L’Afrique reste toujours un continent abonné aux coups de force perpétrés par des militaires, des groupes armés ou encore des rebellions, organisés ou non, pour accéder au pouvoir. Le phénomène est si récurrent qu’il a inspiré une thèse en sciences politiques de l’Université de Ouaga II, le 3 septembre 2014.
L’impétrant, Abdoul Karim Saïdou, en choisissant de faire une thèse sur le thème «Conflit armé et démocratisation en Afrique : cas du Niger» s’est donc laissé guider par les trajectoires de reconversion des ex-chefs rebelles Touaregs et Toubous au sein des partis politiques au Niger à l’issue des rébellions armées des années 1990 surtout.L’une des particularités de la thèse réside dans le fait que les questions touarègues au Sahel font très souvent l’objet de nombreux travaux en sciences sociales, mais les liens entre gestion post conflit et démocratisation ont suscité peu d’enthousiasme scientifique.
Et pourtant, selon le candidat, «l’analyse des trajectoires de reconversion politique des ex-chefs rebelles fournit une entrée féconde pour élucider les dynamiques conflictuelles en Afrique».Une telle thèse a nécessité de minutieuses recherches, un nombre incalculable d’ouvrages à lire, ainsi que des entretiens. Et Abdoul Karim Saïdou l’a fait, non sans difficultés car, précise-t-il, l’accès à certains ex-rebelles n’a pas été aisé.
Le Niger et ses rebelles démocrates
Dans sa thèse,l’auteur a abordé la gestion post-conflit sous le prisme de la sociologie du phénomène partisan et de la théorie de la démocratisation, en tentant de répondre à la question fondamentale : comment le système partisan contribue-t-il à la gestion post-conflit ? En clair, la spécificité du Niger est telle que les ex-chefs rebelles ont toujours su faire une reconversion pour entrer dans des partis politiques, ne serait-ce que le temps de se «blanchir», même s’il leur arrive de reprendre les armes. Mais pour Abdoul Karim Saïdou, cette réflexion est partie du postulat que «la consolidation démocratique dans les Etats en situation de post-conflit est tributaire du succès des processus de reconversion politique des anciens chefs rebelles». Il est dès lors important de chercher à comprendre la reconversion des ex-chefs rebelles qui, à un certain moment, acceptent la démocratie comme «The onlygame in town», selon l’expression de l’auteur A. Przeworski. Pourtant, il n’a pas toujours été ainsi à travers le continent africain où dans certains pays ayant connu des conflits armés. L’abandon de l’habitude guerrière n’est pas tout le temps la chose la mieux partagée. Dans certains cas, les groupes armés se reconvertissent en partis politiques comme au Salvador, au Guatemala, en Afrique du Sud, en Algérie, etc. et d’autres retournent dans les maquis.
Le «désordre» des rébellions construit de l’ordre politique
Au Niger, les ex-chefs rebelles intègrent les partis politiques qu’ils ont combattus. La singularité du cas nigérien réside en cela aussi. De toute évidence, de telles reconversions ont des effets induits sur le système politique et cela n’a pas échappé au candidat Abdoul Karim Saïdou qui souligne qu’il y a là aussi un paradoxe dans leur choix. C’est ainsi qu’il a fait remarquer que «la gestion post-conflit a impulsé une hybridation des règles du jeu politique ainsi que la naissance d’un secteur de politiques publiques sur la gouvernance de la sécurité. Les rébellions sont devenues une filière d’émergence des élites politiques. Si la banalisation de la rébellion comme mode de participation politique affecte la sécurité de l’Etat, elle contribue paradoxalement à améliorer la légitimité de l’Etat. Ainsi, le désordre des rébellions construit l’ordre politique».
Les rebelles sont donc devenus comme des «entrepreneurs» politiques selon le candidat, «des acteurs désireux d’accéder au pouvoir, fondamentalement pour leur propre bonheur et accessoirement pour servir un idéal». Leur distinction d’avec les autres politiques, étant uniquement basée sur leur répertoire d’actions fondées sur la violence. Certes, une certaine ambition politique peut se réaliser dans le jeu des ex-chefs rebelles mais, au fond, Abdoul Karim a fait jaillir de cela l’idée que «l’accès à l’État et à ses ressources a structuré les stratégies des chefs rebelles et des chefs de partis politiques avec lesquels ils se sont alliés à l’issue de la rébellion des années 1990. La reconversion politique des ex-chefs rebelles a reposé sur un soubassement stratégique en raison d’une part, des visées électoralistes des chefs de partis et d’autre part, des ambitions de l’élite rebelle à accéder à l’appareil d’État et à ses ressources matérielles et symboliques». La thèse a montré alors que le système partisan a structuré les reconversions de l’élite rebelle, une élite happée par la rationalité politique et non par l’idéologie. En somme, le projet rebelle a été sacrifié sur l’autel des intérêts.Le candidat n’a pas fermé toutes les portes dans le domaine à l’issue de sa recherche. Il a ouvert une perspective, à savoir le terrorisme islamique et la rébellion armée, qui pourrait être prospectée dans de futures recherches.
Les membres du Jury ont reconnu dans leur ensemble que le thème était suffisamment difficile. Et en dépit de cela, le candidat a été à la hauteur de la réflexion intellectuelle. Ils disent avoir trouvé «une très belle thèse». Le Pr Alioune Badara Diop a, d’ailleurs, estimé que la force de la thèse réside dans «sa cohérence», et le Pr.MahamanTidjani Alou de préciser qu’elle est «convaincante». Le plus heureux a surtout été le Pr Augustin Loada, le directeur de thèse, qui s’est d’ailleurs réjoui de l’aboutissement d’un long processus. C’est sans surprise que le jury, après plus de trois heures de soutenance, a déclaré, à l’unanimité, Abdoul Karim Saidou, Docteur en Sciences politiques avec la mention très honorable.
La composition du Jury
directeur de thèse : M. Augustin Loada, professeur titulaire de droit public et science politique, Université Ouaga II (Burkina Faso)
président : M. Jean-Pierre Jacob, professeur titulaire d’anthropologie, IHEID, Genève (Suisse),
rapporteur : M. Alioune Badara Diop, professeur agrégé de science politique, université Cheick Anta Diop, Dakar (Sénégal),
rapporteur : M. MahamanTidjani Alou, professeur agrégé de science politique, université Abdou Moumini, Niamey (Niger),
membre : M. Mahamadou Zongo, maître assistant en sociologie.
Jean De Baptiste OUEDRAOGO