
Constantin K. Dabiré est le Directeur général de la Société africaine d’ingénierie et d’intermédiation financière (SA2IF). C’est la dernière-née dans le secteur de l’intermédiation financière au Burkina Faso. Cet ancien cadre de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) a bien voulu partager avec nos lecteurs sa lecture des performances du Trésor du Burkina, sur le premier semestre 2024.
Les chiffres du premier semestre 2024 sont connus, quelle lecture faites-vous des performances du Burkina dans le contexte qui est le sien ?
Oui, les chiffres confirment effectivement la résilience et la capacité du Burkina Faso à mobiliser des ressources sur le marché, grâce au bénéfice de confiance qu’ont les investisseurs dans le potentiel de croissance de son économie. Certes, les exigences de rendement de ces investisseurs ont largement augmenté, amenant les taux de sorties des opérations sur les maturités de 3, 5 et 7 ans, respectivement à 9.59%, 8.30%, 7.52% (UTSMTP-31.03.2024) ; alors que vous avez les pays comme la Côte d’Ivoire ou le Sénégal qui font une économie de 2 points sur les mêmes maturités. C’est donc la conséquence directe de la situation « géopolitico-sécuritaire » que connait le pays depuis une dizaine d’années. Qu’à cela ne tienne, il faut tout de même remarquer que les perspectives économiques s’améliorent dans le court, moyen et long terme, selon le rapport y relatif du Fonds monétaire international (FMI). Pour preuve, selon la note de synthèse du marché primaire des titres publics de UMOA-Titres, au 30 juin dernier, les taux de sorties sont de 8.95%, 7.39% et 7.63% sur les mêmes maturités, respectivement. L’on constate donc une amélioration en glissement trimestriel.
Les taux de rendement ressortent globalement en hausse par rapport à l’année précédente. Comment appréciez-vous cette évolution en tant qu’investisseur ?
Comme je le disais tantôt, cette hausse historique est tributaire de la situation que connait le pays actuellement. Il faut noter que le rendement est fonction du risque pris sur un marché ou sur un actif. Plus un investisseur constate que vous êtes risqués, plus il exige un rendement élevé en contrepartie de ses ressources. Vous remarquerez que le Burkina est un bon payeur historique, mais cela n’empêche pas que les investisseurs demandent plus de rendement, au regard du contexte actuel. N’oubliez pas également qu’un investisseur est d’abord rationnel et même s’il aime bien un pays, il veillera à la sécurité (remboursement) de son investissement ou il vous exige plus, sachant que vous êtes dans le besoin. C’est la loi du marché. Il appartient donc à l’emprunteur de chercher à refléter une meilleure réputation sur tous les plans, afin de bénéficier des conditions améliorées dans les opérations de levée de fonds, et je crois que le Burkina Faso est résolument engagé dans cette dynamique.
Pour le second semestre, le Trésor a prévu un recours plus important aux obligations, qu’est-ce qui peut expliquer une telle stratégie dans le contexte du marché actuel ?
Il faut dire que le marché obligataire est perçu comme le marché le plus stable en termes de volatilité aux yeux des investisseurs. Le stress économique du Burkina n’est pas un cas isolé ; nous sommes face à une situation économique très éprouvée, tant sur le plan régional qu’international, avec des tensions inflationnistes sur tous les marchés. Dans ce contexte, un investisseur rationnel recherche la sécurité de ses investissements et parie sur le moyen et long terme. Ainsi, les obligations étant réputées sûres, le Trésor entend capter plus d’investisseurs qui sont pour la plupart sur une dynamique de stabilité des rendements. C’est donc une stratégie à la fois conjoncturelle et structurelle. Aussi, il faut noter que les émissions d’emprunt obligataire constituent l’un des moyens privilégiés pour les États dans la levée des fonds. Au cours du premier semestre, la majorité des soumissionnaires dans les émissions du Burkina sont des investisseurs résidant au Burkina.
Que conseillez-vous au Trésor du Burkina pour attirer les investisseurs résidant dans les autres pays de l’UEMOA ?
Les défis actuels pour le Burkina dans la levée de fonds sont essentiellement l’insécurité et l’instabilité politique. Sinon, le potentiel économique du pays demeure et ce, dans tous les secteurs d’activités, base principale de l’appétit des investisseurs. Il fut un temps où le Burkina levait des fonds à des taux compétitifs et c’est toujours la même économie et le même pays. Ainsi, venir à bout de ces deux défis permettrait au Trésor de rassurer davantage les investisseurs étrangers UEMOA et hors UEMOA. Aussi, il faut noter que la fiscalité est l’un des leviers importants pour attirer plus d’investisseurs sur les emprunts obligataires du pays. En effet, il existe une harmonisation fiscale dans l’UEMOA (DIRECTIVE N° 02/2010/ CM/UEMOA) applicable aux valeurs mobilières, mais il est laissé à chaque État d’arbitrer, suivant des intervalles définis, en fonction de sa propre politique générale en matière de fiscalité. En l’occurrence, le taux d’imposition est de 6% pour les revenus d’obligations et chaque État a la latitude de fixer un taux inférieur pour les maturités supérieures ou égales à 5 ans (art. 6 de la Directive).
Source : Magazine Tendance N°11
Encadré
Sur le coût élevé des emprunts sur les maturités courtes
Sur les maturités courtes (entre 3 et 6 mois), le Burkina n’est pas performant. Les montants mobilisés coûtent cher au Trésor. Qu’est-ce qui explique cette situation ?
Effectivement, les taux sur le court terme sont à la hausse pour le Burkina, comparés aux autres pays. Cela est dû principalement aux mêmes raisons comme précédemment expliqué. Les investisseurs courts termes sont encore plus exigeants en termes de rendement et cela, pour tous les pays. Le marché monétaire (court terme) est réputé être plus cher, car permettant aux États de lever des fonds pour répondre à des besoins spots. Ainsi, cet état de fait, cumulé au contexte particulier du Burkina, explique la grande exigence des investisseurs sur ce marché. D’ailleurs, il est devenu, même en situation normale pour les autres pays, une référence dans la fixation des rendements sur le long terme.