C’est la première fois que des élections au Burkina vont être observées par une mission de l’Union européenne. Dès le 3 novembre, le contingent des 28 pays membres de l’Union européenne va fouler le sol burkinabè dans le but d’assurer une «observation transparente et impartiale» du scrutin du 29 novembre prochain.
Depuis le 5 septembre, le chef de mission, Tommaso Caprioglio, est sur place à Ouagadougou. Dans l’entretien qui suit, il dit toute l’indépendance de sa mission qui devrait conduire à des conclusions rigoureuses.
– L’Economiste du Faso : Venus pour observer les élections du 11 octobre dernier, les observateurs de l’Union européenne ont plutôt été témoins d’un coup de force. Cela a-t-il marqué les esprits dans votre groupe ?
Tommaso Caprioglio, chef observateur adjoint de la mission d’observation électorale de l’Union européenne : Comme vous le dites si bien, nous sommes arrivés au Burkina le 5 septembre en vue de l’observation des élections couplées du 11 octobre 2015. Malheureusement, les faits du 16 septembre ont changé tous les plans, celui des Burkinabè et le nôtre. Nos observateurs de longue durée qui devaient être déployés dès le 20 septembre, à la veille de l’ouverture de la campagne électorale, sont arrivés au Burkina le jour du coup d’Etat, c’est-à-dire le 16 septembre. Comme vous pouvez l’imaginer, cette situation a eu un gros impact sur eux, parce qu’on a dû les sécuriser immédiatement ici à Ouagadougou à l’hôtel d’où ils ne sont ressortis que une semaine après pour repartir en Europe. Heureusement, les choses se sont stabilisées très rapidement. Nos observateurs vont donc revenir au Burkina le 3 novembre et seront formés sur place pendant 3 jours. Ensuite, ils seront déployés sur l’ensemble des 13 régions du Burkina à partir du 7 novembre, la veille de la nouvelle campagne électorale. C’est donc une situation un peu particulière pour nous, mais la mission est restée dans le pays et a continué ses activités d’une manière un peu plus limitée à cause des contraintes de sécurité. On est vraiment ravi d’avoir eu la possibilité de rester ici et de continuer notre travail.
– Vous limiterez-vous aux chefs-lieux de région ou allez-vous parcourir le Burkina profond pour cette observation ?
Quand je parle des 13 régions, je parle aussi de toutes les circonscriptions. Pour des raisons logistiques, les observateurs seront presque tous basés dans les chefs-lieux de région, mais nos équipes seront mobiles. Elles vont donc privilégier les zones rurales du pays.
Elles seront donc nos antennes et nos yeux en attendant l’arrivée le 24 novembre de la vague des 48 observateurs de courte durée qui viendront se joindre aux 24 observateurs de longue durée. Notre objectif est d’être vraiment un peu partout, avec un équilibre entre zones rurales et urbaines, pour avoir une idée générale de tous les terrains.
– Vos observateurs sont-ils tous issus des pays de l’Union européenne ou comptez-vous parmi eux des observateurs d’autres nationalités ?
L’Union européenne compte actuellement 28 pays membres. Les observateurs viennent presque de tous ces pays. Ils sont donc tous des citoyens européens dont la grande majorité a une grande expérience. C’est aussi notre garantie de neutralité, de transparence et d’impartialité.
– Le coup de force va-t-il amener votre mission à revoir sa stratégie d’observation des élections du 29 novembre?
Rien ne change au plan technique. C’est juste un retard dans le déploiement et dans certaines opérations.
Le contingent reste exactement le même. On va même le renforcer. Outre les 24 de longue durée et les 48 observateurs de courte durée, on aura aussi une délégation du parlement européen composée de 7 députés. On a aussi recruté des diplomates des Etats membres de l’Union européenne en poste à Ouagadougou pour renforcer notre dispositif. On compte pouvoir réunir la centaine d’observateurs.
– La mission restera-t-elle au Burkina jusqu’au dernier acte de ces élections couplées ?
Absolument ! Même en cas de second tour, nous serons là pour l’observation jusqu’à la proclamation des résultats définitifs de tout le processus électoral.
– Pensez-vous que tout pourrait se régler avant la fin de l’année ?
C’est aux Burkinabè d’en décider. Il faut voir s’il y aura un second tour. S’il y a un second tour, il faudra attendre la proclamation des résultats préliminaires et éventuellement évaluer s’il y aura un contentieux, même pour un éventuel second tour. Juste après, quand le Conseil constitutionnel aura dit le dernier mot, c’est en ce moment qu’on aura les résultats définitifs. Si la majorité absolue des Burkinabè décide d’élire dès le premier tour un président, il est clair que ça ira plus vite. S’il faut encore patienter, on aura au moins une assemblée nationale déjà en place.
– Vous êtes au Burkina depuis le 5 septembre. Ce que vous avez déjà observé au sein des populations vous rassure-t-il que ces élections seront apaisées et démocratiques ?
