Focus

Emprunts obligataires Changement dans les règles d’impôt au Burkina Faso

• Sur les intérêts des émissions sur le marché financier régional

• Objectif, combler le manque à gagner par l’Etat

• Les précisions du PDG de SA2IF

À partir du 1er août 2025, les intérêts sur les emprunts obligataires UEMOA seront imposés au Burkina Faso. C’est ce qui ressort de la circulaire signée le 23 juin 2025, par le ministre de l’Economie et des Finances, Dr Aboubakar Nacanabo. Une décision qui marque la fin de l’exonération automatique. Réforme majeure, entamée par le pays et qui entre dans le traitement fiscal des revenus issus des emprunts publics.
Dans sa lettre relative à l’imposition des intérêts des emprunts obligataires et tous titres d’emprunts émis par les Etats membres de l’UEMOA et leurs collectivités territoriales, à l’impôt sur les bénéfices, le ministre Nacanabo explique que sa décision fait suite à une directive de l’UEMOA. Il s’agit de la Directive n°01/2008/CM/UEMOA, en son article 9, portant harmonisation des modalités de détermination du résultat imposable des personnes morales au sein de l’UEMOA, exonère de l’impôt sur les bénéfices industriels et commerciaux et partant, de l’impôt sur les sociétés, les intérêts des emprunts obligataires et tous autres titres d’emprunts émis par les Etats membres et leurs collectivités territoriales. Bien que la décision prévoie cette exonération, le Burkina Faso ne l’a jamais transposée officiellement dans sa législation. Résultat : une exonération appliquée de fait, mais juridiquement fragile, qui occasionnait un manque à gagner fiscal pour le Budget national.

Ce qui change dès le 1er août 2025
C’est pour rattraper ce manque à gagner d’ailleurs que le ministre de l’Economie a pris cette décision. Désormais donc, les intérêts perçus sur les emprunts émis par les États membres de l’UEMOA (hors Burkina Faso) et leurs collectivités territoriales seront désormais soumis à l’impôt sur les bénéfices au Burkina Faso. À partir de cette date, les intérêts perçus sur tous les nouveaux emprunts contractés dans l’espace UEMOA seront imposables au Burkina Faso, sauf s’ils proviennent d’emprunts émis par l’État burkinabè ou ses démembrements (Communes, établissements publics, etc.). Autrement dit : Si vous prêtez de l’argent à la Côte d’Ivoire, au Sénégal ou au Niger via un emprunt obligataire : vous paierez l’impôt sur les intérêts perçus. Et si vous prêtez à l’État burkinabè ou une collectivité locale burkinabè, vous restez exonéré. A noter que cette mesure ne s’applique qu’aux emprunts conclus à partir du 1er août 2025. Les anciens emprunts, contractés avant cette date, ne sont pas concernés.o
ESS

« Une mesure plus incitative pour les investisseurs étrangers », dixit, Constantin K. Dabiré, PDG de SA2IF

Dans le cadre de la réforme visant à renforcer l’équité fiscale et à élargir l’assiette de l’imposition des revenus du capital, l’État met en œuvre une nouvelle mesure relative à l’imposition des intérêts des emprunts émis par les autres Etats de l’UEMOA. La présente circulaire a pour objet de préciser les modalités d’application de cette disposition, les revenus concernés, ainsi que les obligations déclaratives qui en découlent. Dans les lignes qui suivent, le PDG de la Société africaine d’ingénierie et d’intermédiation financières (SA2IF) partage l’impact de cette décision pour les SGI. Constantin K. Dabiré répond ici aux questions de L’Economiste du Faso.

