La drogue constitue un problème mondial qui a des impacts négatifs sur l’économie et la santé des populations. Pendant longtemps, la répression était pratiquement le seul moyen de lutte contre ce fléau. Mais force est de constater que malgré cette répression, la drogue gagne du terrain. Toute chose qui n’a fait qu’augmenter le nombre de personnes qui la consomment. A ce sujet, les données de l’ONUDC fournies en 2013 sont assez édifiantes : 27 millions d’usagers de drogues, dont près de la moitié consommeraient ces drogues par injection. Il ressort aussi que 1,65 millions d’entre eux seraient atteints du VIH. En Afrique subsaharienne, les chiffres ne sont pas aussi reluisants. C’est ainsi que sur 13 des 49 pays de l’Afrique subsaharienne dont les données sur la consommation de drogues injectables (CDI) sont disponibles, il ressort que sur 1.778.500 CDI, il y a environ 221.000 qui seraient atteints par le VIH. De 2013 à 2018, ces chiffres ont connu une croissance « exponentielle ». En effet, selon les données du dernier rapport mondial sur les drogues établi en 2018 par l’ONUDC, il est indiqué que seuls 16 pays sur les 49 disposent de données sur la CDI. Dans ces 16 pays, sur 2,3 millions de CDI recensés, on enregistre 546 000 personnes vivant avec le VIH.
Au Burkina Faso, sans avoir des données chiffrées sur le nombre exact de CDI ou sur celles qui utilisent l’injection, il reste établi, selon des spécialistes, que la situation n’est pas reluisante. Une situation qui a été aggravée par la marginalisation des CDI, le manque d’information mais surtout par le fait qu’au lieu de leur trouver une alternative, la société accentue la répression, selon le Dr Hubert Traoré de l’Initiative privée et communautaire pour la santé et la riposte au VIH/SIDA au Burkina Faso (IPC/BF). Conséquence, dit-il, cette répression conduit les CDI à se retrouver dans les liens de la détention où ils développent d’autres maladies telles que la tuberculose, le VIH/SIDA et les autres co-morbidités. Cette situation est à l’origine du taux élevé de prévalence du VIH/SIDA dans les prisons. D’après une enquête menée dans 5 pays de la sous-région ouest-africaine (BF, Cap vert, Côte d’Ivoire la Guinée Bissau et le Sénégal où le Programme régional de réduction des risques VIH/TB et autres co-morbidités et promotion des droits humains auprès des consommateurs de drogues injectables en Afrique de l’Ouest (PARECO) est mis en œuvre , il ressort que les prévalences du VIH parmi les populations clés restent encore très élevées dans les 05 pays concernés par la NCR. L’enquête fait savoir qu’il y a un impact disproportionné sur les professionnelles du sexe (PS), les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH), les détenus en plus des CDI. De façon détaillée, ces prévalences varient entre 6 à 36% parmi les HSH, soit entre 3 et 30 fois plus qu’en population générale ; 5,5% à 54% parmi les PS, soit entre 2 et 35 fois plus qu’en population générale ; 3% à 10,2% parmi les CDI, soit entre 2 et 12 fois plus qu’en population générale et 2,7% à 9,4% parmi les détenus, soit entre 1,5 et 6 fois plus qu’en population générale.
Rendre la lutte contre la consommation de la drogue au Burkina « humaine »
Face à ces données inquiétantes, le Burkina Faso, à l’instar des 4 autres pays bénéficiant du PARECO, un programme financé par le Fonds mondial, a décidé de prendre « les taureaux par les cornes » pour s’attaquer à la consommation de la drogue et ses conséquences sur la santé de l’homme et l’économie. En effet, il ressort que ce fléau touche majoritairement les jeunes. Des bras valides qui auraient pu être utiles à la société et tirer l’économie vers le haut se retrouvent dans l’incapacité totale de l’être, au pire des cas, s’adonnent au vol et à la prostitution. Autres méfaits de la société. « La consommation de la drogue constitue un terreau fertile pour les maladies issues de la santé publique : VIH/SIDA, tuberculose, hépatites, et pour traiter ces maladies, le gouvernement est encore obligé de débourser d’énormes ressources financières pour y faire face. Indirectement, la consommation liée à la drogue affecte le budget national », fait savoir Jonas Yaro, chargé de communication à l’IPC/BF. C’est au regard de ce constat que l’IPC/BF a décidé de rendre la lutte contre la consommation de la drogue plus « humaine » au Burkina Faso. La finalité est de « repêcher » un grand nombre de CDI.
