210 milliards de dollars. C’est ce qu’a coûté la fraude fiscale à la Cedeao entre 2002 et 2011.
Selon le rapport publié le 13 juillet dernier par la fondation Open society initiative for west Africa (Osiwa), les multinationales seraient en tête de cette fuite illicite d’argent.
«Les pertes liées à la fraude des multinationales se chiffrent à 18 milliards de dollars en 2011 dans la Cedeao, soit un tiers de plus que l’aide au développement, évaluée à 12 milliards de dollars cette même année», a expliqué la fondation qui promeut la transparence et la bonne gouvernance».
Pour Osiwa, les conséquences sont catastrophiques. La preuve est qu’on vit avec Ebola, et les États concernés n’ont pas le minimum de moyens pour faire face aux besoins», déplore Ibrahima Aïdara, l’un des auteurs du rapport.
«Les multinationales sont fautives. Normalement, si elles sont prises en faute, des mécanismes judiciaires doivent s’appliquer. Mais comme tout se fait de manière opaque et que les fraudes ont la bénédiction des pays développés, il n’en est rien», s’offusque M. Aïdara.
Selon lui, les exonérations fiscales accordées par certains Gouvernements de la région aux entreprises, dont les montants atteignent parfois 40% du budget étatique, n’attirent pas en contrepartie autant d’investissements directs étrangers. Le pays le plus touché, et de très loin, est le Nigeria, avec 142 milliards de dollars de perte fiscale entre 2002 et 2011. Puis viennent la Côte d’Ivoire (23 milliards) et le Togo (18 milliards). C’est trois pays sont les plus affectés d’Afrique de l’Ouest en termes de volume total, représentant près de 87% du total des Flux financiers illicites (Ffi) hors de la Cedeao entre 2002 et 2011.
Dans un rapport publié en 2010 par la Bad, la tarification abusive des transferts et l’octroi excessif d’incitations fiscales sont les défis majeurs qui amenuisent l’assiette fiscale des pays africains. Au cours de la dernière décennie, les Ffi se sont accrus à un taux annuel de 23% au sein de la Cedeao, passant de moins de 3 milliards de dollars Us en 2002 à plus de 18 milliards de dollars Us en 2011. Bien que les estimations divergent fortement et soient fortement contestées, le consensus général est que les Ffi en provenance d’Afrique dépassent probablement en volume les flux d’aide et d’investissement. En 2011, par exemple, l’Aide publique au développement (Apd) a atteint 12 milliards de dollars Us. Selon la Commission économique des Nations-unies pour l’Afrique (Cenua), 60% des Ffi proviennent de la tarification abusive des transferts, alors que les pays d’Afrique sub-saharienne continuent de mobiliser moins de 17% de leur Produit intérieur brut en recettes fiscales.o
NK
Les flux financiers illicites à travers le monde
Le Global financial integrity (Gfi), pour sa part, estime la répartition des Flux financiers illicites (Ffi) à l’échelle mondiale comme suit:
– 60 à 65% sont issus de pratiques commerciales privées, comme c’est le cas de la manipulation de la facturation des échanges.
– 30 à 35% proviennent d’activités illicites telles que le blanchiment d’argent, le trafic de stupéfiants et la traite des êtres humains.
– 3% proviennent de la corruption. La manipulation de la facturation des transferts déplace une plus grande quantité de fonds illicites au-delà des frontières que n’importe quel autre canal de Ffi.
En ce qui concerne les pertes annuelles moyennes occasionnées par la manipulation de la facturation des transferts en Afrique sub-saharienne, le Gfi les a évaluées à 38,4 milliards de dollars Us entre 2008 et 2010. En Guinée, au Mali et au Togo, les pertes annuelles moyennes causées par la manipulation de la facturation des transferts était estimée à respectivement 16%, 25% et 13 % des recettes de l’Etat entre 2002 et 2006.
La face cachée des avantages fiscaux
Contrairement à la tarification abusive des transferts, qui ronge l’assiette fiscale à cause des manipulations frauduleuses des prix des transactions au sein d’un même groupe, les incitations fiscales sont des concessions accordées par le Gouvernement sur un surplus éventuel de recettes fiscales. Ces avantages fiscaux confèrent un traitement fiscal préférentiel à des groupes spécifiques d’assujettis, dépenses d’investissement ou retours sur investissement, sous forme de déductions d’impôt ciblées, de crédits, d’exclusions ou d’exonérations.
Les Etats avancent divers arguments pour défendre leur recours aux incitations fiscales, allant de la correction de certaines défaillances du marché à l’implantation de sociétés étrangères afin de stimuler les exportations.
En Sierra Leone, les sociétés internationales ont bénéficié d’exonérations d’impôt s’élevant à 224 millions de dollars Us en 2012, soit l’équivalent de 55% des recettes de l’Etat, huit fois le budget de la santé et sept fois le budget de l’éducation.
Au Ghana, ces dépenses fiscales représentaient 42% des recettes fiscales de l’Etat en 2011, soit l’équivalent de 6% du Pib.
Au Sénégal, les exonérations d’impôt étaient évaluées à 20% du total des recettes fiscales en 2009, ce qui représentait 3% du Pib du pays. Le Nigeria a perdu plus de 425 millions de dollars Us en 2006 en incitations fiscales, alors que les pertes fiscales engendrées par les préférences fiscales en Côte d’Ivoire ont atteint 160 millions de dollars en 2013.