Ce qui est déjà important, c’est que le peuple burkinabè nous a accueillis de manière extraordinaire. C’est la première fois qu’une mission d’observation de l’Union européenne vient au Burkina. Nous avons déjà observé dans plus de 60 pays de par le monde, mais jamais au Burkina Faso. Nous sommes là sur invitation du gouvernement burkinabè. La mission n’est pas là pour certifier quelque chose, mais pour accompagner un processus électoral. Deux jours après la tenue du scrutin, la mission va présenter publiquement ses conclusions préliminaires. Ce sera le moment propice pour une analyse beaucoup plus concrète et en profondeur. Encore une fois, la mission n’est pas là pour s’ingérer dans les affaires internes.
– Des clichés sont très souvent collés aux observateurs qui mentionnent à chaque occasion des «Anomalies qui n’entachent pas la régularité du scrutin». En quoi l’observation de la mission de l’Union européenne va –t-elle différer des autres ?
Je réfute cette assertion. Si vous reprenez certaines déclarations liminaires et rapports de l’Union européenne dans le monde entier, vous allez trouver certes des évaluations positives, mais aussi des évaluations complètement négatives. Nous demandons beaucoup de transparence à la Ceni et à tous les interlocuteurs. Partant de ce fait, les Burkinabè doivent aussi demander une transparence à la mission de l’Union européenne.
Ça, c’est mon engagement personnel, moi qui dirige cette mission. S’il y a des choses à dire, nous les dirons clairement, sans langue de bois. C’est l’avantage d’être une mission indépendante. Notre mission est indépendante des institutions de Bruxelles, indépendante par rapport à la Délégation de l’Union européenne qui est ici au Burkina. Nous ferons donc des appréciations techniques.
– Une mission indépendante invitée par le gouvernement; mais généralement il semble avoir une collusion entre ces missions indépendantes et les autorités qui les invitent…
C’est pour cela que j’insisterai sur notre indépendance financière. La mission d’observation est financée à 100% par l’Union européenne.
– A hauteur de combien de francs ?
Cette mission va nous coûter 3 millions d’euros (ndlr, environ 1, 95 milliard de F CFA). Pour mener une observation professionnelle, il faut des moyens. C’est pour cela que notre mission arrive bien avant le scrutin, qu’elle reste pendant et longtemps après le scrutin. Il ne faut pas confondre notre mission à celles qui arrivent deux jours avant le scrutin et qui repartent parfois même le jour du scrutin. Je suis d’accord avec vous qu’il faut une analyse complète. L’Union européenne n’observe pas l’élection uniquement, mais le processus électoral aussi. Comme on est très gourmand, on ne se contente pas seulement du plat de résistance, mais on veut aussi l’entrée et le dessert. On s’est mis à la table et on prendra du temps. La digestion du processus nécessite du temps, sinon on a mal à l’estomac après. En somme, il faut vivre en direct toutes les étapes du processus. Parfois, les vrais problèmes surviennent après le scrutin. La compilation et la synchronisation des résultats et l’éventuel contentieux électoral revêtent pour nous une importance capitale. L’Union européenne n’est jamais venue observer ici et il faudra s’habituer à une nouvelle méthodologie différente des autres méthodologies connues jusque-là pour éviter les clichés que vous avez évoqués et que je comprends. En tant qu’observateur, je suis désolé de voir que certains de mes collègues d’autres organisations sont attaqués parce qu’on leur reproche d’être seulement restés dans le pays juste pendant 48h et peut-être dans les hôtels. Comprendre un processus suppose sortir sur le terrain, échanger avec les gens, parler avec le peuple. C’est ce que nous faisons.
– A vous écouter, votre mission est exempte de toute tentative de corruption à l’occasion de ces élections. Est-ce cela ?
Je peux vous garantir : il n’y a aucun souci dans ce sens parce que les autorités burkinabè ont un grand respect pour notre indépendance. Je ne suis pas limité dans mes mouvements, je parle avec les candidats, les partis politiques, la société civile, etc. Notre mandat est très clair : nous avons deux protocoles d’accord signés avec le gouvernement et avec la Ceni dans lesquels nos devoirs et nos droits sont clairement définis. Nos observateurs jouissent d’une liberté complète. Une observation libre permet des conclusions libres. Les Burkinabè peuvent se rassurer sur ce point.
– Si vous aviez un souhait à émettre…
L’Union européenne a suffisamment démontré son attachement au Burkina Faso. Le pays est dans une phase de transition qui est cruciale. Mon souhait est que ces élections se déroulent de manière apaisée, tranquille et que le peuple burkinabè soit en mesure d’élire ses nouveaux représentants, que tout se passe dans les règles de l’art ; c’est ce que ce peuple mérite.
Propos recueillis par
Alexandre Le Grand ROUAMBA
Quid des zones rouges ?
Après le coup d’Etat manqué, la France a tracé des zones rouges. La mission de l’Union européenne ira-t-elle dans ces zones pour les besoins de son indépendance et par souci de transparence? Voici l’avis de Tommaso Caprioglio: «Notre mission a une sécurité propre à elle. Nos officiers de sécurité sont en contact avec le gouvernement et avec les ambassades, notamment l’ambassade de France. Il est clair qu’il y aura des mesures de sécurité qui seront prises dans certaines régions. Le but est d’être présent partout, mais il est clair que nous devons évaluer quotidiennement certaines zones avant de décider, car l’important, c’est la sécurité des observateurs. Il faut être réaliste, même si notre engagement est d’être partout».