Le Burkina Faso adopte la méthode Réduction des risques (RdR)
Pour y arriver, l’IPC/BF a adopté la méthode réduction des risques (RdR) et tuberculose et autres co-morbidités promues par le PARECO. Dans cette approche, l’accent est mis sur l’un des modèles innovants qu’est « Outreach ». Cette approche consiste d’aller vers les CDI là où ils se trouvent; les sensibiliser, distribuer du matériel de RdR et au besoin, les emmener vers les services de santé. Elle a permis d’avoir des résultats « plus que satisfaisants sur le terrain », affirme Dr Hubert Traoré (Voir encadré 2). « Les CDI sont des personnes humaines qui consomment, certes, la « drogue » mais ne doivent être marginalisées. La société les rejette, les marginalise et pendant ce temps, ils augmentent, donc, il va falloir les intégrer dans la société à travers de nouvelles approches », martèle Dr Hubert Traoré.
C’est partant de cette réalité que le Burkina Faso expérimente l’approche Outreach.
De l’avis du Dr Hubert Traoré, cette approche Outreach a permis à un pays comme le Sénégal de s’illustrer comme l’un des meilleurs pays subsahariens dans la lutte contre les CDI. Mieux, les autorités politiques affichent une réelle volonté à venir à bout de ce mal. La prochaine étape sera l’approche collaboration avec les forces de sécurité et avec le milieu carcéral. Il faut noter que d’autres pays ont également fait des prouesses avec la RdR. Il s’agit des pays ayant une tradition de santé publique (Royaume-Unis, Pays-Bas, Suisse, pays nordiques). Dès l’apparition du Sida, les mesures de RdR se sont rapidement imposées aux professionnels de manière évidente et pragmatique et ont été mises en œuvre à partir de 1985. Pendant ce temps, les autres pays (notamment la France et les Etats-Unis) qui n’ont pas de tradition de santé publique et une approche moralisante des questions d’addiction. Dans ces pays, ce sont les associations et les militants qui ont imposé la mise en œuvre des mesures de RdR.
A ce jour, laisse entendre, Dr Hubert Traoré, plus de la moitié des pays dans le monde réalisent ou tolèrent des programmes RdR. L’utilisation de la méthode RdR a permis à la Suisse, la Grande-Bretagne ou l’Australie de voir le nombre de nouvelles infections à VIH parmi les utilisateurs de drogue (UD) être quasi nul. Autre réussite du RdR est au Népal où le passage à l’échelle de la RdR entre 2002 et 2011 s’est accompagné d’une réduction de la prévalence du VIH de 68% à 6,3% parmi les UD. L’Ukraine présente la même évolution, avec une diminution de 41.8% à 19.7% de prévalence du VIH parmi les UD lors des dernières années (2006-2016), pendant lesquelles, la RdR était de plus en plus appliquée, alors qu’aux Philippines, pendant la même période et sans développement de la RdR, la prévalence du VIH parmi les UD est passée de 1% à 41,6%. Toutes ces informations ont fait l’objet d’un atelier de formation au profit d’une cinquantaine de journalistes issus de la presse nationale. C’était du 14 au 15 décembre 2018 à Ouagadougou.
Rachel DABIRE
A l’IPC/BF, on se dit convaincu que la RdR est l’une des solutions qui vaille à l’heure actuelle au pays des Hommes intègres. Mais c’est quoi la RdR ? A cette question, Dr Hubert Traoré a souligné que la RdR c’était une démarche de santé publique pragmatique en ce qu’elle entend limiter les risques liés à la consommation sans avoir nécessairement comme premier objectif, le sevrage et l’abstinence.
Quelques résultats du PARECO après un an de mise en œuvre de la méthode Outreach
1275 CDI ont été vus par les médiateurs du modèle innovant ;
12 groupes de parole ont été réalisés ;
118 CDI ont bénéficié d’une PEC médico-psychosociale.