A l’occasion de la sortie du dernier numéro (automne 2015) des Perspectives économiques régionale pour l’Afrique subsaharienne du FMI, «Faire face à un environnement qui se dégrade», Jean-Baptiste Le Hen, représentant résident du FMI au Burkina, a accordé une interview à L’Economiste du Faso.
Pour lui, la croissance économique de l’Afrique subsaharienne s’est nettement affaiblie même si on relève des disparités considérables au sein de la région. En ce qui concerne le Burkina, M. Le Hen invite les nouvelles autorités à reprendre au plus vite la lutte contre les incivilités qui ont contribué à la baisse des ressources de l’Etat en 2015 par rapport à ce qui était initialement envisagé.
– L’Economiste du Faso : Le dernier numéro des «Perspectives économiques régionales pour l’Afrique subsaharienne» du FMI semble marquer un changement quant à la vision qu’a le FMI des perspectives économique pour l’Afrique. Est-ce un constat qui vaut pour tout le continent ?
Jean-Baptiste Le Hen, représentant résident du FMI au Burkina: Il est vrai que cette année 2015 aura été celle d’une croissance qui marque le pas, tant pour des raisons propres au continent que pour des raisons relevant de la conjoncture internationale.
La croissance économique de l’Afrique subsaharienne s’est nettement affaiblie, mais on relève des disparités considérables au sein de la région. Si l’activité économique demeure plus soutenue en Afrique subsaharienne que dans beaucoup d’autres régions du monde, la forte dynamique de croissance de ces dernières années s’est dissipée. De ce fait, on attend désormais une croissance de 3,4 % en 2015- le taux le plus faible depuis 2009- puis une légère accélération à 3,6 % en 2016. Ces perspectives globalement difficiles masquent toutefois des disparités considérables au sein de la région :
Dans la plupart des pays à faibles revenus, la croissance économique se maintient grâce à la poursuite des investissements dans les infrastructures et à la consommation privée qui reste soutenue. Mais, même au sein de ce groupe, certains pays pâtissent de la chute des cours des principaux produits de base qu’ils exportent.
Dans les pays exportateurs de pétrole, qui contribuent pour moitié au PIB de la région, la baisse des recettes d’exportation et les ajustements budgétaires sensibles pèsent sur la croissance.
Plusieurs pays à revenus intermédiaires se heurtent aussi à des conditions défavorables dues à des chocs sur l’appareil productif (tels que des pénuries d’électricité en Afrique du Sud, au Ghana et en Zambie), un durcissement des conditions financières et la diminution des cours des produits de base.
– Quels sont les principaux facteurs qui expliquent ce ralentissement de la croissance en Afrique subsaharienne ?
Parmi les facteurs qui ont soutenu la croissance du continent cette dernière décennie, certains sont moins influents depuis cette année. Au cours de la décennie écoulée, le rythme de croissance soutenu de la région s’est appuyé sur une amélioration considérable du climat des affaires et de l’environnement macroéconomique, le niveau élevé des prix des exportations (en particulier pour les pays exportateurs de pétrole) et des conditions financières particulièrement favorables (qui ont stimulé les flux de capitaux et l’investissement). Récemment, toutefois, deux de ces facteurs ont perdu beaucoup de leur vigueur : les cours des produits de base ont chuté et les conditions financières sont devenues moins favorables.
Après une hausse régulière des cours depuis le début des années 2000, le cycle haussier que suivaient les produits de base depuis une dizaine d’années semble avoir pris fin. Ces deux dernières années, les cours de nombreux produits de base exportés par la région ont chuté d’environ 40 à 60 %.
Cette chute a été induite par la baisse rapide et sans doute durable de la demande mondiale de matières premières, conjuguée parfois à une augmentation de l’offre. La chute des cours des produits de base a comprimé les recettes budgétaires et d’exportation de nombreux pays d’Afrique subsaharienne qui exportent essentiellement des produits de base. Étant donné que, d’après les projections, les cours devraient rester faibles pendant toute l’année 2016, les activités minières existantes ont été réduites dans plusieurs pays (Afrique du Sud, Botswana, Guinée, République démocratique du Congo, Sierra Leone et Zambie) et certains nouveaux projets ont été reportés (Côte d’Ivoire).
En outre, les conditions financières mondiales se resserrent progressivement. La normalisation attendue de la politique monétaire aux États-Unis et la réévaluation des risques mondiaux depuis le milieu de l’été ont déjà modifié l’environnement dont ont bénéficié les pays émergents et pré-émergents ces dernières années, qui était caractérisé par une liquidité abondante et des coûts d’emprunt peu élevés. Cette évolution est aussi perceptible en Afrique subsaharienne, même si la région reste financièrement moins intégrée que les autres régions du monde. Après deux années pendant lesquelles les émissions d’euro-obligations ont atteint des niveaux records, les pays de la région ont été peu nombreux à recourir aux marchés internationaux cette année, et les rendements du marché ont augmenté.
