A la uneDossier

Achats bord champ des récoltes: « L’État veut créer l’équilibre », Stéphane Gildas Tiendrébéogo, DG SONAGESS 

Installé officiellement le 18 novembre 2024, à la tête de la Société nationale de gestion du stock de sécurité alimentaire (SONAGESS), Stéphane Gildas Tiendrébéogo avait pour mission de conduire la réforme, qui devrait permettre à la structure de jouer un rôle plus actif dans la régulation des prix des produits sur le marché agricole, et de contribuer efficacement à l’atteinte de la souveraineté alimentaire au Burkina Faso. Presqu’une année de gestion après, L’Economiste du Faso a pu faire le point de ce vaste chantier avec lui, au cours d’un entretien dans l’après-midi du jeudi 13 novembre 2025. L’homme, qui a quitté le bureau du Directeur financier et comptable pour celui du Directeur général de la SONAGESS, déroule pas à pas les activités, afin de permettre à l’Etat de jouer pleinement son rôle : celui de créer l’équilibre.

L’Economiste du Faso : Vous avez pour mission de mettre en œuvre une réforme de la Société nationale de gestion du stock de sécurité alimentaire (SONAGESS) pour qu’elle réponde mieux aux besoins des populations. Pouvez-vous nous présenter cette réforme ?
Stéphane Gildas Tiendrébéogo, DG SONAGESS : Deux décrets ont transformé le décret portant création de la SONAGESS mais également ont adopté les nouveaux statuts particuliers. Il s’agit des décrets 2024-09-79 et 2024-11-86. Sur cette base-là, la SONAGESS a été érigée en centrale d’achat et de commercialisation des produits agrosylvopastoraux. Classiquement, il s’agissait bien d’une Société d’Etat qui n’avait pas toute la latitude de faire le commerce comme il se devait. La réforme a consacré l’élargissement des attributions de la Société, l’érigeant en centrale d’achat et de commercialisation. La structure est devenue une centrale d’achat des produits agrosylvopastoraux. Maintenant, nous touchons aux produits agricoles, aux produits pastoraux, aux produits forestiers, notamment, la noix de cajou et l’amande de Karité.
Nous restons toujours dans notre gamme de constitution et de gestion des stocks. Initialement, on nous confiait la gestion du stock de sécurité. Maintenant, on a totalement la charge de la constitution et de la gestion du stock de sécurité, du stock d’intervention et du stock de régulation.
Cette réforme consacre également notre contribution à la régulation des marchés agricoles, en termes de quantité et de prix. Par exemple, lorsqu’il y aura des zones qui seront en déficit d’approvisionnement, nous devons apporter des provisions pour combler ce déficit, et lorsqu’on constatera de l’inflation quelque part, nos produits doivent aider à la juguler.
Dans le cadre de la réforme, la SONAGESS est supposée gérer maintenant les différentes infrastructures de stockage des différentes institutions publiques. Il faut dire que si tout se passe bien, la SONAGESS pourra également faire de la tierce détention. La tierce détention, c’est quoi ? C’est ce dispositif-là qui permet à celui-là qui dispose de son stock et qui n’a pas de dispositif de stockage de venir vers nous, nous confier son stock pour gestion, avec bien évidemment des termes, un protocole, un encadrement pour que l’on puisse situer les responsabilités et que l’on puisse voir ce qui revient à l’institut qui assure cette détention.

En matière de collecte pour cette année, l’objectif est de 150 000 tonnes de maïs. (YS)

Nous devons également, dans le cadre de notre réforme, contribuer à l’atteinte de la souveraineté alimentaire. À ce niveau-là, ce qu›on attend de nous, c›est d›augmenter les achats auprès des organisations paysannes. Il faut dire que la production, il y a des pertes post-récoltes généralement, évaluées à environ 30% par la FAO. Donc si la SONAGESS intervient au moment de la sortie des récoltes pour collecter, vous voyez qu’on limite les pertes post-récoltes et on permet de contribuer à l’atteinte de la souveraineté alimentaire. Par ailleurs, en nous constituant un débouché pour les productions de nos producteurs, on les encourage à produire plus demain.

