Eddie Komboïgo, expert-comptable de son état, est le tout nouveau président du Congrès pour la démocratie et le progrès (Cdp). Dans cette première interview qu’il accorde à L’Economiste du Faso, il revient sur l’article 135 du Code électoral, inapplicable selon lui et qui pourrait faire des ravages insoupçonnés. D’où l’appel à son annulation. Cela dit, il déclare que son parti est prêt à reconquérir le pouvoir.
– L’Economiste du Faso : Depuis quelques semaines, vous êtes à la tête du Cdp, comment vous sentez-vous dans votre peau de président ?
Eddie Komboïgo, président du Cdp : Je suis toujours dans ma peau de Eddie Komboïgo, dans l’humilité et la modestie, et surtout avec le souhait du soutien de l’ensemble du bureau exécutif et du bureau politique national afin de mener au mieux la mission à nous confiée.
– A quoi obéit la tournée que vous avez entamée dès votre élection ?
Nous sommes dans un travail de concertation. Nous avons été reçus par le Mogho Naaba et le Cardinal. Nous attendons de rencontrer les Assemblées de Dieu et la communauté musulmane. Nous avons introduit des requêtes au niveau des hautes autorités politiques. Il s’agit du président de la Transition et du Premier ministre pour leur transmettre notre message de paix, de tempérance. Nous voulons aussi transmettre le message d’un Cdp nouveau qui repart à la conquête du pouvoir. L’autre message que nous voulons leur porter, c’est que les élections soient inclusives. Que tous les citoyens qui le souhaitent puissent faire acte de candidature sans a priori, et que le peuple puisse voter le candidat de son choix, de telle sorte que s’il y a une sanction politique à donner, que ce soit par le biais des urnes. C’est une des clés pour réconcilier le peuple avec lui-même, c’est aussi un gage pour la cohésion et la paix sociales.
– Y aurait –il une menace ?
Non, pas du tout. Nous sommes dans la posture de gens qui veulent prévenir tout risque.
– Les élections inclusives dont vous parlez, est-ce un souhait ou un préalable ?
Ce sont les deux. Ce n’est pas une affaire de Eddie Komboïgo ou de telle ou telle personne. Il s’agit de l’intérêt national. Nous sommes pour des élections transparentes, apaisées, sans heurts, lors desquelles chaque Burkinabè peut aller choisir son candidat. Si cela se passe ainsi, la classe politique donnera une leçon de démocratie aux Burkinabè. Tout le monde y gagnerait. Nous aurions alors montré que nous sommes un pays de tolérance. Il faudra tout faire pour éviter les bagarres pré et post électorales inutiles qui vont enfoncer notre économie déjà fragilisée par les événements. Je ne lance la pierre à personne, mais il est clair que notre économie ne saurait supporter encore un autre choc.
– Si vous n’obtenez pas gain de cause par rapport à l’annulation du Code électoral, avez-vous un plan B ?
Nous avons tous les plans. Nous avons notre recours devant la Cour de justice de la Cedeao et nous sommes sûrs que nous obtiendrons satisfaction. Le Code électoral, avec son article 135 qui élimine toute personne ayant soutenu la modification de l’article 37 de la Constitution, est difficilement applicable. Il est empreint de subjectivité.
Les dispositions de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance disent en substance que lorsque le Conseil de paix et de sécurité constate un changement anticonstitutionnel dans un pays, à ce moment, l’Ua suspend le pays et travaille au rétablissement de la démocratie et identifie ceux qui seraient tenus pour responsables de ce changement anticonstitutionnel, pour leur interdire de participer aux prochaines élections.
