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Situation politique: « Si Blaise persiste, il devra de gérer la contestation», Pr Augustin Loada

Professeur Augustin LOADA
Professeur Augustin LOADA

Professeur de Droit des universités en sciences politiques, Augustin Marie Gervais Loada est une figure importante de la société civile burkinabè. Le Centre pour la gouvernance démocratique (Cgd) dont il est le secrétaire exécutif ne cesse de donner sa contribution pour l’édification d’un Etat de droit au Burkina. Il s’est prêté à l’exercice de l’interview avec notre reporter sur  la situation politique nationale. Même s’il estime que la crise actuelle est artificielle, le Pr. Loada estime aussi que la solution se trouve entre les mains du président du Faso lui-même. « S’il persiste, forcément,  il sera obligé de gérer la contestation », c’est le conseil qu’il donne au président tout en lui rappelant que son intérêt est loin d’être celui du peuple tout entier. A l’opposition également, il fait une mise au point bien claire: «Si l’opposition cède sur le terrain de l’intangibilité de l’article 37 de la Constitution, ses leaders auront des problèmes».

L’Economiste du Faso: Quelle lecture faites-vous de ce dialogue initié par le président du Faso? Peut-il résoudre la crise ?
Pr Augustin Loada, directeur exécutif du Centre pour la gouvernance démocratique (Cgd): Une des fonctions essentielles du politique, c’est la régulation des conflits. Dans toutes les sociétés, il y a des mécanismes qui sont mis en place pour régler les conflits qui sont inévitables, parce que les ressources sont rares, la compétition est ainsi rude pour accéder à celles-ci. Si on ne veut pas que ces compétitions dégénèrent, il faut non seulement mettre en place les règles du jeu que tout le monde doit respecter et aussi mettre en place des mécanismes pour que, éventuellement, ceux qui transgressent les règles soient mis hors d’état de nuire. De ce point de vue, je trouve tout à fait normal que la situation difficile que nous traversons soit résolue par le politique lui-même. Ce qui est quand même curieux, c’est que celui-là même qui est à l’origine du problème se mette dans une position de facilitateur. Finalement, on se demande quel est l’enjeu de ce conflit. C’est de savoir si Blaise Compaoré va rester ou pas en 2015. C’est lui qui a la clé de la solution. Il suffirait qu’il dise, je respecte les règles du jeu après avoir fait tant de mandats, la Constitution actuelle ne me permet pas de participer à la compétition de 2015, je prends acte et je peux revenir en 2020. Toute personne de bonne foi peut constater que notre Constitution limite le nombre de mandats à deux et que rien n’interdit à monsieur Blaise Compaoré, s’il en a encore envie, de venir en 2020. Pour moi, il y a réellement une crise, mais elle est artificiellement créée.

Il n’est vraiment pas qualifié pour arbitrer ce dialogue ?
Oui ! Parce que ce n’est pas un conflit qui lui est extérieur. Si c’était un conflit qui opposait des « étrangers », je peux comprendre. Mais, le problème vient de ce que lui ne veut pas quitter le pouvoir. Je ne sais pas comment il peut être arbitre et protagoniste de la chose. C’est quand même curieux et il y a un conflit d’intérêt qui est manifeste. Je ne suis pas très optimiste quant à l’issue de ce dialogue, mais j’aimerais tellement me tromper. Le conflit est là parce que certaines personnes sont en position de changer les règles du jeu à leur profit. L’équation est très claire, la solution aussi.

Certes, le dialogue a commencé, à votre avis quel pourrait être le consensus?
Le consensus n’est pas impossible, mais voyez déjà comment on pose le problème. C’est cela qui est un peu gênant. La question risque d’être mal posée et le départ peut donc être mal amorcé. Ce pays aspire au changement de façon aussi  forte que cette soif de paix. A mon avis, c’est possible de trouver un consensus. Mais, je n’ai jamais compris quelque chose : pourquoi monsieur Blaise Compaoré veut rester au pouvoir ? Il ne l’a jamais dit. Je pense que la négociation doit être  autour de la réponse à cette question. Peut-être s’il explique ses craintes, ses attentes, son rêve, on trouverera une solution sans en arriver à des extrémités comme organiser un référendum à coups de milliards, rien que pour lui permettre de rester au pouvoir.

Les attentes du chef de l’Etat peuvent-elles  faire partie des préalables dont veut discuter l’opposition ?
L’opposition a parfaitement raison de discuter d’abord du cadre de discussion. Faites le bilan de tous les dialogues initiés par le pouvoir, en tout cas ces dernières années. Quand on regarde comment le Collège des sages a été mis en place, comment on a appliqué ces recommandations. Quand on regarde aussi comment le rapport du Maep a été mis en place et comment on a fait fi de ses recommandations. Tout dernièrement, c’est le Ccrp. On nous dit, n’ayez pas peur car le Ccrp n’a pas été mis en place pour déverrouiller l’article 37, on va échanger pour sortir notre pays d’une situation de crise. Si on se met d’accord par consensus sur des réformes, nous les mettrons en œuvre, si on ne se met pas d’accord, on laisse tomber. Après le discours a évolué. Et on a dit, si on ne se met d’accord, on va continuer la discussion. Peut-être que ce qui est consensuel aujourd’hui ne le sera pas demain. On a encore évolué plus tard en disant que le peuple est souverain et que nous allons le consulter. C’est cette duplicité qui fait que les gens n’ont pas confiance. Et ils ont raison de poser des préalables pour aborder les questions de fond plus tard. Mais déjà quand on voit comment  l’équation est posée, moi je suis très perplexe. Et il y a cette histoire de Front républicain  qui brouille également la lisibilité du jeu politique national.

