Dilemme! Les comités de vigilance et d’auto-défense composés de civils qui assurent la sécurité des personnes et des biens dans les zones reculées, appelés «Koglwéogo», rassurent les uns et intriguent les autres. Au niveau de l’exécutif, on ne cache pas le sentiment que ces associations spontanées, non reconnues légalement, répondent toutefois à un besoin réel de sécurité des populations.
Là, on relève de bonnes pratiques dans les activités des Koglwéogo, notamment en ce qui concerne la collaboration avec les forces de défense et de sécurité. A ce sujet, le ministre de la Sécurité intérieure, Simon Compaoré, confie: «C’est grâce à la participation citoyenne, dont celle des Koglwéogo, que les 29 hommes qui ont attaqué Yimdi (ndlr, dans la nuit du 22 au 23 janvier 2016) ont pu être arrêtés». Cependant, le même exécutif relève que de «graves dérives ont aussi été notées quant aux atteintes aux droits humains et à la pratique d’actes illégaux de police judiciaire».
L’exemple de Sapouy vient corroborer cette position. En effet, le 17 février dernier, des éléments se réclamant des Koglwéogo ont soupçonné deux personnes d’être auteurs de vol de bœufs. Après les avoir interpelées et exercé sur elles des sévices corporels, la mort d’une de ces personnes s’en est suivie. Le Procureur du Faso est entré dans la danse pour l’interpellation et l’audition des mis en cause. Toute chose qui a entrainé une opposition des Koglwéogo qui ont appelé des confrères en renfort, pour s’opposer à l’interpellation et à l’audition des mis en cause. Le renfort de la police nationale arrivé sur les lieux a favorisé le dialogue et la négociation qui ont finalement amené les Koglwéogo à accepter de se rendre au commissariat de ladite localité pour les auditions.
Que faire ? En attendant une approche qui prenne en compte la sensibilisation par la communication dans le sens de les amener à se conformer à la loi, à respecter les droits humains et les procédures judiciaires, le ministre d’Etat en charge de la Sécurité, Simon Compaoré, précise: «Il faut qu’ils (ndlr, Koglwéogo) sachent qu’ils ne sont pas des Officiers de police judiciaire. Ils ne sont pas non plus des magistrats. Donc, quand ils arrêtent une personne, ils doivent la remettre à la gendarmerie ou à la police». Les Koglwéogo sont-ils prêts à remettre leurs voleurs à la gendarmerie ou à la police comme le recommande le gouvernement ? Idrissa Ouédraogo, membre de Koglwéogo-Léo, n’est pas de cet avis: «Si un voleur me prend 25.000 FCFA et je l’attrape pour le remettre à la gendarmerie, il peut être déféré en prison et même payer 10 millions pour sortir d’affaire et moi je n’aurai pas mes 25.000 FCFA. Est-ce normal ?», s’interroge-t-il.
Tout en conseillant à ces comités de vigilance de travailler à se faire reconnaître légalement, le ministre de la Sécurité intérieure ajoute que: «Les Koglwéogo sont utiles, à condition qu’on les mette sur les rails, qu’ils exercent dans un cadre légal et qu’ils n’outrepassassent pas leurs compétences ; le concept koglwéogo est une initiative intéressante, mais qu’il faut canaliser, contrôler, former, suivre, etc.», reconnaît le premier responsable de la Sécurité.
Mais il reste qu’il est impossible d’avoir un policier derrière chaque case, surtout en ces temps d’insécurité. Les populations doivent donc s’organiser. Dans ces genres de situations, les abus et les règlements de comptes sont vite arrivés.
Ainsi les Koglwéogo sont-ils victimes d’attaques. En atteste le cas d’un membre de Koglwéogo qui a vu ses deux femmes égorgées, comme l’a confié le ministre Simon Compaoré.
L’avis de certaines organisations de la société civile est catégorique à ce sujet : « Les Koglwéogo sont une sorte de désordre et de justice privée qui viendront semer davantage d’insécurité dans notre pays », lâche le président de la nouvelle Fédération Libre des OSC (FELIOS), Sidiki Dermé.