Je ne voudrais pas faire de la polémique. Mais avez-vous vu un avis du Conseil de paix et de sécurité de l’Ua sur les événements des 30 et 31octobre 2014 constatant ce type de changement dans notre pays? A ma connaissance, non! Dans l’hypothèse où l’on pense qu’il y a eu changement anticonstitutionnel, la démarche aurait voulu que l’on se tourne vers le Conseil de paix et de sécurité de l’Ua afin qu’il constate si la situation que nous avons vécue correspond à ce type de changement. Cela n’a pas été fait. Notre pays n’a pas été suspendu, donc. Et si on maintient que le changement est anticonstitutionnel, que l’on désigne les auteurs.
Par ailleurs, nous avons mis en place une Charte qui permet le changement de Gouvernement dans la continuité de la Constitution. Si tel est le cas, il n’y a pas eu de changement anticonstitutionnel.
Enfin, rappelez-vous que lors du départ du président Compaoré, il a actionné l’article 43 de la Constitution, qui devait permettre au président de l’Assemblée nationale de le suppléer en attendant des élections dans les 60 ou 90 jours.
Certes l’Assemblée a été brûlée, mais son président est là. On pouvait la délocaliser si on le voulait. Comme vous le constatez, c’est d’ailleurs le cas avec le Cnt. C’est par la volonté des signataires de la Charte de la transition qu’il y a eu ce changement. Ce que je dis correspond à la vérité. Mais je ne souhaite pas polémiquer là-dessus. Nous irons vers tous les acteurs pour qu’ensemble, et à travers le dialogue, on se comprenne mutuellement dans l’intérêt supérieur de notre cher pays. C’est pour cela que mon mandat a été placé sous le signe du dialogue.
– Et si vous n’arrivez pas à convaincre vos interlocuteurs ?
Je me demande comment ils vont interpréter l’article 135 qui élimine tous ceux qui ont soutenu la modification de l’article 37. Ce serait à partir de quand ? Quand on sait que des gens ont soutenu cette modification et se sont rétractés, des gens ont soutenu un changement de Constitution afin de passer à un régime parlementaire pour éviter de toucher à l’article 37, mais ce qui aurait permis d’arriver à certaines fins. Tout ce monde est-il concerné? Si oui, je dis qu’il y a un problème. Imaginez que dans son interprétation du nouveau Code électoral le Conseil constitutionnel vienne à invalider la candidature de Roch Marc Christian Kaboré, quel effet cela va-t-il avoir ? Quelles conséquences vivra-t-on ? Voyez-vous, nous souhaitons que tout candidat puisse participer aux élections.
– On ne le saura que lorsque les candidatures seront attaquées.
Justement, c’est pour cela que nous disons qu’une loi doit être claire pour que son application se fasse sans heurts. Toutes les personnes qui ont assisté au meeting du Cdp dans les stades de Bobo et de Ouaga sont-elles exclues par ce Code ? Toutes nos sections et sous-sections qui ont organisé des activités dans ce sens sont-elles concernées ? Qu’on nous le dise. Si c’est oui, cela voudrait dire que personne de l’ancienne majorité ne peut présenter sa candidature. Ce Code électoral pose problème. C’est pourquoi, nous le dénonçons et prônons que les choses soient mises à plat.
Nous avons entendu le ministre en charge des libertés publiques déclarer lors d’une conférence de presse qu’une trentaine de personnes seraient concernées. Si tel est l’esprit de ce Code électoral, de cette loi, devons-nous faire une loi pour 30 personnes ? L’objectif nous semble une volonté affichée d’éliminer des candidatures d’un certain niveau au sein de notre parti. Mais, je souhaite vivement me tromper. Il faut jouer balle à terre. S’il doit avoir une sanction politique suite aux événements des 30 et 31 octobre 2014, c’est au peuple de le faire par les urnes, c’est plus démocratique.
Nous sommes pour l’annulation de ce Code et le maintien de l’ancien. Dans ce cas, on reste dans les délais pour organiser les élections.
– Et si la bataille judiciaire ne prospère pas?