Pour ce point précisément, on parle de prix minimum garanti, comment comptez-vous procéder ?
A l’entrée de la saison, on doit avoir un compte d’exploitation prévisionnel qui va nous permettre d’imaginer quel peut être le prix de cession à la sortie de la récolte. Ce prix doit être rémunérateur pour le producteur et chacun en se lançant dans la production pourrait connaitre déjà les marges qu’il peut se faire. Cela va éviter que les producteurs bradent leurs récoltes : c’est le prix minimum garanti. Le hic de ce dispositif, c’est que si les producteurs n’arrivent pas à céder à d’autres acheteurs au prix minimum que vous avez garanti, l’État doit avoir un dispositif qui permet, en arrière-plan, de récupérer leurs produits. Le texte a été adopté en Conseil des ministres, mais le décret n’est pas encore signé.

On a assisté au cours de l’année, à une vente directe des produits de la SONAGESS à la population dans les différentes régions du pays, à des prix sociaux. Quel est le bilan de cette opération ? Combien de tonnes de produits ont été cédées ainsi aux Burkinabè ?
Dans le cadre de notre réforme, on nous attend sur le terrain de la régulation en termes de prix et de quantité. Pour cette année, on peut dire qu’il y a eu une double régulation, puisqu’à un moment donné, il y avait une insuffisance de stock sur le marché, mais en même temps, il y avait une inflation. Il était question donc pour nous d’intervenir pour soulager la population.
En tout cas, le bilan de l’opération est très satisfaisant, car il a permis à de nombreux ménages d’accéder plus facilement à des céréales de base, à une période où les prix étaient vraiment élevés et les marchés étaient moins approvisionnés. Nous avons pu mettre à la disposition de la population, dans le cadre de ces ventes, 2 062 tonnes environ de riz et 6 100 tonnes de maïs. L’opération a vraiment permis de limiter l’inflation et de réguler les prix. Notre intervention a réduit la pression sur les ménages et les stocks que les ménages ont reçus ont limité en réalité les velléités de spéculation qui étaient là.

De petits malins se font passer pour des personnes indigentes ou à faibles revenus pour bénéficier des produits destinés à cette catégorie de la société. De quel tamis disposez-vous pour trier le bon grain de l’ivrai ?
Sur cette question, il convient de clarifier la nature de nos différents stocks : le stock national de sécurité, le stock d’intervention et le stock de régulation. Le stock de régulation est vendu à toute la population indistinctement. Le stock d’intervention est celui destiné aux personnes vulnérables et le sac de maïs est cédé généralement à 6 000 FCFA. On a tenté plusieurs méthodes pour atteindre directement les personnes vulnérables. C’était la SONAGESS elle-même qui organisait la répartition, mais il y avait beaucoup de récriminations. Par la suite, on a confié la tâche aux Communes et il y avait toujours des critiques.
Cette année, le dispositif a été carrément réformé. On a mis en place un système de ciblage sur la base de listes validées préalablement par les autorités locales et on a renforcé le contrôle via un dispositif informatique.
Chaque Commune met en place un comité de ciblage, et ce comité au niveau communal peut même mettre en place des comités de secteurs. Ils identifient les personnes vulnérables à la base, ils remontent, ils créent une base de données. C’est le recensement.
Après, le recensement, ils regardent parmi les personnes recensées, et attribuent des codes bons aux plus vulnérables en fonction de la quantité de vivres que nous mettons à leur disposition. C’est sur la base de ces codes bons que ces dernières-là vont se présenter dans nos différents points de vente et puis procéder à l’achat. Même sur la base du code bon, ils peuvent déjà payer par mobile money. Et après, quand le mobile money va leur donner également un code, ils viennent, ils se présentent et retirent leur sac tranquillement.

