La société civile garde un œil sur les activités minières. La pionnière dans ce secteur reste l’ONG Orcade qui depuis plus d’une dizaine d’années tente de faire le lien entre les communautés riveraines, les projets miniers et les autorités, pour une exploitation gagnant-gagnant. Jonas Hien, secrétaire exécutif par intérim de cette ONG, répond à nos questions sur les relations entre les communautés et les sociétés minières et met le doigt sur la mauvaise communication.
– L’Economiste du Faso : Quel est le point sur les crises majeures vécues sur le terrain ?
Jonas Hien, secrétaire exécutif par intérim de l’ONG Orcade : Depuis quelques années, il y a eu pas mal de mouvements d’humeur sur les sites miniers entre les populations et les sociétés. A l’analyse de ceux-ci, nous nous rendons compte que c’est plus un problème d’information et de communication. Nous avons constaté que les entreprises arrivent et s’installent sans préparation préalable en termes de bonne communication afin que les populations comprennent bien ce qui se passe : qui sommes-nous, pourquoi nous sommes là, ce que nous attendons de vous, voilà ce qu’on peut faire ensemble, comment fait-on pour gérer telle ou telle situation, etc.
Dès lors que ce contact permanent en termes d’information fait défaut, pour les populations, l’entreprise exploite de l’or, se fait de l’argent et elles veulent elles aussi en profiter, sans rien comprendre du cycle minier. Ce qui fait que les communautés déchantent souvent très rapidement.
– Mais il y a quand même quelques sociétés qui communiquent sur ces sujets-là ?
Le peu de sociétés qui le fait au départ ne le fait pas de la meilleure façon, parce qu’on laisse croire le plus souvent que les jeunes auront des emplois, des infrastructures seront réalisées, etc. Quand cela ne vient pas ou tarde à arriver, des frustrations naissent et peuvent conduire aux mouvements d’humeur.
– Quelle est votre contribution justement pour améliorer ce climat de l’exploitation ?
Ce que nous faisons, c’est d’aller à la rencontre des populations riveraines des mines et de leur apporter l’information sur le processus d’installation des mines industrielles, comment elles fonctionnent et quels sont les droits et les devoirs des parties en présence et surtout qu’est-ce qu’elles peuvent exiger ou pas des miniers, parce que leurs activités sont bien encadrées.
Cette action a permis peu à peu aux populations de comprendre les enjeux et surtout de mieux défendre leurs intérêts et savoir faire le plaidoyer en lieu et place de la violence pour revendiquer. Mais il convient aujourd’hui de regarder le comportement de certaines sociétés minières qui sont de nature à entretenir les conflits.
– Avez-vous des exemples de crises emblématiques dans ce secteur ?
Je pense que tous les sites ont eu chacun à gérer des crises. Les cas les plus criards concernent Gryphon où les populations s’en sont prises directement aux travailleurs, obligeant la mine à fermer temporairement. Il a fallu que nous allions sur le terrain pour faire la sensibilisation afin que le calme revienne. Finalement, de concert avec la mine et les autorités locales, un cadre de concertation a été mis en place pour gérer les crises. Ce cadre regroupe tous les acteurs de la localité et il fonctionne bien jusqu’aujourd’hui.
L’autre exemple, c’est Essakane qui, quoi qu’on dise, a connu aussi des crises en son temps. Là aussi, le cadre de concertation mis en place fonctionne bien. Le dernier cas c’est Inata où on a vu un conflit qui a touché même les travailleurs. Notre objectif, c’est d’arriver à une exploitation apaisée des sites. Mais ces derniers temps, vous avez constaté vous-mêmes qu’il y a un regain de conflits sur les sites miniers. C’est un peu l’effet insurrection. C’est le lieu de redoubler de vigilance en termes de communication et de dialogue social. Et je pense que les sociétés minières ont pris conscience de cela.
– Les entreprises minières ont des obligations sociales vis-à-vis des communautés, comment en faire le suivi ?
C’est une question à résoudre parce qu’une fois les titres délivrés aux miniers, l’Etat les livre aux populations et personne ne suit les opérations ni les cahiers de charges pour dire ce qui doit être fait et à quel moment au profit des populations. Nous, société civile, nous ne venons qu’en complément de l’action de contrôle que l’Etat doit exercer sur ces sociétés minières. Nous n’avons pas la prétention de résoudre tous les problèmes. Si chacun fait son boulot, on évitera certains problèmes.
