Une nouvelle ère sociale, économique et politique semble véritablement naître au pays des Hommes intègres. Plus que le départ du président Compaoré, c’est le nettoyage de son système qui est désormais en train d’être pratiqué. Ainsi, les figures qui ont jusqu’à la dernière minute constitué les piliers du régime déchu et tous les symboles qui l’ont servi sont en passe d’être extraits de la scène publique.
La démission du président Compaoré avait déjà été précédée par la dissolution de l’Assemblée nationale et du Gouvernement de l’époque. Le Lieutenant-Colonel Zida, qui avait immédiatement pris le pouvoir, a confié l’exécution des affaires courantes aux secrétaires généraux des ministères. On attendait désormais le rétablissement de la Constitution, le transfert du pouvoir aux civils et la formation d’un nouveau Gouvernement pour relancer le Burkina de l’après-Blaise Compaoré. Mais, avant de rendre les fonctions présidentielles à un civil, le pouvoir militaire a décidé d’ajouter quelques touches à l’œuvre révolutionnaire enclenchée depuis la chute de Compaoré. En début de semaine dernière, les directeurs généraux de deux importantes sociétés d’Etat ont été limogés coup sur coup, à la satisfaction presque générale de l’opinion.
D’abord, Jean Christophe Ilboudo, nommé Dg de la Sonabel le 2 juillet 2014, a été relevé de ses fonctions le lundi 17 novembre et directement écroué à la maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou. On lui reproche la coupure de courant intervenue la veille, au moment de la cérémonie de la signature de la Charte de la transition.
Une coupure assimilée à un acte de sabotage. A la suite du Dg de la Sonabel, il y a eu le limogeage de Boukary Jean-Baptiste de la Salle Béréhoundougou, Dg de la Sonabhy. Le communiqué de cet autre limogeage a été rendu public le 18 novembre, quoiqu’il ait été signé le même jour que celui révoquant le Dg de la Sonabel. A ce titre, les sorts des Dg semblent liés. En effet Béréhoundougou avait été également nommé le 2 juillet 2014 en même temps que Ilboudo. Tous les deux sont considérés comme étant des produits du système de Compaoré. Avant d’arriver à la Sonabhy, Béréhoundougou a été directeur adjoint des Douanes.
Dans la foulée du limogeage des Dg, les actions de rupture du Lieutenant-Colonel Zida se sont étendues aux Conseils municipaux et Conseils régionaux du pays. Au moment où dans certaines municipalités, notamment Bobo-Dioulasso et Ouahigouya, des organisations de la société civile et des populations exigeaient la révocation de leurs maires, le chef de l’Etat a décidé de façon radicale de dissoudre tous les Conseils municipaux et régionaux à travers un décret signé le 18 novembre. Plus de 80 % des conseils municipaux étaient contrôlés par des maires Cdp, ancien parti présidentiel, ou par des partis de la mouvance. Aux yeux des populations, le maintien des conseils allait favoriser une survie du Cdp et de ses soutiens, alors qu’elles ne souhaitent plus voir ces hommes participer à la gestion des affaires publiques.
Les récentes décisions de Zida se voudraient comme un signal fort contre la mauvaise gestion, la corruption et le favoritisme. Elles voudraient également marquer cette volonté du nouveau régime de faire la lumière sur les cas de crimes économiques non encore jugés. Cela plaît à l’opinion et, d’ores et déjà, au sein de la population, on estime que d’autres responsables de sociétés et des gestionnaires de biens publics devraient connaître le même sort que les Dg de la Sonabel et de la Sonabhy.
Attention cependant à ne pas tomber dans le populisme. Le public souhaite un changement de l’ensemble des directeurs des grandes sociétés et plusieurs noms de personnes « à chasser » sont cités sur les réseaux sociaux. Les jours à venir devraient nous situer si le duo Kafando et Zida, finalement nommé Premier ministre, va continuer cette action d’assainissement de la vie publique. En attendant de le savoir, nul doute que beaucoup n’ont plus le sommeil tranquille. Ça doit trembler du côté de tous ceux dont les noms ont été cités dans des cas graves de détournement de biens publics, mais qui n’avaient pas été inquiétés sous l’ancien régime. Parmi les dossiers chauds, celui de Ousmane Guiro, ancien Dg des Douanes, revient sur toutes les lèvres. L’origine de la cantine contenant la somme d’environ 2 milliards F CFA découverts chez lui le 2 janvier 2012 reste encore non élucidée. Plusieurs autres dossiers de corruption mentionnés dans les rapports de la Cour des comptes et de l’Asce (autorité supérieure de contrôle de l’Etat) sont également en attente de jugement.
Karim GADIAGA
Le Rsp , un défi personnel pour Zida
Parmi les puissants symboles de l’ancien régime, dont la dissolution est attendue par la population, il y a le Régiment de sécurité présidentielle (Rsp). Ce sera un défi personnel pour Zida, car en tant qu’homme fort de l’armée aujourd’hui, il est, lui-même, issu de ce corps d’élite créé pour assurer la sécurité de Blaise Compaoré.
Le statut actuel de Premier ministre de Zida lui offre tous les moyens de liquider le Rsp, s’il en a la volonté. Le Rsp est une armée dans l’armée, au mépris des autres corps, car mieux équipé et mieux traité financièrement. C’est une unité crainte et détestée par la population car des éléments issus de ce corps ont été associés à des crimes comme celui de David Ouédraogo, ancien chauffeur de François Compaoré, et du journaliste d’investigation, Norbert Zongo. Dissoudre le Rsp mettra Zida en phase avec sa volonté d’un vrai changement. C’est d’ailleurs une des recommandations du collège des sages qui n’a jamais été suivie d’effet. o