Il est le porte-parole du Front pour le renforcement de la citoyenneté (FRC) qui regroupe un certain nombre d’organisations de la société civile. Ancien diplomate à la retraite, mais actif sur le terrain de la défense de la démocratie, Ismaël Diallo livre dans les lignes qui suivent son analyse sur le coup d’Etat qui a été perpétré le 16 septembre dernier et qui a foiré dès le 22 septembre avec la reprise en main du pouvoir par le président Michel Kafando.
Dans l’entretien qui suit, et qui a été réalisé au lendemain de la libération du camp de l’ex-Régiment de sécurité présidentielle (RSP) et de l’arrestation du Général Diendéré intervenue le 1er octobre dernier, il ne passe pas par quatre chemins pour asséner ses vérités. Un quart d’heure avec un homme de conviction qui appelle à la vigilance car, dit-il, «la crise n’est pas derrière nous» et il souhaite que le Général soit loquace devant les juges.
– L’Economiste du Faso : Vous attendiez-vous à un coup de force avant la fin de la transition au Burkina Faso?
Ismaël Diallo (porte-parole du Front pour le renforcement de la citoyenneté): Les rumeurs circulaient et certaines personnes étaient bien informées de cette éventualité. L’expérience de la vie m’a amené à m’attendre à tout et à tout moment; au meilleur comme au pire. J’ai tellement fait des champs d’opération ici et là que rien ne m’étonne dorénavant. On apprend que même le 15 septembre, les plus hautes autorités étaient informées qu’un putsch se préparait. Qu’est-ce que le chef de l’Etat a fait ? Qu’est-ce que le Premier ministre a fait ? Qu’est-ce que le chef d’état-major général des armées a fait ?
– Peut-être qu’ils n’avaient plus rien à faire, à 24h du coup …
S’ils n’avaient pas les moyens de faire quelque chose, ils avaient la meilleure et l’extrême mesure : le peuple ! Ils auraient dû alerter le peuple de ce qui allait se passer. Ce peuple allait se mettre debout et les comploteurs allaient reculer.
– On dit souvent que derrière un coup d’Etat il y a toujours une main civile. Cela se vérifie-t-il dans la situation du Burkina ?
C’est malheureusement vrai !
– Et quelle est cette main civile, selon vous ? Où se tourne votre regard?
Vers la Côte d’Ivoire ! Je le dis de manière candide. Il faut que des langues se délient ici et ailleurs. Il y a beaucoup qui ont mangé dans la main de Blaise et qui auraient du mal à lui dire «non».
– Cela explique-t-il le silence du voisin ivoirien par rapport à ce coup de force?
Quand il y a eu un coup d’Etat au Mali, Alassane Ouattara s’est empressé de voler vers Bamako et y a intimé l’ordre au capitaine Sanogo de rendre le pouvoir immédiatement et sans rechigner. Et quand il s’est agi du Burkina, il a dit que c’est une affaire intérieure au Burkina. Alors, c’est très clair. N’importe quel ignorant comprend.
– Certains observateurs se disent troublés par la coïncidence des faits: le jour du coup coïncidait avec le jour où les résultats de l’autopsie des restes du président Thomas Sankara devaient être communiqués. Etes-vous aussi troublés par cette coïncidence ?
Voici une des véritables raisons du coup d’Etat.
– Pourquoi ?
Parce que le Général putschiste et d’autres savent très bien que la justice va les interpeller et ils savent très bien qu’ils vont finir en prison. Je disais à un ami que si le Général Diendéré était un soldat japonais, il se serait suicidé. Mais il n’est pas Japonais et nous ne sommes pas au Japon.
– D’aucuns pensent que le putsch a rendu beaucoup service à l’unité nationale et a permis de dissoudre le RSP; dissolution longtemps réclamée par nombre d’acteurs…
Nous faisons tous des calculs dans nos projets. Beaucoup d’entre nous oublient qu’il y a toujours une force supérieure à tous nos plans et à toutes nos volontés : c’est la force divine. Si le coup a échoué, ce n’est pas du fait d’un individu ou d’un groupe d’individus. C’est la volonté divine.
