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Justice militaire : l’épreuve de feu

Le 15 octobre 2015 marque le 28e anniversaire des événements du 15 octobre 1987. 28 ans après, le volet judiciaire fait encore parler de lui. Les lignes commencent à bouger dans la recherche de la vérité sur ces morts du coup d’Etat qui a porté au pouvoir Blaise Compaoré, chassé du pouvoir le 31 octobre 2014. Au centre de tous les intérêts, la justice militaire est pratiquement dos au mur. Les dossiers sont brûlants, les enjeux et les implications ne le sont pas moins. Deux rapports sont disponibles pour savoir ce qui s’est passé ce 15 octobre 87. Reste un seul, celui des tests ADN. La justice militaire se réveille-t-elle enfin ?
Rarement, elle a été autant sollicitée, sinon éveillée. Longtemps interpellée, elle se mettait difficilement en branle. Il a fallu l’insurrection des 30 et 31 octobre 2014 et le départ de Blaise Compaoré pour que l’institution connaisse un véritable coup de fouet. Depuis que la demande a été formulée à l’endroit de cette institution pour rouvrir le dossier Thomas Sankara, c’est un véritable branle-bas que l’on constate.
Ouverture des supposées tombes, expertises, auditions et inculpations, ça bouge! Et ce sont des dossiers d’Etat qu’elle devrait connaitre. Si l’affaire des assassinats du 15 octobre 1987 était bien connue, celui de la tentative de coup d’Etat du Général Gilbert Diendéré vient alourdir le travail des juges d’instruction.
Les juges militaires n’auront plus à se tourner les pouces dans leur palais resté longtemps désespérément vide et non fréquenté.

«Assassinats d’origine criminelle»
Le premier dossier est le plus emblématique et le plus attendu. On se souvient que c’est le gouvernement de la transition qui avait demandé la réouverture du dossier en souffrance depuis plus de 15 ans.
Sitôt ouvert, le juge François Yaméogo a été commis d’instruire le dossier. Pas de temps à perdre. Il donnera un coup d’accélérateur permettant l’ouverture des supposées tombes pour des expertises et de tests scientifiques.

Me Bénéwendé Sankara, l’un des avocats de la famille Sankara. (DR)
Me Bénéwendé Sankara, l’un des avocats de la famille Sankara. (DR)

C’est ce 13 octobre 2015 que le juge a communiqué les conclusions de deux rapports d’expertise sur trois prévus. Les premières conclusions édifient sur les circonstances des assassinats du 15 octobre 1987. Sous réserve des conclusions des tests ADN, l’un des avocats de la famille du père de la révolution burkinabè, Me Bénéwendé Sankara, marque des signes d’espoir. «Je suis confiant. Il y a beaucoup d’éléments qui concourent à dire que c’est le corps de Thomas Sankara, mais il faut encore les résultats des tests ADN», confie-t-il aux journalistes qui ont fait le pied de grue pendant cinq heures.
De plus en plus, les doutes font place à des certitudes et à des évidences. A en croire l’un des avocats, la conviction est faite que «les assassinats perpétrés le 15 octobre 1987 sont d’origine criminelle et les balistiques ont prouvé qu’il s’agissait principalement d’armes à feu, puisqu’on a trouvé des projectiles qui ont prouvé qu’effectivement ce sont des balles qui ont été tirées et qui ont fait des orifices sur les restes qui ont été expertisés». Les types d’armes sont aussi connus : des G3, des Kalachnikovs, des pistolets automatiques et même des grenades.
Le corps exhumé dans la supposée tombe de Thomas Sankara a été littéralement été criblé de balles selon les avocats et au regard du contenu des deux rapports rendus disponibles.
Une dizaine d’impacts a été enregistrée. A la poitrine, aux jambes, aux bras et mêmes sous les aisselles, des impacts ont été retrouvés. «Ce qui montre qu’il avait certainement levé les bras, si en tout cas c’est bien lui», précise Me Ambroise Farama, l’un des avocats de la famille Sankara.
D’où la conviction que Thomas Sankara, si c’était vraiment lui, a marqué sa volonté de se rendre quand sont arrivés ses bourreaux. Ce qui bat déjà en brèche les arguments aux premières heures de l’assassinat qui évoquaient une tentative de résistance de la part du capitaine Thomas Sankara.
Quant à ses compagnons d’infortune du 15 octobre 87, les rapports indiquent que des impacts de balles ont aussi été retrouvés sur les corps. Seulement, ils n’ont pas la même ampleur que sur le corps supposé de Sankara. Du côté des conseils, il y a de l’évolution.

