A l’approche du 1er anniversaire de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014, L’Economiste du Faso a rencontré Pouahoulabou P. K. Victor, président de l’Union des parents des martyrs de l’insurrection populaire, pour évoquer la vie des familles des victimes depuis l’insurrection.
– L’Economiste du Faso : Avez-vous un parent parmi les victimes de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 ?
Pouahoulabou P.K Victor : J’ai perdu un parent, un petit frère du nom de Aouédri Ouébidoua, lors de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre. Garagiste de profession, il est mort à l’âge de 44 ans, laissant derrière lui une veuve et 3 orphelins. Il est mort le 2 novembre 2014, le jour où Saran Sérémé et Kouamé Lougué se sont retrouvés à la télévision nationale. Le Régiment de sécurité présidentielle (RSP) a tiré dans la foule faisant 2 morts et de nombreux blessés.
– Comment est née l’idée de la création de l’Union ?
Les morts des 30 et 31 octobre 2014 étaient amenés à la morgue de l’hôpital Yalgado. On y a dénombré 34 morts dont mon petit frère. Avec les autres parents des victimes présents à l’hôpital Yalgado, nous avons convoqué une assemblée générale pour nous entendre sur les questions relatives à l’enterrement et à la justice.
Un bureau a été mis en place et nous avons travaillé à ramener le gouvernement à la raison sur les conditions d’enterrement des martyrs. Il avait été dit que chacun devrait procéder à l’enterrement de son parent, et nous avons rappelé que le chef d’Etat en son temps, Isaac Zida, les avait qualifiés de martyrs et de ce fait, ils devaient être enterrés avec tous les honneurs.
Malheureusement, de nombreuses familles ont procédé à l’enlèvement de leurs corps et ont procédé à l’enterrement. Suite à nos exigences, on nous a autorisés à choisir nous-mêmes l’endroit pour l’enterrement au cimetière de Gounghin, les cercueils et les dalles.
– Est-ce que les corps de vos parents ont fait l’objet d’autopsies avant leur enterrement ?
Il y a eu des autopsies, mais nous n’étions pas présents. Mais nous croyons à ce que le gouvernement a dit. Je félicite la jeunesse burkinabè qui a bravé les balles assassines en octobre 2014. Une jeunesse qui a accepté de mourir pour la démocratie et pour libérer le peuple burkinabè. Malheureusement, la liste des victimes s’est prolongée avec le coup d’Etat du 16 septembre 2015.On ne pouvait pas imaginer que Gilbert Diendéré pouvait une fois de plus assassiner des Burkinabè. Nous voulons que justice soit rendue le plus rapidement possible.
– Parlant de justice, à quel stade se trouve les dossiers des martyrs ?
Il n’y a pas de grandes avancées au niveau de la justice. Quelques-uns sur les 34 parents de victimes ont été auditionnés par la justice. Le dossier ne semble pas avoir avancé, et d’autres morts sont venus s’ajouter.
Pour l’instant, c’est Me Hervé Kam qui suit le dossier pour l’ensemble des victimes. Nous avons à nos côtés le Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples (MBDHP). Nous comptons beaucoup sur le peuple burkinabè parce que les martyrs sont ceux du Burkina Faso.
– Avez-vous établi des rapports avec les victimes du coup d’Etat du 16 septembre 2015 ?
Nous avons contacté les différents parents. A ce titre, nous avons ensemble organisé la cérémonie d’inhumation des morts. Rien que le 20 octobre 2015, nous nous sommes rencontrés au ministère de l’Administration territoriale et de la décentralisation pour préparer la journée aux martyrs, prévue pour le 31 octobre 2015. Il y aura la décoration à titre posthume de ces victimes. Aussi, nous avons donné notre accord de principe pour la construction des tombes. Mais les parents des victimes s’organisent pour que juste après le 31 octobre, nous puissions organiser une journée spéciale pour nos martyrs entre nous.
– Le gouvernement a mis en place une commission d’enquête indépendante pour les victimes de l’insurrection populaire. Y avez-vous été associés?
Nous avons appris la mise en place de cette commission par le Conseil des ministres à travers les médias, mais nous n’avons pas été associés. Même la commission de réconciliation nationale et des réformes qui a déposé son rapport ne nous a pas rencontrés en tant que premières victimes. Normalement, nous devions avoir un représentant dans la commission d’enquête indépendante et avoir un droit de regard sur le travail qui est fait.
Interview réalisée par Elie KABORE
Coup de gueule : les familles attendent toujours l’indemnisation
Lors de la rencontre avec le ministère de l’Administration territoriale et de la décentralisation le 20 octobre 2015, les parents des victimes ont déploré le fait que depuis l’insurrection populaire, il y a eu des soutiens de la part du ministère de l’Action sociale à travers des dons de vivres et d’argent, mais que toutes les familles des victimes n’ont pas été touchées par ces dons.
Le 30 mai, à la faveur de la journée d’hommage aux martyrs, elles n’ont été mises au courant que 48 heures avant. Aussi, elles ont relevé que l’organisation n’a pas été à la hauteur des morts. Le budget pour son organisation s’élevait à 88 millions de F CFA. Mais chaque famille de victimes n’a reçu que 100.000 F CFA. «Au départ, au ministère, on nous avait proposé une prise en charge de 17.500 F CFA pour les familles vivant à Ouagadougou et 100.000 F CFA pour celles qui viendront des provinces. Personnellement, j’ai refusé cette offre. Les gens se disent que si 88 millions de F CFA ont été débloqués, les familles ont dû toucher une bonne partie. Il n’en est rien», affirme Pouahoulabou P. K Victor.
Enfin, les familles informent que la somme de 150.000 F CFA a été dernièrement donnée pour la scolarité des enfants. Elles ont interpelé le ministre pour que les autorités les associent aux remises de dons. «Nous voulons une prise en charge assez conséquente et de longue durée, parce que certaines familles ont des difficultés. Nous ne pouvons pas être laissés à la merci des gens», soutient-il. Les martyrs n’ont pas choisi de mourir pour prendre de l’argent, mais ils sont morts pour la démocratie et la liberté, conclut Pouahoulabou P. K. Victor.