Il ne faudra pas que quelqu’un prétende aujourd’hui qu’il est responsable de l’échec du coup d’Etat. Ceux qui l’ont organisé avaient tout planifié et avaient toutes les cartes en main, sauf une.
– Laquelle ?
La force divine.
– On a parlé entre-temps d’amnistie du côté de la Cedeao. Le Général a reconnu son tort et présenté ses regrets au peuple. Cela peut-il être mis dans la balance ?
Ça, c’est extraordinaire ! Je l’admire pour cela. D’autres devraient faire comme lui. Mais le fait qu’il ait fait ça ne l’absout pas. Vu la gravité de son action, il aurait dû se rendre aussitôt après cette déclaration. Je n’ai rien contre l’homme. Depuis que je le connais, nous avons eu de bons rapports.
Nous ne sommes pas des camarades, mais chaque fois que nous nous rencontrions, il y avait de la courtoisie et un respect mutuel.
Je l’admire pour le fait qu’il ait pris la responsabilité de tout, mais encore une fois, ça ne l’absout pas. Si j’avais une autorité quelconque, après avoir entendu ses propos, je me serais mis au garde-à-vous pour lui dire : «Bravo mon Général pour ce que vous venez de dire!». Et juste après, j’allais ordonner : «Arrêtez-le !»
– Pensez-vous que la crise est derrière nous ?
Non !
– Et pourquoi ?
On est encore au milieu du gué. On n’est pas encore sorti d’affaire.
– A quoi pensez-vous exactement ?
Tout est encore possible parce que jusque-là on n’a pris que des demi-mesures. Depuis 28 ans, on a développé la mentalité de «un pas en avant et deux pas en arrière».
– Que faudrait-il donc faire pour que la crise soit effectivement derrière nous ?
Il faut démasquer toutes les complicités, intérieures comme extérieures. Si on est incapable de le faire, qu’on nous le dise !
– Le fait de trouver refuge dans une ambassade du Vatican est-il symbolique ?
Peut-être qu’il est allé là-bas pour ne pas embarrasser un pays qui a des rapports bilatéraux avec le Burkina. Ou alors la Nonciature apostolique était sur une liste qu’il avait comme endroit où il pouvait aller se réfugier.
– Maintenant que le Général est aux arrêts depuis le 1er octobre dernier, quel est votre commentaire ?
J’imagine que la Nonciature apostolique et l’Eglise catholique du Burkina sont dans l’embarras. Surtout que l’Eglise catholique a eu une hauteur de vue depuis des années et a dit les choses comme elles sont et rappelé au pouvoir déchu et à l’ex-Rsp toutes les errances dans lesquelles ils étaient. Aller se refugier là-bas est vraiment embarrassant pour la Nonciature et l’Eglise. Mais la Nonciature apostolique n’avait pas le choix ou du moins avait trois options. Soit elle gardait le Général dans ses locaux pendant longtemps, chose que les gens n’allaient pas accepter, soit elle l’aidait à partir (là aussi les gens ne l’auraient pas admis), soit elle le livrait en demandant des garanties. Et c’est cette dernière option que la Nonciature a retenue.
Ceci dit, ce qui devait arriver est arrivé. Espérons qu’il soit loquace devant les juges. Il est important qu’il coopère. On ne peut pas écrire l’histoire du Burkina de ces 30 dernières années sans sa contribution . Il est important qu’il raconte sa part de l’histoire de ce pays. Il faut qu’il dise tout ce qu’il sait depuis novembre 1982 (ndlr, le coup d’Etat du CSP1 contre le CMPRN). C’est à partir de cette date que les jeunes militaires sont véritablement venus aux affaires. C’est vraiment une bonne chose qu’il soit aux mains des autorités.
Mais il faudra faire attention pour qu’il ne soit pas liquidé par ses amis, car ce n’est pas sûr que tous ses amis veuillent qu’il parle aujourd’hui. Ses amis sont partout : peut-être en Côte d’Ivoire, peut-être en France. Il y a d’autres milieux dans d’autres pays qui ne souhaiteraient pas qu’il parle.