Le jeudi 17 juillet 2025, vous avez procédé au lancement de l’opération de collecte bord champ sur la plaine rizicole de Soum, dans la Commune de Nanoro. En quoi consiste cette opération ? Comment se déroule-t-elle depuis le lancement?
En matière de collecte pour cette année, nous sommes sur un objectif de 530 000 tonnes réparties comme suit : 300 000 tonnes de riz paddy, 150 000 tonnes de maïs, 35 000 tonnes de niébé, 15 000 tonnes de mil et 30 000 tonnes de sorgho.
Il faut dire que nous avons, par chance, eu l’occasion d’éprouver le dispositif, même avant le lancement officiel. En juin, nous avons d›abord pu faire une collecte au niveau du Soum. Après, nous avons eu à faire également une collecte au niveau de Bagré. Cela nous a permis d’affiner le dispositif.
On a fait le lancement de la collecte du niébé, le 4 novembre, à Kalsaka. En fait, l’idée d’aller à Kalsaka, qui n’est pas une zone excédentaire, c’était de pouvoir dire aux gens que même dans les zones déficitaires, il y a des spéculations que nous voulons. Et c’est pour cela qu’on a juste fait là-bas la collecte du niébé.
On a lancé la collecte au niveau national, parce que là où il y a des plaines, partout où il y a des bas-fonds, on produit du riz. Nous avons déployé sur le terrain, 110 kits que nous allons encore renforcer avec près de 100 kits pour atteindre au moins 230 kits de collecte au total.
Nous avons préféré garder une vingtaine par deux vers nous pour faire des appuis ponctuels. Si dans une zone, par exemple, il y a de l’affluence, c’est bon qu’on déploie un dispositif supplémentaire pour aller appuyer l’opération en cours. Il y a des zones qui n’ont pas encore véritablement commencé, parce qu’il y a des zones où il y a eu des retards.
Nous, nous avons lancé officiellement. Nous sommes maintenant en charge pour chaque zone de mettre en place son calendrier de collecte. C’est-à-dire que pour faire ce travail-là, nous avons décidé de nous reposer sur le dispositif déconcentré du ministère. Ce sont les Directeurs régionaux du ministère en charge de l’agriculture qui sont nos points focaux. Les agents collecteurs mêmes sont issus de ce dispositif. Ils connaissent les producteurs et leurs variétés de production. A terme, il nous faut maîtriser tout ce que nous avons collecté, en quantité, mais aussi en variété.

Certains producteurs disent que les prix proposés ne couvrent pas leurs frais de production, par conséquent, ils préfèrent céder leurs produits au plus offrant. Avez-vous rencontré ces types de producteurs ?
Nous constatons, depuis le début de l’opération, qu’il y a de l’engouement. Les gens viennent pour céder leurs récoltes sans qu’on ait à forcer quelqu’un. Cela veut dire que les producteurs, en tout cas, que nous avons saisis, sont donc intéressés par nos prix. Il faut également dire que préalablement à la collecte, nous avons même fait des sorties de terrain où nous avons sensibilisé les producteurs sur l’intérêt de la SONAGESS, qui constitue des stocks de souveraineté, parce que le stock que nous constituons aujourd’hui servira à intervenir demain au profit de toute la population. Les enjeux sont donc multiples.
Maintenant, à notre niveau, nous, on peut déjà vous rassurer aussi que nos prix sont au-dessus de ceux que proposent les autres collecteurs directs. Je prends, par exemple, la zone de Banfora. À la sortie des récoltes, par moments, vous avez des zones où on cède même les céréales à moins de 10.000, le maïs, par exemple, à moins de 100 FCFA le kilo. Nous, nous allons là-bas et nous collectons à 135 FCFA le kilo. Donc, vous vous rendez compte que notre prix de collecte est bien alléchant par rapport aux collecteurs classiques. Mais au-delà de ça, nous voulons également vous rassurer que, en tout cas, pour la fixation de notre prix, nous avons tenu compte des comptes d’exploitation pour ce qui est des spécificités par zone.
Les éléments qui entrent en ligne de compte quand on parle de comptes d’exploitation, ce sont les intrants, la main d’œuvre, et également le rendement. Une zone qui est naturellement riche aura moins d’intrants, moins de besoin d’engrais et aura une rentabilité plus élevée.
Celui qui produit donc dans une zone riche, son compte d’exploitation n’est pas le même que celui qui produit dans une zone aride. Ce sont des éléments qu’il faut prendre en compte, lorsque vous regardez les prix que nous avons fixés.
Nous avons fixé les prix uniquement dans les zones excédentaires, car dans notre processus de collecte, nous partons d’abord dans les zones excédentaires pour collecter. Mais les zones excédentaires sont des zones également qui ont des facilités de production, qui ont un rendement généralement plus élevé que les autres zones. Donc, du coup, celui-là qui va peut-être rester dans une zone qui n’est pas une zone de prédilection de notre collecte, qui va faire son compte d’exploitation, il peut conclure pour dire qu’en réalité, les prix proposés ne font pas son affaire. Nous, État, nous voulons créer l’équilibre.
Si dans une zone non excédentaire, il y a des gens qui sont intéressés à nous céder leurs stocks, on va consentir de prendre ce stock au prix le plus élevé des zones qui sont nos zones de collecte de prédilection. Cette mesure veut prendre en compte ceux qui font l’agriculture à des buts commerciaux dans certaines zones.
Du reste, nous collectons pour revendre à tous les Burkinabè et à des prix accessibles à tous. Si nous collectons chèrement parce que c’est l’État et qu’on a les moyens, ça veut dire que nous allons devoir revendre chèrement, alors que ce n’est pas l’intérêt.