La justice militaire très attendue. (DR)
La justice militaire très attendue. (DR)

Le putsch a alourdi les dossiers
L’autre gros dossier qui attend cette juridiction qui semble renaitre de ses cendres, c’est la tentative de putsch du Général Gilbert Diendéré. D’abord ouvert au civil par le Procureur général, le dossier a ensuite été transféré à la justice militaire qui en hérite entièrement. Là aussi, des instructions sont en cours et les deux premiers déférés, les Généraux Gilbert Diendéré et Djibrill Bassolé, y comparaitront.

Ce sont autant de dossiers brûlants. La justice militaire est très attendue. Elle montre sa volonté de conduire de façon professionnelle ces dossiers. Le tout nouveau directeur de la justice militaire, le Colonel Sita Sangaré, dit ne pas vouloir faire de la justice-spectacle. C’est prudent. Il entend conduire dans la sérénité ces affaires. Pour lui, même si les justiciables, dans le contexte actuel, semblent sceptiques, le défi majeur sera de rendre la justice militaire crédible.
L’on se souvient que son précédent directeur, Sidi Paré, avait été promu ministre de la Sécurité en remplacement du ministre Auguste Barry. Suspecté d’être la taupe des putschistes du CND et ayant été un des cerveaux du CND, il sera limogé. Poursuivi lui aussi dans la tentative du putsch, il sera de toute évidence bientôt entendu par ses anciens collègues de la justice militaire.
Si une culpabilité de l’éphémère ministre de la Sécurité Sidi Paré est avérée, il n’est pas exclu que son nom soit cité dans le piétinement de l’ouverture du dossier Thomas Sankara depuis années, ayant usé de son positionnement pour servir ceux qui sont devenus plus tard des putschistes.
Les connexions entre le dossier des assassinats du 15 octobre 87 et le putsch ne sont donc pas à exclure, mais leurs instructions restent pour le moment distinctes. Le Colonel Sita Sangaré, et partant toute l’institution, a donc un gros challenge à relever : crédibiliser la justice militaire. Cette justice sera-t-elle à la hauteur des attentes?
Jean Baptiste OUEDRAOGO


 

Inculpations

Selon l’un des conseils de la famille Sankara, les inculpations ont commencé, mais l’instruction se poursuit. Ils sont déjà 8 ou 9 à avoir été inculpés. Parmi eux, certains sont déférés. A l’audience de communication des résultats des expertises, certains inculpés étaient présents en compagnie de leurs avocats. La majorité se trouve être des militaire de l’ex-RSP. Quelques noms d’inculpés circulent :
• Nabonswendé Ouédraogo
• Wampasba Nacoulma
• Le Médecin-Colonel Alidou Diébré (pour faux en écriture publique)
• Simon Kafando
• Adjudant Hyacinthe Kafando (en fuite)
• Général Gilbert Diendéré ? (« Pas souvenance pour le moment »
dixit Me Sankara).