– Son appel à déposer les armes lancé par voie de radio le jour de l’assaut est-il venu à temps ou en retard ?
Trop tard ! Il n’aurait même pas dû faire le coup d’Etat. Il dit qu’il porte toute la responsabilité de ce coup, mais je doute fort qu’il ait pris la décision tout seul de le faire.
– Un autre Général, Djibrill Bassolé, est aux arrêts depuis la matinée du 30 septembre. Voyez-vous un lien entre ce fait et la situation actuelle ?
Le Général Gilbert semble disculper le Général Bassolé dans cette affaire. Dans ce cas, sur quoi se fondent les autorités nationales pour l’interpeller ? On attend de voir.
– A l’étape actuelle, que reste-t-il à faire aux autorités de la transition ?
Il faut s’assurer que tous les éléments du RSP sont localisés. Tous ceux qu’on a pris ou qui se sont rendus doivent être traités convenablement dans l’attente de leur jugement. Il faut que la Justice militaire fasse son travail. Cette situation nous donne l’occasion de penser à nouveau à la refondation de l’armée. Il faut une relecture des textes de l’armée afin qu’il n’y ait plus une unité autonome au point d’être une armée dans l’armée. Ça nous donne également l’occasion de ramener notre pays à avant janvier 1966 quand l’armée n’était pas dans les affaires politiques. Il faut que chaque soldat comprenne que lorsqu’on est militaire ou qu’on porte un uniforme, on ne se mêle pas de la politique. Il faudra aussi qu’on s’assure que la classe politique ne va pas se donner aux militaires. On n’a plus besoin de militaires dans un gouvernement. On n’en a pas besoin. Chacun n’a qu’à faire son travail. La force suprême a réglé tout en même temps. C’est à nous maintenant de saisir l’opportunité de ce qui arrive pour revoir le fonctionnement institutionnel, politique, administratif de notre pays.
– A l’occasion de cette crise, certains partis politiques ont hésité à condamner le coup, d’autres ne l’ont pas condamné, tout comme certains ont été clairs dans la condamnation. Quelle analyse faites-vous de l’attitude des partis politiques à l’occasion de ce coup d’Etat ?
Voici une occasion pour que les Burkinabè fassent un audit des partis politiques pour voter en conséquence. Il ne faut pas voter mécaniquement en se basant sur le copinage, l’ethnie ou la religion. Il faut des votes intelligents. Qui a été pour le coup d’Etat, qui a été contre ? Qui s’est opposé violemment à ce coup d’Etat ?
– Quels conseils le doyen que vous êtes avez à donner aux différents acteurs de la scène politique burkinabè?
Ce qui est arrivé prouve que le Burkina est en révolution. Le peuple burkinabè est dorénavant un peuple rebelle à la soumission, rebelle à la dictature, rebelle à toute sorte de complicité et de forfaiture. Il faudrait maintenant que nous allions plus avant en nous libérant d’autres contraintes consistant à mettre nos relations personnelles avant le droit. Nous devons mettre fin à ce faux concept de pardon qu’on concocte avant la justice. La justice ne peut pas être passée en pertes et profits si l’on veut une véritable réconciliation ou un véritable Etat de droit.
Propos recueillis par S.A.R
Des prétextes pour un coup d’Etat
Ismaël Diallo n’est pas convaincu par les raisons avancées par les putschistes pour perpétrer le coup d’Etat. «La première raison s’appuyant sur l’inclusion ou l’exclusion est l’expression d’une mauvaise foi car aucun parti politique n’a été exclu des élections ; 41 candidats sur près de 3.000 ont été exclus et ce en conformité aux textes de la Cedeao et de l’Union africaine», dit-il.
«Alors, ce n’était pas une raison pour faire le coup, mais un prétexte» conclu l’ancien diplomate avant d’ajouter : «Ils ont parlé aussi des lois votées en rapport avec les médias» et qui ont soulevé un tollé. Là aussi, se convainc Ismaël Diallo, «c’est un mensonge. C’était une manière de faire taire les journalistes ou de les amener à hésiter à condamner le coup d’Etat. En vérité, ce qui s’est passé après prouve qu’ils n’ont aucune sympathie pour la presse».