L’Etat a créé Faso Yaar pour rendre disponibles « les produits de grande consommation aux populations en respectant la règlementation de distribution en la matière ». Quel sera le rôle de la SONAGESS auprès de cette nouvelle Société ?
On n’a pas totalement la lisibilité mais on considère que c’est quand même deux structures de l’État qui doivent se compléter, potentiellement des segments de marché différents. La SONAGESS, on la connaît, on connaît son registre. Elle collecte des produits, de la matière première qu’elle revend. nous vendons des produits prévus à la consommation. Je suppose que Faso Yaar interviendra sur des produits sur lesquels la SONAGESS n’a pas encore une main mise. Et si par extraordinaire, il devra y avoir des produits et qu’on va gérer en commun, c’est sûr également qu’on pourra baliser et trouver un terrain. Ça ne gêne pas effectivement que la SONAGESS fasse de la collecte pour revendre à Faso Yaar qui va venir vendre, ou bien utiliser un dispositif de Faso Yaar pour vendre.
Ona plusieurs structures qui ont une vocation nationale, c’est-à-dire qu’on doit couvrir tout le territoire avec nos interventions. Du coup, il est même bon que nous fédérions nos énergies, que nous nous mettions en synergie pour pouvoir prendre en charge de façon optimale nos différentes attributions.
Si je dois disposer d’un magasin et d’un point de vente dans une localité et j’y trouve que Faso Yaar est déjà implanté, je pense que je peux juste lui dire de faire de la place à mes produits. Et si moi aussi j’ai de la place là où sont mes produits, Faso Yaar peut dire de faire de la place à ses produits. Normalement, en tout cas, il y aura des occasions d’échange pour que nous puissions nous accorder sur les segments d’intervention de chaque secteur.

Le vaste chantier de la réforme est-il bien lancé ?
Une réforme, quand elle n’est pas comprise, ce n’est pas évident qu’on puisse fédérer les énergies dans sa conduite. En collectant la production auprès des producteurs, on se positionne comme un débouché sûr, et cela va les encourager à produire demain. Nous servons ainsi les intérêts de l’offensive, en ce sens que si les gens sont poussés dans la production, on va atteindre très vite l’autosuffisance alimentaire dans le marché. En aval, les produits collectés vont permettre de réguler les marchés en mettant à la disposition de toute la population, des produits de consommation à des coûts bien étudiés.
Nous avons d’autres dispositifs que nous allons mettre en place pour la conservation. Et si nous avons des magasins bien adaptés, c’est encore mieux. Au-delà de ça, la collecte, comme elle est une opération d’envergure, elle va demander de la logistique. Si on peut avoir des appuis également, nous sommes prenants. Au niveau de l’État, l’accompagnement est assez acquis, mais il n’est pas suffisant.
Interview réalisée par Moumouni SIMPORE

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page