
• Un genre filmographique pour soigner une frustration
• Il sera en compétition avec son film « L’homme qui plante les baobabs »
• « J’aborde vraiment cette édition du FESPACO avec beaucoup de sérénité »
Michel Kiswensida Zongo a suivi une formation de prise de vue au Centre national de la cinématographie et en production de films documentaires en France. Il réalise, en 2009, ses premiers films documentaires, « Ti Tiimou » et « Sibi, l’âme du violon ». Depuis lors, il enchaîne les productions dans ce registre : (2009) « La Sirène de Faso Fani » (2014), « Pas d’or pour Kalsaka » (2019). Pour l’édition du FESPACO, il présentera son film dans la catégorie … documentaire. Avec L’Economiste du Faso, le producteur/ réalisateur et gérant de la société DIAM production revient sur son histoire avec les films documentaires, sa vision de l’organisation du secteur, et son attente de la présente édition.
L’Economiste du Faso : Dans votre filmographie, on retrouve des œuvres comme « La sirène du Faso Fani » ou « Pas d’or pour Kalsaka », tous des films documentaires. On a l’impression que vous avez choisi de faire dans ce genre filmographique. Est-ce juste une impression ou c’est vraiment la réalité ?
Michel Kiswensida Zongo : Il y a comme une petite histoire autour de ça et c’est aussi lié à mon itinéraire. Au départ, j’ai commencé le cinéma par la technique, puisque je me suis formé comme caméraman.
Ensuite, j’ai beaucoup travaillé, pratiquement avec des expatriés qui venaient au Burkina Faso ou en Afrique pour faire des films documentaires pour la plupart. A chaque fois, après la sortie des films, j’étais un peu frustré, parce que le point de vue et le regard de ces expatriés sur l’Afrique ne me convenait pas. Et j’ai trouvé aussi qu’en fait, le documentaire qui est le cinéma du réel avait une approche qui rendait les choses plus évidentes. Pour moi, c’était une urgence que les Africains se racontent en utilisant les images de chez nous. Au lieu que ça soit de la fiction bien sûr qui est une autre chose. Mais manipuler le réel pour moi, ça ne pouvait être fait que par les Africains ; parce que c’est notre quotidien, nous sommes les mieux placés pour pouvoir porter ce regard assez juste.
Donc ça, ça m’orientait plus vers le documentaire. Et je me suis formé plus tard en Europe pour pouvoir finir justement ma formation de technicien réalisateur.
Et après, j’ai commencé à produire le documentaire. En fait, c’est le parent pauvre du cinéma, parce qu’il est assez complexe. La thématique peut faire que votre film ne puisse pas passer sur des chaînes de télévision ou trouver un marché. Donc, l’économie du documentaire est très faible et les producteurs n’aiment pas. Les producteurs du cinéma trouvent que c’est beaucoup de boulot et peu rentable. Moi, comme j’ai commencé à faire du documentaire, je me suis lancé dans la production pour produire mes propres films et aussi après produire d’autres films.
Quand vous dites « l’économie du documentaire est très faible », est-ce à dire que faire un documentaire, c’est un peu moins cher ?
On peut dire ça, parce que ce n’est pas la même démarche. La fiction est beaucoup plus complexe dans la fabrication d’un film, demande plus de moyens, plus de techniques et beaucoup plus de personnes.
L’une des forces du documentaire, vous n’avez pas à payer des comédiens. Ce sont des personnages qui racontent leur propre histoire. Mais cela demande beaucoup plus une approche humaine, une approche beaucoup plus sociale.
Comment êtes-vous arrivé à convaincre le vieil El Hadj Salifou Ouédraogo, l’acteur principal de votre film en compétition, « l’homme qui plante les baobabs » ?
Moi, je l’ai connu sur les réseaux sociaux à travers une publication de David Demaison, un des journalistes de la région. Il avait titré « l’homme au milieu des baobabs ». Avec un jeu de mots, je voyais un vieux qui était au milieu des baobabs. Et cela m’a intrigué.
Dans les contes, le baobab a toujours incarné comme un arbre sacré. Et là, je vois quelqu’un au milieu qui plante des baobabs, alors qu’on dit que cet arbre n’est pas planté. Ça m’a intrigué en fait. Pourquoi il plante autant ? Un, deux, trois, quatre baobabs, ça va. Mais pourquoi planter autant de baobabs ? Ça ne m’a pas donné l’idée de faire un film mais cela a aiguisé ma curiosité.
