Tribune

Réformer le paysage du travail – Par Jonas Prising

DAVOS – Alors que l’économie mondiale change à un rythme toujours plus rapide, le marché du travail dans de nombreux pays a non seulement du mal à suivre, mais semble aussi échouer à remplir certaines fonctions importantes. Le chômage élevé coexiste avec des emplois vacants. La hausse de la productivité ne se traduit pas par des salaires plus élevés. Et, pour beaucoup, la mobilité ascendante reste hors de portée, quand bien même l’économie a commencé à se redresser.
Heureusement, les choses semblent commencer à changer. Quatre tendances mondiales sont en train de remodeler le monde du travail, aidant à résoudre les contradictions et à surmonter les dysfonctionnements du marché du travail grâce à l’adaptation progressive des entreprises, travailleurs et gouvernements au nouvel environnement démographique, technologique et économique.
La première tendance est démographique. Dans une grande partie du monde, le vieillissement des sociétés et la baisse des taux de natalité signifient que l’époque où la main-d’œuvre était abondante touche à sa fin. Environ 60% de la population mondiale vivent dans des pays où la main-d’œuvre est en stagnation ou en diminution. La population en âge de travailler de la Chine a atteint un pic en 2010; en 2050, plus d’un quart de sa population aura plus de 65 ans (aujourd’hui, il s’agit de seulement 8%). En Allemagne, la population active devrait diminuer de six millions au cours des 15 prochaines années.
A cause de la raréfaction de la main-d’œuvre, les employeurs et les décideurs politiques sont obligés de réfléchir différemment pour dénicher les talents. Au Japon, où un quart de la population a plus de 65 ans, le Premier ministre Shinzo Abe a défendu un effort de grande ampleur pour attirer davantage de femmes et de travailleurs âgés sur le marché du travail. En conséquence, même si la population japonaise en âge de travailler, selon la définition traditionnelle, a diminué de 8% au cours de la dernière décennie, la baisse de la population active n’a été que de 1%.
Ailleurs, d’autres stratégies pour combler le déficit de main-d’œuvre sont en train d’émerger. Les entreprises aérospatiales, pour faire face à leur main-d’œuvre grisonnante, ont été les premières à expérimenter les heures de travail flexibles, les retraites progressives, les «carrières encore» et une flopée de programmes de transfert de connaissances pour former la prochaine génération d’employés. Les entreprises qui ne peuvent pas trouver le talent dont elles ont besoin dans un pays utilisent les lieux de travail à distance pour employer des gens ailleurs. Enfin, les entreprises font des efforts pour attirer les groupes sous-représentés, comme les femmes, les jeunes, les minorités, les personnes handicapées et les migrants.
Dans le même temps, une autre tendance, la hausse du choix individuel, offre aux travailleurs une flexibilité sans précédent. Avec des millions d’offres d’emploi à portée de clic, il est plus facile de trouver et comparer différents emplois; la plupart des jeunes à l’heure actuelle s’attendent à changer de cap plusieurs fois au cours de leur carrière. Au lieu d’essayer de s’accrocher à un emploi à vie, l’objectif aujourd’hui est de rester employable – développer les compétences, l’expérience et l’expertise nécessaires pour continuer à travailler ou obtenir un meilleur travail, indépendamment de l’employeur.
La troisième tendance qui est en train de remodeler les marchés du travail est l’évolution technologique rapide. Peu d’industries sont à l’abri des perturbations. L’automatisation, facilitée par une meilleure intelligence artificielle, est sur le point d’avoir un impact majeur sur l’emploi. Jusqu’à 47% des emplois qui existaient en 2010 aux États-Unis sont très susceptibles d’être informatisés et de disparaitre du marché au cours des deux prochaines décennies.
Si les choses se passent comme de par le passé, de nouvelles industries et opportunités remplaceront celles qui disparaissent ; néanmoins, la transition sera douloureuse et pourrait durer des décennies.
Et pourtant, il y a des raisons d’être optimiste. Même si la technologie balaie certaines industries, elle facilite l’émergence de nouveaux modèles qui pourraient aider à résoudre certains des problèmes sur le marché du travail. Price waterhouse Coopers estime que les cinq principaux secteurs de l’économie de partage – la finance participative, le recrutement en ligne, l’hébergement entre particuliers, le covoiturage et le streaming de contenus multimédias – pourraient passer d’environ 15 milliards de dollars de revenus aujourd’hui à 335 milliards de dollars d’ici 2025. Bien sûr, l’industrie est petite. Mais elle a néanmoins déclenché un torrent de créativité concentrée sur la question fondamentale de savoir comment mieux adapter l’offre et la demande de main-d’œuvre dans un monde qui évolue plus rapidement.
Une quatrième tendance mondiale évidente sur le marché du travail d’aujourd’hui est l’adoption rapide parmi les employeurs technologiquement sophistiqués de modes de gestion des ressources humaines basés sur les données.
La gestion du talent est passée d’un art à une science, lorsque les organisations ont commencé à appliquer des techniques de metadonnées et de chaîne d’approvisionnement au recrutement et à la rétention des travailleurs. Avec la prolifération de ce qu’on appelle l’analyse des personnes – tests de comportement et d’intelligence, tableaux de bord de performance numérique et meilleurs systèmes d’information – les entreprises connaissent leurs travailleurs comme jamais auparavant. Il est plus facile de voir où les meilleurs talents résident, dans une entreprise, ou là où pourraient se trouver les lacunes.
Les entreprises utilisent ces données pour réfléchir de manière plus stratégique sur la façon d’identifier des talents.
Par exemple, étant donné la difficulté de rester au courant de l’évolution des technologies, les entreprises externalisent de plus en plus la gestion informatique à des tiers experts.
Ceci crée à son tour de nouvelles sources d’efficacité, permettant aux fournisseurs de cyber-sécurité de surveiller les attaques contre un large éventail de clients et de partager des stratégies et solutions.
Le recrutement est un autre domaine dans lequel les entreprises se tournent vers l’externalisation afin d’obtenir une expertise et accroître l’efficacité.

Traduit de l’anglais par Timothée Demont
Copyright: Project Syndicate, 2016.
www.project-syndicate.org


 

De nouvelles opportunités en vue

En conséquence, les salaires et les possibilités sont de plus en plus dictés par les compétences, plutôt que la titularisation. Les travailleurs avec des talents convoités ont plus de pouvoir de négociations, sont mieux à même de gérer leur carrière et d’exiger des salaires plus élevés. Ceux sans compétences en demande luttent et se sentent jetables.
Jusqu’à présent, cette abondance de choix a découragé les entreprises de consacrer des ressources à la formation des employés, qui pourraient, après tout, décider après quelque temps de rejoindre un concurrent. Cependant, puisque une pénurie de talents s’annonce, la nécessité de conserver des employés pourrait faire pencher la balance de nouveau vers un plus grand investissement dans le perfectionnement professionnel. Les employeurs qui offrent des possibilités d’apprentissage deviennent une destination privilégiée pour les travailleurs talentueux.
En bref, je suis optimiste. La période difficile dans laquelle nous nous trouvons créera de nouvelles opportunités. La prise de conscience croissante que les marchés du travail ont changé fondamentalement et définitivement stimulera les décideurs, les employeurs et les travailleurs à relever les nouveaux défis d’une manière qui profitera à tout le monde. Les grands changements ne sont jamais faciles mais, quand ils sont gérés correctement, ils peuvent nous rendre plus forts et améliorer notre situation.

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