– Dans l’environnement dégradé que vous décrivez, quels sont les conséquences à court terme pour les pays de la zone ?
Si l’on compare à la situation telle qu’elle était lors de la crise de 2008, les positions extérieures et budgétaires des pays de la zone sont plus faibles et la dette publique s’accroît dans les pays pré-émergents. Dans cet environnement défavorable, les pays ne disposent généralement que d’amortisseurs limités pour compenser le ralentissement de l’activité. Dans bien des cas, les économies réalisées pendant la période précédente de croissance rapide sont peu élevées.
Beaucoup de pays, en particulier les pays exportateurs de pétrole et les pays pré-émergents, abordent cette période avec des déficits budgétaires et extérieurs plus élevés qu’au début de la crise financière mondiale de 2008. Dans une certaine mesure, surtout pour les pays à faibles revenus, cela s’explique par les efforts louables qui ont été déployés ces dernières années pour moderniser les infrastructures. Cependant, avec des besoins bruts de financement extérieur supérieurs à 10 % du PIB dans beaucoup des grands pays, il est de plus en plus difficile de couvrir ces besoins, car la capacité d’obtenir de nouveaux prêts s’amenuise rapidement.
Ailleurs, en particulier dans les pays exportateurs de pétrole, les besoins de financement augmentent rapidement en raison de l’évolution défavorable des cours des produits de base. Là où les déficits budgétaires sont particulièrement prononcés et où les coûts extérieurs se sont déjà fortement accrus, comme au Ghana et en Zambie, il devient aussi de plus en plus difficile de se tourner vers le marché intérieur.
– Quels sont les outils que les pays ont à leur disposition pour atténuer les risques que vous décrivez, quels sont les «tampons», les variables d’ajustement qui peuvent être utilisés ?
Certains pays ont puisé dans leurs réserves de change, mais la plupart ont laissé leur monnaie se déprécier. Certaines banques centrales sont intervenues pour contenir la volatilité des taux de change, tandis que d’autres, en particulier celles des pays exportateurs de pétrole, ont puisé dans leurs réserves pour lisser l’ajustement à la baisse des cours des produits de base. Certains pays, dont l’Angola et le Nigeria, ont aussi pris des mesures administratives pour endiguer la demande de devises, ce qui entrave fortement les activités du secteur privé. Face à la détérioration marquée des termes de l’échange et à la forte appréciation du dollar, plusieurs pays, en particulier les pays exportateurs de pétrole, dont les monnaies ne sont pas rattachées à l’euro ont laissé leur taux de change s’ajuster. Depuis octobre 2014, le kwanza angolais et le naira nigérian ont perdu respectivement 30 % et 20 % de leur valeur par rapport au dollar. Les monnaies d’un grand nombre de pays pré-émergents se sont aussi dépréciées dans des proportions similaires, ce qui s’explique par un regain d’aversion pour le risque et, dans certains cas, une accentuation des déséquilibres macroéconomiques.
– Identifiez-vous d’autres types de risques ?
Les risques liés à l’insécurité restent prépondérants dans un certain nombre de pays. Les actes de violence perpétrés par Boko Haram et d’autres groupes dans une région qui couvre le Cameroun, le Tchad, le Niger, le Nigeria, le Mali et le Kenya, au-delà des pertes tragiques en vies humaines et des souffrances qu’ils provoquent pour toute la population, pèsent sur l’activité économique, mettant à mal les finances publiques et diminuant les chances de bénéficier d’investissements directs étrangers. La guerre civile au Soudan du Sud continue d’avoir de graves répercussions et l’actualité récente au Burundi et même ici au Burkina Faso nous rappelle que les cycles politiques peuvent encore provoquer des turbulences.
Sur le plan extérieur, compte tenu du rôle particulier de la Chine en tant que partenaire commercial et source de financement pour l’Afrique subsaharienne, un ralentissement plus prononcé de l’activité dans ce pays accentuerait les tensions au sein de la région par divers canaux. Tout d’abord, il tirerait encore plus vers le bas les cours des produits de base. De plus, il pourrait entraîner une nouvelle réévaluation du risque dans les pays émergents. La décélération de la croissance économique en Chine pourrait aussi accentuer le ralentissement mondial des activités manufacturières et des échanges commerciaux, ce qui aurait aussi des répercussions sur la demande extérieure de la région. Une réallocation majeure des actifs financiers à l’échelle mondiale pourrait provoquer des sorties rapides de capitaux des pays pré-émergents de la région en amplifiant les tensions actuelles sur les taux de change.
– Dans ce contexte plus difficile, quelles politiques économiques sont conseillées par le FMI ?