A propos du Front républicain, ils disent avoir 52 partis politiques. Faut-il vraiment les mettre à l’écart ?
C’est vrai, ils sont nombreux, mais avec combien de divisions. Ils sont dans quel camp finalement ? Je crois que c’est tout cela aussi les maladies infantiles de notre démocratie. Des gens qui se disent ni de l’opposition ni de la majorité. Où voulez-vous qu’on les place ?  Et la société civile ? Pourquoi n’est-elle pas partie prenante ? Il y trop de flou avec le Front.

Les réformes politiques passées qui ont impliqué la société civile n’ont pas résolu  le problème. Faut-il laisser les débats entre seulement  les politiciens ?
Je pense que les questions qui sont discutées sont trop sérieuses pour qu’on les laisse dans les mains des partis politiques seuls. C’est notre avenir à nous tous qui est en jeu. Ça ne peut pas intéresser uniquement les partis politiques. Je crois qu’on a véritablement d’ailleurs besoin d’une réconciliation nationale dans ce pays-là. On a travaillé à diviser artificiellement les Burkinabè entre les pro et les anti-sénat, entre les pro et les anti-référendum. Qui a divisé ce pays-là ? Il faut arrêter cela. Les Burkinabè aspirent au changement, à la paix. La responsabilité des hommes politiques, c’est d’écouter ses aspirations et de ne pas les entraver. C’est tout ce qu’on leur demande. Les politiciens ne peuvent pas se retrouver entre eux et faire des arrangements qui feraient bon marché des aspirations des Burkinabè. C’est pour cela que, même s’ils discutent entre eux, nous les avons à l’œil. Je sais que si l’opposition cède sur le terrain de l’intangibilité de l’article 37 de la Constitution, ses leaders auront des problèmes.

Au regard de tout cela, faut-il aller vite ou prendre le temps de s’entendre d’abord tout en sachant que le mandat finit  en novembre 2015 et que les délais courent ?
Une fois de plus,  je soutiens que nous sommes dans une fausse crise, une crise artificielle. Je le dis parce que si Blaise Compaoré abandonne son projet de déverrouiller l’article 37,  le Burkina Faso ne va pas s’effondrer. Le calendrier normal des élections sera tenu. On va organiser les élections présidentielles de 2015, le candidat qui l’emporte sera le nouveau président et le Burkina Faso va continuer à briller dans la sous-région. Par contre, s’il persiste à vouloir  s’accrocher, cette erreur stratégique risque de conduire le Burkina à l’incertitude et même au chaos. Il ne faut pas qu’on se trompe de lecture. C’est une situation créée par des gens qui ont fait leur temps et qui refusent de passer la main. Mais quand on aime son pays, on ne peut pas l’engager dans une incertitude comme celle-là. Il faut que l’on soit capable de sortir de cette situation pour mettre en avant l’intérêt national, et l’intérêt national, ce n’est pas l’intérêt du président. Je ne suis pas sûr que dans ce pays, il y aura des gens qui vont manifester parce que Blaise Compaoré va leur dire « laissez-moi me reposer 5 ans, si vous voulez, je vais revenir dans 5 ans ». En revanche, s’il persiste, forcément, il sera obligé de gérer la contestation, parce que le tout n’est pas de déverrouiller l’article 37. A supposer qu’il réussisse à déverrouiller l’article 37, c’est pour faire quoi ? Est-ce qu’il pourra gérer toutes les frustrations, les colères et les protestations qui vont s’en suivre ?

Les députés du Cdp ont lancé un appel au chef de l’Etat afin qu’il convoque le référendum. Comment jugez-vous cette invitation des députés au président du Faso ?
Dès que j’ai eu  connaissance de cette proposition de loi transformée en appel au secours, j’ai compris immédiatement que c’était du bluff. Sinon, je ne comprends pas que des députés qui ont le pouvoir d’initiative en matière de révision de la Constitution se contentent d’en appeler au président. Pourquoi ils ne  l’initient pas ? Parce qu’ils savent très bien que le processus n’ira pas jusqu’à son terme et qu’ils ne pourront pas réunir la majorité des ¾, et non des 2/3. Ils ne veulent pas engager le processus parce qu’ils savent qu’au bout, ça ne va pas fonctionner. C’est pour cela qu’ils en appellent à Blaise Compaoré en le poussant à utiliser  l’article 49 de la Constitution. Pour moi, réviser la Constitution en utilisant l’article 49, c’est violer la Constitution. Ils doivent respecter la procédure prévue au titre 15 de la Constitution et c’est là-bas qu’il faut aller chercher les dispositions pour réviser la Constitution. L’article 49 parle d’intérêt national. On ne va pas faire de la sémantique, mais franchement, que Blaise Compaoré reste ou ne reste pas, ce n’est pas une question d’intérêt national.
Il en a les moyens, mais l’histoire retiendra qu’il avait la possibilité de sortir la tête haute avec tous les honneurs, quitte à revenir en 2020, mais qu’il s’est fourvoyé. Je suis sûr que ce serait l’erreur la plus monumentale de sa carrière politique. L’histoire va juger, vous allez voir. On se donne rendez-vous.
Propos recueillis par Jean De Baptiste OUEDRAOGO

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