Ce dernier propose: «Nous souhaitons que les forces de l’ordre soient plus renforcées et que les populations collaborent de plus en plus en signalant tout cas suspect».
Ce n’est pas l’avis du M21, cet autre mouvement de la société civile que dirige Marcel Tankoano qui déclare : «Le meilleur agent de sécurité reste et demeure la population elle-même». Marcel Tankoano ajoute que «ces structures sont composées de bonnes volontés uniquement». Au niveau des Koglwéogo, leur appréciation de la situation est à la hauteur de leur détermination. Idrissa Ouédraogo, membre de Koglwéogo –Léo (dans la Sissili) témoigne: «Nous avons, par exemple, pu attraper un grand bandit âgé de 58 ans à Léo. Ce dernier a suivi quelqu’un depuis le Ghana (où il était allé vendre du bétail) jusqu’à Léo. Il a réussi à découper la poche du commerçant et à s’enfuir avec son argent. Il a envoyé cette somme à sa femme ici au Burkina. Notre Koglwéogo a pu l’attraper et le bastonner devant la population. Le voleur a rappelé Ouaga pour le rapatriement de l’argent. Il a tout remboursé et il a payé l’amende qui s’élevait à 305.000 FCFA. Après cette scène, nous avons également attrapé un voleur de bœufs. On l’a bastonné et récupéré les bœufs.
Il a aussi payé l’amende. Depuis que nous sommes là, on n’a pas encore appris qu’il y a eu braquage dans notre zone. Quand nous sortons la nuit, nous chantons. Nous n’intervenons pas dans les bagarres, dans les affaires de couple, nous ne combattons que les voleurs. Nous reprouvons un mal en commun: le vol».
Les Kglwéogo ne craignent-ils pas qu’il y ait des brebis galeuses en leur sein et qui seraient prêts à faire des règlements de comptes? Idrissa Ouédraogo avertit: «Si quelqu’un fait ça en notre sein, il sait ce qui l’attend. Personne n’ose s’y aventurer».
Et quand les militants des droits de l’Homme se dressent contre les pratiques des Koglwéogo, Idrissa Ouédraogo de Koglwéogo-Léo est catégorique : «Le père du voleur se trouve parmi les défenseurs des droits de l’Homme». Et de s’expliquer : «Le voleur peut t’intercepter dans la rue, te tuer, prendre tes biens et cela n’offusque pas les défenseurs des droits de l’Homme. Si par contre c’est le fait que nous corrigions ces mêmes voleurs qui les offusque, moi, je considère que ce sont eux les voleurs». De quels fonds disposent les Koglwéogo pour leurs actions ? L’éclairage nous vient toujours de Koglwéogo-Léo: «Nous sommes en mesure de vendre notre mil pour aller attraper un voleur. En plus, avec les amendes infligées, on arrive à satisfaire certaines préoccupations du village et à soigner certains de nos membres. On a une caisse affectée à toutes ces amendes». Et Idrissa Ouédraogo de conclure : «Si nous sommes contre le vol, donnons-nous la main. Mais si nous faisons semblant de lutter contre ce fléau, il va perdurer».
Alexandre Le Grand ROUAMBA
Les amendes infligées par les Koglwéogo
Voleurs et complices subissent la même punition: achat d’une corde à 5.000 F pour être ligoté et fouetté, amende de 15.000 F pour un œuf volé, 50.000 F pour un poulet volé , 150.000 F CFA pour un petit ruminant et 300.000 F pour un bœuf. Au cas où l’animal volé n’est pas retrouvé, il revient au propriétaire de fixer son prix en sus de l’amende. Les syndicats des magistrats, dans une déclaration commune, se sont élevés contre les agissements des Koglwéogo qu’ils considèrent comme une justice parallèle et ont demandé au gouvernement de prendre ses responsabilités.