À moyen terme, il reste indispensable de diversifier l’économie et d’accroître la résilience des finances publiques. En particulier, étant donné que les coûts d’emprunt vont s’accroître et que beaucoup de pays de la région n’auront plus accès aux sources de financements concessionnels, la mobilisation des recettes intérieures sera le moyen le plus durable de créer un espace budgétaire, pour continuer de financer les infrastructures indispensables ainsi que les autres besoins de développement, et pour réduire le recours à l’endettement public. En outre, les politiques publiques devront viser à rehausser la compétitivité de la région pour favoriser l’émergence de nouvelles sources de croissance.
D’après des estimations fondées sur des observations internationales, la région dispose encore d’un potentiel inexploité considérable pour accroître ses recettes fiscales. Selon une étude de 2013 (Fenocchietto et Pessino), les observations internationales permettent d’estimer une «frontière fiscale» mondiale qui représente le niveau supérieur des ratios de recettes fiscales théoriquement mobilisables pour un niveau donné de développement économique et institutionnel.
Il ressort de cette analyse que le pays médian d’Afrique subsaharienne pourrait accroître ses recettes fiscales d’environ 3 à 6,5% du PIB. Le potentiel fiscal inexploité apparaît particulièrement vaste en Afrique du Sud, en Angola, au Ghana, au Nigeria et en Tanzanie. Dans les pays exportateurs de pétrole, le besoin de mobiliser davantage de recettes fiscales issues des secteurs non pétroliers se fait particulièrement impérieux compte tenu de la baisse récente des cours du pétrole.
Moyennant des politiques adéquates, la croissance pourrait de nouveau s’accélérer à moyen terme et l’évolution démographique de la région apportera des possibilités de croissance considérables.
La rédaction
Au Burkina, priorité à la lutte contre les incivilités
Quel est l’impact pour le Burkina Faso ? Quelles sont les fragilités du pays face à cet environnement dégradé et quels sont les atouts sur lesquels il faudrait compter ?
Pour M. Le Hen, «l’impact de la baisse des cours des matières premières est négatif pour ce qui est de l’or et du coton, et positif pour ce qui est du pétrole, le Burkina important l’intégralité de ses hydrocarbures.
La baisse des cours de l’or s’est surtout faite vers 2013-2014. Depuis plus d’un an, le cours de l’once d’or exprimé en dollars est resté dans une fourchette de 1.100$-1.200$, avec une légère baisse ces derniers mois. Toutefois, durant la même période, le dollar a connu une appréciation de près de 25%. Cela signifie qu’exprimé en FCFA (ou en Euro, monnaie au taux de change fixe avec le FCFA), le cours de l’or a quasiment cessé de diminuer depuis fin 2013, et est même remonté ces derniers mois.
Certes, le cours de l’once d’or en FCFA n’est pas au niveau de son maximum de 2012, mais la baisse est fortement atténuée. Ajoutons à cela la baisse des prix des hydrocarbures (un facteur de production important dans l’industrie minière), également atténuée par la hausse du dollar mais seulement partiellement, et on s’aperçoit que les deux effets conjugués peuvent être à même de procurer une bouffée d’air pour les mines du Burkina, même si d’autres facteurs rentrent en ligne de compte et peuvent, au cas par cas, fortement atténuer la rentabilité de la mine (teneur en or du minerais, problèmes de sécurité, etc.).
Concernant le coton, la baisse des cours sur les marchés internationaux est de l’ordre de 30% depuis octobre 2014. Toutefois, le dollar s’étant apprécié sur la même période, cette même baisse exprimée en FCFA n’est plus que de l’ordre de 10%. Mais d’autres problèmes propres au secteur cotonnier burkinabè constituent des défis importants pour l’avenir, comme l’abondement du fonds de lissage, les problèmes de longueur de fibre, etc.
Les évènements politiques survenus au Burkina depuis le soulèvement populaire d’octobre 2014 ont également fortement marqué l’environnement. Le coup d’Etat de septembre 2015 a renforcé la prudence des opérateurs privés, sans parler du coût de ces deux semaines de blocage presque total de l’économie du pays. Il est clair que les opérateurs privés et les investisseurs sont dans une position d’attentisme, et cela perdurera tant que les nouvelles autorités (quelles qu’elles soient) n’auront pas été élues, et que le pays n’aura pas repris sa vie normale.
Les nouvelles autorités devront au plus vite reprendre à bras-le-corps un certain nombre de dossiers que les autorités de transition ont commencé à traiter, comme la lutte contre les incivilités qui ont contribué à la baisse des ressources de l’Etat en 2015 par rapport à ce qui était initialement envisagé. Si la croissance économique de 2015 devrait à peine dépasser les 4%, les années qui viennent devraient montrer un retour progressif vers les tendances historiques, avec une croissance qui devait dépasser les 5% en 2016, et continuer progressivement d’augmenter ensuite.
Ce rebond devra toutefois s’opérer, comme on l’a vu, dans un contexte régional et mondial moins favorable, même si le Burkina dispose d’énormes gisements de productivité et que le pays est fortement intégré à la Côte d’Ivoire, une des économies les plus dynamiques du continent».