Après l’affaire Obouf, la chaîne judiciaire a de nouveau du «gros» grain à moudre. Plusieurs personnalités proches de l’ancien régime ont été interpellées la semaine dernière. Certaines pour des activités illégales et d’autres pour des malversations et mauvaise gestion présumées. Dans ce dernier cas, on retrouve notamment des anciens maires, mais aussi des ministres du dernier Gouvernement du régime Compaoré. Jean Bertin Ouédraogo, précédemment chargé des Infrastructures, Jérôme Bougouma de la Sécurité et Lamoussa Salif Kaboré des Mines et de l’énergie sont les anciens ministres interpelés par la gendarmerie. A cette liste, il faut ajouter l’ancien président du Ces, Paramanga Ernest Yonli, relâché.
Dans une déclaration le mercredi 7 avril dernier, les officiers chargés de l’enquête ont indiqué que ces personnes «sont gardées à vue pour les nécessités de l’enquête». Il était question de «les auditionner, rassembler les preuves et de les conduire devant le Procureur du Faso».
En attendant de savoir avec précisions les faits qui sont reprochés à chacune de ces personnes interpellées, on peut déjà supposer la situation de quelques-unes. Certaines irrégularités attribuées à ces personnes suspectées reviennent avec insistance dans la presse. Et on pourrait bien penser qu’elles sont aujourd’hui les motifs de leurs interpellations.
Outre Jérôme Bougouma dont on peut penser qu’il est interpellé pour les soupçons d’irrégularités dans l’exécution des marchés publics du ministère, l’un des principaux faits reprochés à Salif Kaboré pourrait être la gestion du permis d’exploitation du manganèse de Tambao, qui a connu 3 partenariats avec des opérateurs différents.
Sans précisions, la déclaration des enquêteurs indique d’ailleurs que l’interpellation de cet ancien ministre des Mines est liée en partie à l’octroi de permis dans les mines. « Kaboré Lamoussa Salif, ex-ministre des Mines et de l’énergie, interpellé pour malversations et mauvaise gestion présumées à la Sonabel et dans certaines structures du ministère des Mines et de l’énergie, octroi illicite de permis d’exploitation des mines, exploitation illicite de sites miniers et mauvaise gestion de projets ». L’attribution, sous le ministre Salif Kaboré, de la licence d’exploitation du manganèse de Tambao à Pan African minerals (Pam) a été précédée de plusieurs problèmes.
Pam est le troisième attributaire après l’avortement de 2 premiers partenariats d’exploitation que l’Etat burkinabè avait initiés avec deux autres opérateurs intéressés par le projet. Un premier protocole d’exploitation a d’abord été signé avec la société émiratie Wadi Al Rawda Industrial Investments en 2007.
En 2010, l’Etat burkinabè abandonne Wadi Al Rawda sans notification, pour signer un nouveau protocole d’entente pour l’exploitation du gisement de manganèse de Tambao avec la société indienne Général nice ressources (Gnr).
Nouveau revirement de l’Etat burkinabè en 2012. A l’issue d’un appel d’offres restreint, c’est Pam de l’homme d’affaires Frank Timis qui signe un protocole d’accord pour l’exploitation du gisement avec l’Etat burkinabè représenté par le ministre Salif Kaboré à l’époque. Les deux premiers contrats avaient été signés par le ministre Abdoul Kader Cissé, prédécesseur de Salif Kaboré.
Après avoir été éjecté du projet, le premier opérateur, Wadi Al Rawda Industrial Investments, a attaqué l’Etat burkinabè devant la Chambre de commerce international de Paris pour non-respect des accords signés entre les deux parties. Cette plainte s’est terminée en arrangement où le Burkina a dédommagé le plaignant. De son côté également Gnr, a dans un premier temps convoqué l’Etat burkinabè devant le Centre d’arbitrage et de Médiation de Ouagadougou Camco de la Maison de l’entreprise du Burkina.
La partie Burkinabè ne s’étant pas présentée lors des deux convocations, Gnr a attaqué le Burkina Faso devant la Chambre de commerce international (Cci) de Paris «pour rupture unilatérale de contrat». Il réclame un dédommagement à hauteur de plusieurs dizaines de milliards.o
Karim GADIAGA
Pam ne se sent pas concernée par l’enquête
L’interpellation de Salif Kaboré coïncide avec la présence à Ouagadougou de Frank Timis, Pdg de Pam. Une présence qui pourrait laisser croire à un lien avec l’enquête, donc avec Tambao. Mais selon Souleymane Mihin, Dg de Pam Burkina, ce n’est que pure coïncidence. « Jusqu’au moment où je vous parle, personne n’est venu vers nous pour demander des explications par rapport à notre titre d’exploitation. Donc nous pensons que nous ne sommes pas concernés par cette enquête. Je peux le dire de façon formelle. Nous avons acquis le permis d’exploitation à la suite d’une procédure totalement transparente. Il y a eu un avis d’appel d’offres restreint, qui a concerné 13 sociétés, dont la nôtre », répond le Dg de Pam Burkina. « Monsieur Timis est là dans le cadre des discussions sur la relecture du Partenariat public/privé (Ppp) que nous avons signé avec l’Etat pour l’exploitation du minerai. Il y a des passages à revoir en raison d’un certain nombre de réalités qui n’avaient pas été bien appréhendées au moment de la signature du Ppp ».
Concernant la suspension de l’autorisation spéciale d’exportation du manganèse, qui déjà a permis à Pam Burkina de transporter plus de 50 camions de minerai vers la Côte d’Ivoire, le Dg de la société explique qu’elle pourrait être liée à la plainte de Gnr, mais surtout aux manifestations, en février, des populations des 27 villages de Markoye. Ces populations exigent la réalisation des infrastructures (routes et chemin de fer) prévues dans l’accord. « Nous avons appris aussi qu’il y a une plainte mais ce n’est pas contre nous que la plainte est déposée. Ce n’est qu’auprès du ministère que des informations peuvent être données sur cette plainte. Nous n’avons donc pas à nous mêler des affaires qui sont en dehors du processus qui nous a concerné », explique Souleymane Mihin. Nous reviendrons sur le Ppp et sur les cas des infrastructures prévues dans l’accord.o