C’est pareil pour la RSE. Entre ce que les miniers engrangent et ce qu’ils font sur le terrain en matière de RSE, il y a un écart. Réhabiliter un CSPS, former des jeunes, etc. C’est bien, mais j’estime que c’est de la poudre aux yeux. Ces actions de type volontaire n’ont pas beaucoup d’impacts à nos yeux. Je pense que si le contrôle était efficace et que ces sociétés s’acquittaient effectivement de leurs impôts et taxes; et que l’Etat à son tour les gérait efficacement au profit des populations, on n’aurait pas besoin de tout ceci. Il y a beaucoup plus de bruits sur la RSE que de réel développement. Quand on déplace un village et qu’on le reloge en dur, c’est un droit, ce n’est pas une faveur. Nous pensons que sur ce volet, les sociétés minières peuvent mieux faire.
– Vous croyez à l’application effective du nouveau code minier ?
Il faut dire que la mise en œuvre de l’ancien code n’a pas été bien suivie. Je pense que nous avons tiré leçon de cela et, vu tous les efforts consentis pour permettre l’adoption du nouveau code, il faut que nous nous donnions les moyens de suivre sa mise en œuvre.
Il y a la question du taux de 1% du chiffre d’affaires, les audits environnementaux tous les deux ans sur chaque site, la mise en œuvre de la responsabilité sociale, etc. Ce qui est sûr, c’est que la société civile va se donner les moyens de suivre les aspects qui concernent les communautés.
Entretien réalisé par Abdoulaye TAO
Orpaillage : La CONAPEM réfléchit à son avenir
Les exploitants de petites mines ne veulent pas rester en marge de la dynamisation du secteur minier voulue par le gouvernement. A cet effet, la Corporation nationale des artisans et exploitants de la petite mine (CONAPEM) a tenu une assemblée générale le 5 septembre dernier. Etait au cœur des échanges, les difficultés qui minent le secteur et les perspectives de financement.
La baisse du coût de l’or, la fièvre à virus Ebola, la crise politique ayant conduit à l’insurrection populaire, les actes de vandalisme vécus par certaines sociétés minières sont, entre autres, les problèmes auxquels les exploitants de la petite mine font face. Cette situation a conduit à des suspensions, baisse de la production et surtout à la perte d’emplois, comme l’a expliqué le président de la CONAPEM, Baba Hamidou Traoré.
Outre ces difficultés, les membres de la corporation ont regretté la non-participation de certains membres aux activités de l’association, notamment aux cotisations. «Nous sommes 200 membres, regroupant des orpailleurs, des vendeurs de machines entrant dans la recherche de l’or, des détendeurs de permis d’exploitation semi-mécanisée et des acheteurs d’or. Mais lorsqu’ il s’agit de cotiser, ils ne mettent pas la main à la poche», regrette le président. A la question de savoir comment avoir des financements étant donné que la CONAPEM est une association à but non lucratif vivant des cotisations, le président répond : «Il faut qu’on crée des activités qui vont nous permettre de renflouer les caisses. Il faut aussi qu’on élabore des projets pour avoir des financements auprès des institutions comme le Projet d’appui au développement du secteur minier (PADSEM) qui est disposé à nous soutenir. C’est à nous de présenter des projets crédibles qui entrent dans leurs programmes d’activités».
En ce qui concerne le nouveau code minier, M. Traoré a laissé entendre que la corporation n’y trouve pas son compte. «Je ne l’ai pas totalement lu, mais du peu que j’ai appris, il n’est pas à notre avantage», a-t-il précisé.
Le premier responsable de l’association a par ailleurs manifesté le souhait des membres d’abandonner l’orpaillage au profit de l’exploitation semi-mécanisée (Ndlr: utilisation de machines, qui apporte un meilleur rendement). «Sur une trentaine de permis semi-mécanisés, il n’y a pas plus de cinq qui fonctionnent», révèle-t-il, «d’où la nécessité de s’unir afin de partager les expériences».
Pour mémoire, la CONAPEM a pour objectif d’organiser les artisans et exploitants de petites mines du Burkina et les personnes travaillant en marge de cette activité, dans un cadre structuré et opérationnel. Egalement, figure dans ses missions la contribution à l’élaboration de stratégies de promotion, de développement et de croissance du secteur, dans le cadre des lois et règlementations en vigueur.
B.K