Par Andrew Dillon
Bien que des progrès remarquables aient été accomplis pour élargir l’accès à l’enseignement primaire en Afrique subsaharienne, la plupart des pays de la région présentent encore des niveaux très faibles de scolarisation.1 Actuellement, près d’un enfant d’âge scolaire sur quatre n’est jamais allé à l’école ou l’a abandonnée sans avoir achevé le cycle d’études primaires. Au Mali, au Niger et au Burkina Faso, le nombre d’enfants déscolarisés s’élève à 3 millions. A ce faible taux de scolarisation s’ajoutent de fortes disparités territoriales entre zones rurales et urbaines.
Face à ce constat, la Fondation Strømme, une organisation norvégienne d’appui au développement, a lancé le programme Stratégie de Scolarisation Accélérée/Passerelle (SSA/P) au Mali, au Niger et au Burkina Faso. La SSA/P vise à offrir une seconde chance à des enfants qui n’ont jamais été à l’école ou à ceux qui en ont été exclus prématurément, en leur offrant une formation accélérée de neuf mois dans un cadre extérieur au milieu scolaire. La langue maternelle de l’enfant est utilisée au cours de deux premiers mois, puis les enseignements sont dispensés en français les sept mois restants jusqu’à la réinsertion dans l’école classique.
Afin de juger de l’efficacité de cette stratégie, la Fondation Strømme a demandé à l’organisation Innovations for Poverty Action (IPA) en partenariat avec le professeur Andrew Dillon de l’Université d’État du Michigan, d’effectuer une évaluation rigoureuse de la SSA/P. Les chercheurs ont utilisé la méthode de l’évaluation aléatoire, qui repose sur la comparaison de deux groupes constitués par tirage au sort, un groupe participant au programme (groupe test) et un groupe n’y prenant pas part (groupe témoin).
L’étude a été mise en place au sud du Mali pendant les années scolaires 2012 à 2014. Les 77 villages éligibles ont été répartis aléatoirement entre villages tests et villages témoins. Au sein de chaque village test, seule une partie des enfants non scolarisés a pu bénéficier du programme.
Dans l’ensemble des villages de l’échantillon, l’équipe de recherche a recueilli des informations grâce à plusieurs questionnaires et tests. Ceux-ci ont été soumis aux enfants ayant suivi le programme, aux enfants n’ayant pas bénéficié du programme, mais également auprès d’enfants qui étaient déjà scolarisés.
Les résultats de l’étude ont montré que 89% des enfants participant au programme ont achevé la formation Ssa/P de neuf mois et que deux enfants sur trois ont réintégré le système scolaire classique. Parmi ces enfants, 75% ont terminé leur première année complète à l’école primaire avec succès. Outre l’augmentation du taux de scolarisation, le programme a eu des effets positifs sur l’apprentissage des enfants. L’étude a détecté des effets statistiquement significatifs sur les capacités cognitives en mathématiques et en français – respectivement 25 et 42% d’augmentation de la moyenne des notes par rapport aux enfants non scolarisés des villages témoins.
Les données ont également révélé que les scores pour les tests en mathématiques des garçons augmentent plus par rapport à ceux des filles. Cette dynamique d’apprentissage à deux vitesses est visible aussi bien dans le contexte de la Ssa/P qu’à l’école classique. Il est donc nécessaire d’apporter une attention particulière à l’éducation des filles en mathématiques.
L’évaluation d’impact valide donc le rôle de la Ssa/P comme instrument de réinsertion scolaire. Les capacités cognitives des enfants s’améliorent considérablement au point d’atteindre des niveaux équivalents à ceux des enfants déjà scolarisés.
Les enfants s’adaptent à leur nouvel environnement scolaire lorsqu’ils sont transférés à l’école classique et leur arrivée n’a aucun effet négatif sur les résultats des enfants déjà scolarisés. Potentiellement la réintégration des élèves à l’école classique pourrait avoir des effets négatifs sur les élèves déjà inscrits, en raison de l’augmentation de la taille de la classe. Toutefois, les données ne montrent pas de différence statistiquement significative dans les résultats d’apprentissage chez les enfants des écoles classiques après l’intégration des élèves de la Ssa/P, lorsque l’on compare les enfants déjà scolarisés dans les villages tests et témoins.
Cette étude nous fournit également une estimation du coût efficacité de cette initiative (voir graphique), qui pourrait être d’une grande aide si les décideurs publics songeaient à une mise à l’échelle nationale. Il est important de noter que le coût moyen par enfant pour le cycle Ssa/P au Mali est de 172$. Le graphique présente le coût/efficacité pour 100$ pour des raisons de commodité et de comparabilité.
Dans un contexte comme celui du Burkina Faso, l’étude conduit à s’interroger sur l’impact que pourrait avoir ce type de programme sur la prévalence du travail des enfants. Contribuerait-il à une diminution du travail infantile, notamment dans les mines artisanales, fléau présent dans nombre de régions du Mali et du Burkina Faso ? Les défis demeurent nombreux, mais les résultats de recherches rigoureuses permettent de déterminer de nouvelles politiques efficaces.
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Innovations for Poverty Action (IPA) et J-PAL laboratoire d’action contre la pauvreté ont pour mission de découvrir et de divulguer des solutions efficaces pour lutter contre la pauvreté dans le monde. En partenariat avec les décideurs politiques, IPA et J-PAL conçoivent, évaluent rigoureusement et aident à améliorer les programmes de développement ainsi que la manière dont ils sont mis en œuvre.