devoirs, à la morale et à l’éthique. Ce qu’il convient d’observer, c’est qu’ils ont tendance à se développer, chez les jeunes comme chez les moins jeunes. En fait, quand on considère les pratiques de ceux qui nous dirigent et qui devraient donner le bon exemple, lorsqu’on considère l’impunité dont sont couverts les auteurs de vols, de détournements, de crimes divers, on peut dire qu’elles sont cultivées.
Ce que nous faisons, c’est sensibiliser les travailleurs, c’est promouvoir des valeurs comme le goût du travail bien fait, l’honnêteté, la solidarité.
Mais si ceux qui devaient donner l’exemple peuvent se permettre de piller et de narguer l’honnête citoyen, de s’octroyer des avantages indus comme continuer à bénéficier de gros avantages même des mois après avoir quitté leurs postes de ministre, de commettre des malversations et même des crimes de sang et de bénéficier de promotions ou d’une immunité, alors la portée du travail que nous et d’autres forces sociales faisons ne peut qu’être limitée.
Mais nous gardons espoir que la lutte finira par porter, sinon il faut dire adieu à notre foi d’un meilleur avenir pour les travailleurs et le peuple.
Entretien réalisée par Elie KABORE
La question de l’absence de jeunes syndiqués
«Je pense qu’on doit demander sur quelles bases se fait ce constat d’une syndicalisation de plus en plus réduite des jeunes. A la CGT-B, aussi bien dans les secteurs de la Fonction publique qu’au niveau des entreprises privées, ce constat n’est pas vérifié. Ce qu’on constate plutôt c’est une forte demande de cartes et la création de syndicats dans les secteurs qui n’en connaissaient pas (Fonction publique, inspections du travail, jeunesse et emploi, garde de sécurité pénitentiaire, ENAM, finances, secrétaires, etc.). Il est vrai qu’au niveau de certaines entreprises les pressions sur les jeunes travailleurs recrutés peuvent les amener à s’éloigner des syndicats. Il est vrai aussi qu’au niveau de l’informel, la tradition de la syndicalisation n’est pas très forte.
Du reste, l’adhésion à une organisation syndicale se fait de façon libre. L’engagement recommande des sacrifices multiples et multiformes. Il faut donc du courage, de l’esprit de sacrifice, de la discipline pour y tenir. Le travail qui y est exécuté se fait sur la base du bénévolat. Il n’y a pas une rémunération.
Vous comprenez que dans un environnement où les conditions de vie sont de plus en plus difficiles, où la course effrénée vers le gain facile et l’accumulation est davantage accentuée, et cela peu importe la qualité de l’échelle empruntée, où la recherche des solutions faciles et individualistes devient la règle socioprofessionnelle, où la méritocratie n’est plus cultivée, nécessairement l’engagement au service des valeurs de dignité ne peut que s’amenuiser. Mais c’est par l’information, la sensibilisation, l’éducation et surtout l’exemplarité que nous arrivons à convaincre les travailleurs d’adhérer à un syndicat. Car les solutions individualistes ont toujours des limites souvent dramatiques», Bassolma Bazié, secrétaire général et porte-parole de la CGT-B.