Le 13 juillet 2015, tout le Burkina avait les oreilles tendues vers Abuja (Nigeria) d’où devait venir un Arrêt de la Cour de justice de la Cedeao dans l’affaire opposant l’ex-majorité à l’Etat burkinabè. En milieu de matinée, la sentence est tombée : l’Etat du Burkina Faso est condamné.
Le Burkina va ainsi devoir préciser la partie querellée de son Code électoral modifié le 7 avril 2015 par le Conseil national de la Transition (Cnt). En effet, la Cour de justice communautaire l’a condamné suite à un recours formulé par des partis politiques de l’ex-majorité avec le Cdp à leur tête; cette ex-majorité qui s’estime lésée par le nouveau Code électoral. Ils contestent l’article 135 dudit Code qui dispose que «sont inéligibles toutes les personnes ayant soutenu un changement anticonstitutionnel qui porte atteinte au principe de l’alternance démocratique, notamment au principe de la limitation du nombre de mandat présidentiel, ayant conduit à une insurrection ou à toute autre forme de soulèvement». Par cette disposition, le Code électoral exclut toutes les personnes ayant soutenu la modification de l’article 37; tel était l’entendement de l’opinion nationale.
Alors que, pour la Cour, «le Code électoral du Burkina Faso, tel que modifié par la loi n°005-2015/Cnt du 7 avril 2015, est une violation du droit de libre participation aux élections». De ce fait, l’Etat du Burkina Faso se doit «de lever tous les obstacles à une participation aux élections consécutifs à cette modification». L’interpellation de la Cour à l’endroit l’Etat burkinabè tient au fait que l’exclusion consacrée par le Code électoral, même si elle est justifiée, est une «exclusion massive». C’est ce que dit en substance la Cour de justice.
Quelles conséquences ?
Aux termes de ce verdict sans appel, le Burkina se trouve face à un véritable dilemme. Le gouvernement de la Transition, premier concerné par cet Arrêt, a déclaré dans un communiqué le 13 juillet en prendre acte et attend de mieux cerner tous ses contours avant d’adopter l’attitude la meilleure. En réalité, le verdict pose un problème d’interprétation, mais également les conséquences à en tirer. Mieux, ce verdict sème encore la confusion et le trouble dans les esprits de bon nombre de Burkinabè, sauf évidemment les requérants. La Cour invite dès lors l’Etat du Burkina Faso à lever les obstacles à la participation aux élections prévues pour octobre 2015 et de les ouvrir aux citoyens ordinaires.
Malheureusement, la Cour ne fait nullement cas du protocole additionnel de la Cedeao sur la bonne gouvernance qui proscrit toute modification de la loi électorale à moins de six mois des consultations électorales. Les interprétations divergent, preuve que la Cour de justice de la Cedeao semble n’avoir pas rendu service au Burkina Faso, du simple fait de n’avoir pas été plus explicite. La Cour n’invite-t-elle pas l’Etat du Burkina à violer le protocole additionnel en l’occurrence? Si ce n’est cela, ça y ressemble fort. En ne voulant pas violer le protocole, le Burkina est obligé de prendre en compte l’interpellation dont parle son avocat, Me Guy Hervé Kam, en ne visant dans le Code que les «dirigeants» du régime Compaoré. Là aussi, la Cour ne dit pas ce qu’elle entend par le terme «dirigeants». Quelle que soit l’option prise par le Gouvernement, il y aura à redire. Si le Burkina modifie son Code électoral pour se conformer à l’Arrêt de la Cour, il viole le protocole. En conséquence, tous les Burkinabè pourront prendre part aux élections, y compris les membres de l’ex-majorité. Cette option est celle qui arrange les requérants, même si la Transition devrait être prolongée. Mais le président de la Transition tient aux élections le 11 octobre prochain. Le faire dans les conditions sociopolitiques actuelles, c’est ouvrir une fenêtre d’incertitudes pour le pays. Au cours d’un point de presse du Gouvernement, son porte-parole a suggéré, tout en attendant l’avis de leurs avocats, que l’appréciation soit laissée au Conseil constitutionnel qui a certainement aussi sa lecture du verdict. A défaut, le Gouvernement pourrait prendre un décret pour préciser le Code électoral et répondre aux exigences de la Cour de justice. Mais ce décret ne sera-t-il pas à nouveau contesté ? La Cour a manqué de clarté.
JBO
Le dernier mot revient au Conseil constitutionnel
Expressément, la Cour a reconnu dans son Arrêt qu’elle ne souhaite pas entrer dans le débat des circonstances dans lesquelles le régime de Blaise Compaoré a voulu modifier la Constitution. Elle a voulu simplement rappeler que «la sanction du changement anticonstitutionnel vise des régimes, des Etats, éventuellement leurs dirigeants», et non les citoyens ordinaires. Que peut bien faire l’Etat burkinabè de cet Arrêt de la Cour ? Certainement, le Conseil constitutionnel aura le dernier mot quand viendra l’heure de déposer les candidatures. En attendant, l’Etat du Burkina, condamné aux dépens, supportera les frais de la procédure engagés par le Cdp et Cie.
La porte de sortie de l’Etat du Burkina
«Pour la Cour, il ne fait aucun doute que l’exclusion d’un certain nombre de formations politiques et de citoyens de la compétition électorale qui se prépare relève d’une discrimination difficilement justifiable en droit. Il peut certes arriver que, dans des conjonctures particulières, la législation d’un pays institue des impossibilités d’accéder à des fonctions électives à l’encontre de certains citoyens ou de certaines organisations. Mais la restriction de ce droit d’accès à des charges publiques doit alors être justifiée, notamment par la commission d’infractions particulièrement graves. Il ne s’agit donc pas de nier que les autorités actuelles du Burkina Faso aient, en principe, le droit de restreindre l’accès au suffrage, mais c’est le caractère ambigu des critères de l’exclusion, et l’application expéditive et massive qui en est faite que la Cour juge contraire aux textes. Interdire de candidature toute organisation ou personne ayant été politiquement proche du régime défait mais n’ayant commis aucune infraction particulière, revient, pour la Cour, à instituer une sorte de délit d’opinion qui est évidemment inacceptable.
Il convient donc de donner au droit de restreindre l’accès à la compétition électorale sa portée exacte. Un tel droit ne doit pas être utilisé comme un moyen de discrimination des minorités politiques».
Extrait de l’Arrêt de la Cour de justice communautaire.