Tribune

Délestages: quelle est la solution ? Par Souleymane OUEDRAOGO

L’économie burkinabè croule sous le poids des délestages et des coupures d’électricité depuis quelques années. La situation va de mal en pis, avec des interruptions pouvant atteindre 15 heures par jour, mettant à genoux l’économie nationale et décuplant la souffrance des Burkinabè. Si les délestages et autres coupures d’électricité sont insupportables, la lutte perpétuelle et perpétuellement vaine des populations pour s’y soustraire l’est encore plus. Les sources alternatives sollicitées dans l’urgence pour faire face à l’absence d’électricité sont extrêmement coûteuses et inefficaces, accablant davantage des ménages et des entreprises dont le montant des factures d’électricité évolue dangereusement.
Une enquête réalisée auprès d’un échantillon de 162 unités comprenant 55% de ménages et 45% d’entreprises formelles et informelles à Ouagadougou permet de se faire une idée du préjudice économique et financier inhérent à l’absence d’électricité. Parmi les ménages, 9% utilisent des plaques solaires et 11% des groupes électrogènes. Parmi les entreprises, ces proportions sont respectivement de 4% et de 30%. Les pertes économiques et financières hebdomadaires occasionnées par l’interruption de l’énergie se chiffrent à plus de 17,5 millions de FCFA pour les pertes de marchandises et à près de 1,6 million pour le carburant.
Les frais d’acquisition ou de location des groupes et d’installation des plaques solaires sont évalués à 18 millions de FCFA et leur entretien coûte près de 1,3 million de FCFA. Projetées sur l’année, les pertes pour ces 162 unités sont estimées à 249 millions de FCFA. Les calculs montrent qu’en moyenne les entreprises rencontrées perdront 3. 325. 263 FCFA et que les ménages dépenseront 70.124 FCFA en plus.
Quoique limitée et sous-estimant les effets réels des délestages (sur la santé, l’éducation, la productivité, etc.), cette investigation permet de se faire une idée du recul économique que le Burkina va subir si la situation perdure. Aux guichets, les clients s’agglutinent, suffoquent, exaspèrent et payent des factures pour un service de mauvaise qualité. A l’évidence, le secteur se porte très mal et si rien n’est fait pour y remédier, l’économie connaitra une crise sans précédent. Car, tant que la Sonabel ne sera pas capable de fournir une prestation correcte, les Burkinabè auront recours à des moyens extrêmement pénalisants pour se fournir en électricité.
Les contribuables, las d’attendre un réseau qui ne vient point, s’endetteront lourdement pour autoproduire maladroitement leur énergie; et les clients fatigués des multiples pannes et cuves vides de la Sonabel se résoudront à produire eux-mêmes leur kWh dont le coût est supérieur de 70% à celui de la Sonabel dans le meilleur des cas.
Ces informations illustrent à quel point, notre économie est affligée par la crise énergétique dont l’ampleur est de plus en plus inquiétante. Les Burkinabè ne décolèrent pas contre la Sonabel et ses responsables. Pourtant, une analyse sans complaisance de la situation permet de voir que les moyens mis à la disposition des agents de la Sonabel sont largement insuffisants pour répondre aux sollicitations de l’économie burkinabè. Avec des groupes vétustes, un réseau qui manque cruellement d’investissements et un espace de travail précaire, les agents de la Sonabel font de leur mieux avec ce qu’ils ont. Si seulement au lieu de visiter les nouvelles centrales (Komsilga ou Bobo2), l’on visitait les vieilles centrales (Ouaga2 ou Kossodo), l’on comprendrait les risques et les conditions extrêmement difficiles (avec souvent mort d’homme) dans lesquelles travaillent certains agents de la Sonabel. Des agents qui, malgré les difficultés, ont pu améliorer les performances techniques et commerciales de l’entreprise. La Sonabel n’a pas de problème de compétences, mais de moyens. Il faut se référer aux rapports de la Banque mondiale et de l’Agence française de développement (Afd).