Je travaille avec une chaîne étrangère qui m’a demandé de proposer un sujet au choix sur mon regard par rapport à l’Afrique, de façon positive.Et ce concept s’appelle Africa Direct, qui est un concept de la chaîne El Zajira.
J’ai alors proposé le sujet en court métrage. Et quand je suis parti pour faire le film, je me suis rendu compte qu’il y avait plus de potentiel pour raconter cette histoire en 13 minutes. En tant que producteur, je fais les 13 minutes pour la chaîne et j’ai retravaillé le long métrage qui va sortir au festival.
Parlons du soutien de l’État dans le cinéma. Beaucoup d’hommes se plaignent que l’État ne fait pas suffisamment pour soutenir les acteurs du cinéma. Quel est votre regard par rapport à cette question ?
Je m’aligne sur cette vision de mes collègues mais c’est assez complexe aussi. Bien souvent, quand on parle de financement, beaucoup voient des dons, des subventions. Oui et non, parce que le cinéma, « l’industrie du cinéma » pour être précis, est une économie, un marché, des offres, des demandes.
C’est à ce niveau que nous attendons l’État. Et je pense que l’État a compris, puisque depuis quelques années, on parle davantage d’industrie culturelle et non d’association culturelle.
Oui, effectivement, on peut dire que dans le secteur du cinéma, l’État n’a pas encore investi. Il manque encore un soutien convenable. Il nous faut de la vision, une volonté politique, de la structuration, de la législation et des acteurs qu’on organise.
Mais il y avait toute la chaîne de l’exploitation du cinéma au Burkina dans toutes les provinces. Il y avait au minimum une salle dans chacune des 45 provinces. En une semaine, si 1000 personnes ont vu le film dans chaque province, vous avez quand même un chiffre. Mettez 500 ou 1000 F derrière, vous multipliez et vous verrez que c’est de l’argent.
Le FESPACO, c’est dans quelques jours. Etes-vous prêt ? Qu’est-ce que vous attendez ? Avez-vous déjà tout votre agenda décliné ?
Oui ! Moi, je suis prêt de façon naturelle, parce que je connais un peu le rouage du FESPACO. Ce qui est souvent important, c’est de faire tout pour que le film soit disponible dans les bonnes conditions chez le producteur d’abord. Le film est fini depuis décembre, donc à ce niveau, il n’y a pas de stress. Après, il y a toute la promotion à faire pour que le maximum de personnes voient le film. C’est à ce niveau qu’on prépare les choses. Et puis aussi comment on fête, parce que c’est avant tout aussi une fête. Donc, on accueille nos confrères cinéastes qui viennent d’autres pays. C’est toujours un plaisir. Donc à ce niveau, j’aborde vraiment le FESPACO avec beaucoup de sérénité.
Ça fait 28 ans qu›on n›a plus eu l’Etalon d’or, alors que les techniciens burkinabè sont ceux qui sont les plus recherchés sur les autres plateaux en Afrique et en Europe. Qu’est-ce qui explique cela ?
Le cinéma, c’est économique, c’est artistique, c’est technique. Si tous ces trois-là ne sont pas réunis, c’est difficile de faire du cinéma. Même si on vous donne 1 milliard et qu’artistiquement vous n’avez rien, vous ne pouvez pas faire un bon film. Mais artistiquement, si vous êtes 100% et que vous n’avez rien, vous ne pouvez pas faire un bon film non plus, parce qu’il y a des choses qui ne dépendent pas de l’artistique.
A titre d’exemple, si vous avez écrit dans votre film un scénario qui va vous faire tourner à Sindou, dans la région des Cascades, et que vous devriez envoyer 200 personnes ou 100 personnes à Sindou, cela peut vous coûter peut-être 50 millions par jour. Si vous n’avez pas cet argent, vous vous contenterez peut-être des petites collines autour de Gampela, dans la région du Centre. Vous voyez que vous avez dû plier votre artistique. Ce qui se racontait autour du pic de Sindou ne sera plus pareil.
C’est ce qui arrive à nos réalisateurs. Ils sont très bons mais ils travaillent au rabais. Pour résumer votre question, on peut dire que les moyens manquent aux cinéastes burkinabè pour faire des œuvres qui soient très abouties par rapport à ce qu’ils recherchent.
La Rédaction