Vous savez, le Cdp est un grand parti. Ce n’est pas une question de peur. Même si les élections avaient été organisées dans les 60 à 90 jours après l’insurrection, nous aurions été prêts. Pour les élections du 11 octobre prochain, nous allons commencer une tournée dans les régions et provinces à l’issue de laquelle un congrès extraordinaire va désigner notre candidat pour l’élection présidentielle et pour les autres consultations. Vous serez témoins de ce que nous allons entreprendre sur le terrain.
– Serez-vous candidat ?
Les militants proposent des candidats et le parti décide. Je suis un militant discipliné. Je m’en remettrai à la décision du congrès et j’aviserai. Pour le moment, je n’y ai pas encore réfléchi.
– Place aux jeunes, c’est presqu’un mot d’ordre. Comment allez-vous le matérialiser dans la vie du parti ?
Notre parti est mature. Nous avons dit qu’il faut rajeunir, nous allons le faire. Mais nous n’écarterons personne ! Je vous rappelle que nous sommes le parti dans lequel les jeunes assumeront avec fierté les tâches à eux confiées.
– On n’a pas vu Assimi Kouanda lors des travaux du congrès.
Comme beaucoup d’autres camarades qui sont restés soudés avec nous dans la réflexion. Nous avons reçu ses félicitations et nous lui avons rendu hommage pour son combat.
– Le Cdp se sent –il dans l’opposition ou va-t-il à la conquête d’un pouvoir qui est vacant ?
Pouvoir vacant, je ne sais pas. Les autorités de la transition sont là. Je dirais plutôt un pouvoir à conquérir. C’est pour cela que la Transition doit être impartiale. Nous sommes très regardants sur cet aspect et nous interpellerons la Transition si elle ne l’est pas. Elle doit organiser des élections libres, transparentes et inclusives.
– La crise n’a-t-elle pas fragilisé vos assises financières, quand on sait que la plupart des hommes affaires et des opérateurs économiques soutenaient le parti ?
Je ne sais pas de quels hommes d’affaires vous parlez. Au Cdp, nous avons des militants et des sympathisants qui cotisent et qui font des dons et legs. C’est sur cette base que nous avons toujours fonctionné.
– Je pensais à la Fedap-BC et à ses membres.
La Fedap-BC n’est pas un opérateur économique. Cette fédération a été dissoute. Evitons de parler de ce qui n’existe plus. Regardons plutôt vers l’avenir.
– Qu’est -ce qui vous lie à Gilbert Diendéré dont certains pensent qu’il est derrière votre ascension ?
Diendéré n’est pas un homme politique, c’est un frère. L’avez-vous déjà vu comme militant du parti Cdp ? Je ne vois pas comment il peut aller influencer des organes de décision du Cdp.
Il n’était pas dans le collège de désignation des candidats, ni parmi les congressistes pour acclamer le président. Arrêtez donc…
– Qui du Mpp ou de l’Upc vous fait le plus peur ?
Le Cdp respecte tous les acteurs politiques. Ils ont leurs militants que nous respectons également. Nous avons le meilleur programme à exposer aux Burkinabè. Malgré ce que nous avons vécu, nous avons confiance au peuple qui sait faire la part des choses.
L’usage abusif des événements des 30 et 31 octobre ne va pas ébranler le peuple éclairé qui saura faire le bon choix. Celui de la continuité dans le changement, le changement générationnel, le changement vrai que nous incarnons aujourd’hui.
Nous sommes un parti structuré et organisé, et je pense que nous passerons au premier tour.
Mais pas au quart de tour comme le proclament certains. Dans une élection, on gagne ou on perd. Ce n’est pas on gagne ou on gagne. Que ceux qui auront perdu félicitent les vainqueurs au soir des élections et ce sera à notre honneur à tous.
– Dans votre dynamique de dialogue, retourneriez-vous au Crnr ?
Nous allons les rencontrer pour voir ce qui n’a pas marché, et à travers le dialogue nous espérons trouver un terrain d’entente afin que la commission puisse continuer ses missions.
Entretien réalisé par Abdoulaye TAO et Alexandre Le Grand ROUAMBA