La spirale de déficits qui a embrasé la Sonabel depuis 2011 a fortement dégradé sa situation financière et entamé sérieusement ses relations avec ses partenaires et sa clientèle. Le gel des tarifs depuis près de dix ans, dans un contexte de hausse drastique des coûts de production, a fini par avoir raison de la capacité d’autofinancement de la Sonabel, complètement laminée par une dette colossale, des charges financières faramineuses et une exploitation insupportable.
Pour remédier à cette situation, il n’y a pas 36 mille solutions : il faut soit augmenter les tarifs, soit recourir à une subvention massive de l’Etat. L’on nous épargnera le coup de la mauvaise gestion extrêmement marginale, même s’il ne faut pas la négliger. La seconde solution, en plus d’être scandaleusement injuste et anti-économique, a montré son inefficacité. Ainsi, le Burkina doit avoir le courage de relever les tarifs de l’électricité il n’a pas le choix. Toutefois, ce relèvement des tarifs ne doit pas affecter les clients dans les mêmes proportions. Je pense en effet que les tarifs des ménages doivent être maintenus.
L’économie est très sensible et la population très hostile à toute augmentation des tarifs dans ce secteur. C’est pourquoi, la plupart des décideurs refusent d’assumer ouvertement leur responsabilité lorsqu’il s’agit d’annoncer une hausse tarifaire. Pourtant, certaines situations commandent la prise de cette décision hautement sensible et difficile, mais indispensable. Le Burkina est dans cette situation et doit l’assumer. Différer le problème ne peut qu’aggraver et amplifier les dégâts.
C’est pourquoi, il est impérieux que les acteurs communiquent davantage sur ce secteur hautement stratégique et malheureusement méconnu. L’organisation des états généraux et des conférences sur le secteur serait un bon début.
Le nœud gordien du secteur de l’électricité au Burkina, comme dans la plupart des pays de la sous-région, est la question tarifaire. J’aurai aimé dire aux Burkinabè et aux autres pays de la sous-région que la situation pourrait s’améliorer sans une révision des tarifs à la hausse. Ce serait un mensonge ! La solution pour permettre de résoudre durablement les crises énergétiques dans nos pays est de faire en sorte que la question tarifaire ne soit pas un sujet tabou et que l’arsenal institutionnel et juridique soit suffisamment crédible et transparent, avec des règles clairement définies et des signes avérés de stabilité socio-politique. C’est la condition pour que les investisseurs privés s’intéressent à ce secteur capitalistique dont les besoins d’investissements sont énormes et largement supérieurs à la capacité financière de nos Etats. Dans l’espace Cedeao, la réalisation des infrastructures électriques nécessite la mobilisation d’environ 24,23 milliards de dollars Us à l’horizon 2023. Le public n’y arrivera pas sans le privé et ce dernier ne lèvera pas le petit doigt tant que sa rentabilité est incertaine ou faible. Soyons en sûrs.


Le relèvement des tarifs d’électricité comme palliatif

L’augmentation pourrait simplement concerner les professionnels (mines, cimenteries, institutions internationales, ambassades, banques, maquis, boîtes de nuit, etc.) qui sont économiquement et financièrement plus éprouvées par l’interruption de la fourniture d’énergie et ont généralement recours à des moyens alternatifs de production plus coûteux et moins fiables que la Sonabel.
Ils seront donc probablement plus enclins à comprendre et accepter un relèvement des tarifs que les ménages, surtout ceux à revenus modestes.
Le relèvement des tarifs d’électricité en vue de les rendre conformes aux niveaux requis pour assurer l’équilibre financier du secteur est une décision douloureuse et extrêmement risquée dans certains pays. L’on se souvient encore de la chute du gouvernement bulgare en février 2013 suite à une augmentation de plus de 100% des tarifs d’électricité en janvier 2013. Les tarifs d’électricité sont un instrument délicat de politiques économiques tiraillées entre la nécessité de garantir la rentabilité des investissements du secteur et l’obligation d’améliorer la compétitivité des entreprises et le pouvoir d’achat des ménages.o

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