L’Economiste du Faso : Le gouvernement a annoncé, dans une circulaire, l’imposition des intérêts des emprunts émis par l’UEMOA. A votre avis, qu’est- ce qui peut expliquer cette décision du Burkina, quand on sait que la mesure est effective dans certains pays de l’Union ?
Constantin K. Dabiré, PDG de SA2IF : De mémoire, la mesure telle qu’annoncée serait conforme à la Directive N°02/2010/CM/UEMOA portant harmonisation de la fiscalité applicable aux valeurs mobilières dans les Etats membres de l’UEMOA, sous réserve des taux d’imposition et du respect du principe de la non double imposition. La décision du gouvernement burkinabè d’imposer maintenant les intérêts des emprunts émis peut s’expliquer par plusieurs raisons d’ordre économique, budgétaire, fiscal et politique. D’abord, il faut noter que cette mesure viserait à élargir l’assiette fiscale. En effet, le Burkina Faso, comme beaucoup d’autres pays de la sous-région, fait face à des besoins budgétaires croissants, notamment, pour renforcer les infrastructures, financer les dépenses sécuritaires et sociales et réduire sa dépendance à l’aide extérieure. Dans cette logique, imposer les intérêts des emprunts permettrait d’élargir l’assiette fiscale, c’est-à-dire de taxer une source de revenus jadis exonérée pour les personnes physiques et morales investissant dans les titres publics des autres Etats membres. Ensuite, cette mesure peut aussi être vue comme une recherche de justice fiscale : les détenteurs des titres d’emprunts obligataires (souvent les ménages aisés, les grandes entreprises ou les institutions financières) verront leurs revenus financiers imposés au même titre que les revenus du travail ou d’autres formes de revenus.
Enfin, dans un contexte marqué par l’instabilité sécuritaire, des difficultés d’accès au financement extérieur, des besoins de refinancement de la dette publique, l’Etat pourrait chercher à mobiliser plus de ressources propres de façon temporaire ou structurelle. En effet, il faut noter que la situation actuelle du pays fait que des investisseurs nationaux (personnes physiques et morales) sont très souvent tentés à souscrire à des emprunts d’autres pays hors AES pour des raisons de plus de sécurité, selon eux. Cette mesure permettra non seulement de capter des ressources nouvelles, mais encouragera des investisseurs nationaux à privilégier les titres nationaux du fait de l’avantage fiscal couplé au rendement intéressant ; toute chose qui augmente les capacités de mobilisation des ressources locales.
Cependant, il existe un risque relatif à cette mesure qui pourrait dépendre du degré de mobilité des investisseurs. Les investisseurs sur les titres publics pourraient changer de résidence fiscale au profit d’un autre pays membre de l’Union où le droit fiscal concède une exonération des intérêts des emprunts obligataires des autres Etats de l’UMOA. Ceci pourrait créer un effet boomerang en termes de mobilisation des recettes fiscales. Toutefois, ce risque pourrait être non significatif du fait de l’incitation fiscale spécifique accordée sur les titres d’emprunts de l’Etat du Burkina Faso.

Le gouvernement évoque des pertes fiscales importantes sur le Budget de l’Etat. Ces pertes sont elles aussi ressenties par les SGI ?
Il faut dire que l’exonération fiscale sur les revenus des titres souverains, mise en place pour encourager l’investissement dans les obligations d’État, constitue un manque à gagner budgétaire pour le gouvernement, qui évoque d’importantes pertes fiscales. Toutefois, cette perte ne touche pas directement les Sociétés de gestion et d’intermédiation (SGI), mais engendre des effets indirects significatifs. En effet, la suppression de cette exonération réduirait l’attractivité des titres souverains d’autres Etats pour les investisseurs résidents, notamment, institutionnels et personnes physiques, ce qui pourrait entraîner une baisse de la demande sur le marché primaire. Cette baisse d’activité se traduirait mécaniquement par une diminution des volumes placés, des commissions d’intermédiation, et des revenus liés aux opérations de marché. À moyen terme, cela affecterait également la liquidité sur le marché secondaire et l’intérêt pour les portefeuilles obligataires, réduisant ainsi les marges des SGI. Dans ce contexte, les SGI pourraient se retrouver dans un environnement moins dynamique, malgré leur rôle central dans la mobilisation de l’épargne domestique.

Selon vous, cette mesure va-t-elle refroidir les investisseurs étrangers sur les emprunts burkinabè ?
En dehors du risque pays lié à la crise sécuritaire et à l’instabilité politique que l’Etat s’efforce d’atténuer, cette mesure est plus incitative que dissuasive pour les investisseurs étrangers dans les emprunts obligataires d’État du Burkina Faso. La mesure accorde une exonération fiscale pour les intérêts payés à tout investisseur souscrivant à des titres publics émis par l’État. Cela devrait encourager.
ESS

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