Sita Sangaré: le directeur de la justice militaire

Le tout nouveau patron de la justice militaire, Colonel Sita Sangaré, promet une justice crédible. (DR)
Le tout nouveau patron de la justice militaire, Colonel Sita Sangaré, promet une justice crédible. (DR)

C’est le Colonel Sita Sangaré, magistrat militaire de première classe, qui a été nommé directeur de la justice militaire, le 28 septembre 2015, et a été installé dans ses fonctions le 12 octobre 2015. Deux importants dossiers l’attendent : l’affaire Thomas Sankara et l’affaire du coup d’Etat du 16 septembre 2015.
Mais le premier cas qu’il a eu à gérer a concerné les rumeurs sur la levée du gel des avoirs de certaines personnalités. Interviewé par des confrères de Burkina 24, le 12 octobre dernier, il s’en défendait. «Il s’agit simplement d’une incompréhension, sinon les avoirs n’ont jamais été dégelés. C’est une mauvaise communication qui a pu laisser croire cela. Lorsque le juge d’instruction civil qui avait été saisi du dossier s’est déclaré incompétent, il a transféré tous les éléments de la procédure qui étaient en sa possession au tribunal militaire. Et les juges d’instruction militaires saisis à ce niveau ont confirmé l’ordonnance de gel», affirmait-il alors.
La tâche du directeur de la justice militaire s’annonce ardue surtout que les Burkinabè sont de plus en plus avides de justice (confère la 6e série de l’Afrobaromètre. Ndlr lire pages centrales votre hebdomadaire).


Amnesty International
Pas d’amnistie pour des soldats ayant tué des civils non armés

Le 14 octobre dernier, l’ONG Amnesty International conviait la presse à une conférence de presse lors de laquelle ont été exposés les détails de l’enquête sur la mort des personnes dans les jours qui ont suivi le coup d’Etat du 16 septembre dernier. Cette enquête a conclu que 14 manifestants et passants avaient été tués par des tirs d’armes automatiques imputables à des membres du RSP.
«Aucune des victimes, dont deux enfants, n’était armée ni ne représentait une menace pour les forces de sécurité», affirme le communiqué de l’ONG. Pour ce faire, elle appelle à une commission d’enquête sur les violations des droits humains récentes et passées.
«Que des soldats ouvrent le feu sur une foule de manifestants non armés, dont des enfants, avec des armes automatiques, est un flagrant usage excessif de la force qui constitue un crime de droit international», a déclaré Alioune Tine, directeur pour l’Afrique de l’Ouest à Amnesty International.
Sur les 14 personnes tuées à Ouagadougou entre les 16 et 20 septembre, six avaient participé à des manifestations pacifiques contre le coup d’État. De nombreux témoins ont confirmé qu’à plusieurs reprises, les manifestants levaient les mains en l’air. Alors qu’ils affichaient clairement leurs intentions pacifiques, les soldats ont ouvert le feu sans sommation, selon Amnesty International.
Selon des éléments médicaux relatifs à un certain nombre de cas dont a eu connaissance Amnesty International, six victimes se sont fait tirer dans le dos. Des témoins ont confirmé qu’elles avaient été tuées alors qu’elles tentaient d’échapper aux forces de sécurité. D’autres personnes sont mortes de balles reçues à la tête, à la poitrine ou au thorax, ce qui indique que les soldats qui ont ouvert le feu n’ont pas tenté de réduire le risque de blessures mortelles.
Selon les chiffres du gouvernement, 271 personnes ont été blessées durant les violences qui ont fait suite au coup d’État. D’après les documents médicaux consultés par Amnesty International, un grand nombre d’entre elles a été blessé par des tirs à balles réelles, tandis que des vidéos et des témoins confirment que d’autres ont été fouettées et frappées par le RSP.
S’appuyant sur les éléments de preuve recueillis, Amnesty International a soumis une note aux autorités de transition demandant l’élargissement du mandat prévu de la Commission d’enquête afin que celle-ci enquête sur ces homicides et sur d’autres atteintes aux droits humains, notamment sur les 10 manifestants abattus lors des rassemblements d’octobre 2014, et sur les meurtres de Thomas Sankara et de Norbert Zongo.

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