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Sécurité: «Travailler au retour des personnes déplacées internes chez eux», Anès Ouoba/Nignan, Directrice de la police de proximité

La police de proximité. Qu’est-elle et quelles sont ces actions sur le terrain auprès des populations ? Ce sont les interrogations autour desquelles s’est déroulé l’entretien entre Anès Ouoba/Nignan, Directrice de la Police de proximité, Commissaire Divisionnaire de Police, et la Rédaction de L’Economiste du Faso. La structure à sa charge est logée au sein du ministère de la Sécurité, précisément à la Direction générale de la Sécurité intérieure (DGSI).Au cours de ce Café du mois de novembre, les questions ont tourné sur les missions, les objectifs, les acquis de la police de proximité sur le terrain.  

NB : L’entretien a été réalisé le mardi 22 octobre 2024, au sein de la Rédaction du journal. Il s›agissait d’un des derniers actes de la Commissaire Divisionnaire de Police, Anès Ouoba/ Nignan, au poste de Directrice de la Police de proximité. Elle a été appelée à servir le pays dans une autre fonction. 

L’Economiste du Faso : Dans la série « Commissariat de Tampy » de Missa Hebié, on a découvert le 1010, le numéro gratuit pour joindre la police en cas de besoin. Est-ce que la « Police de proximité », c’est le 10-10.

Anès Ouoba/Nignan, Directrice de la Police de proximité :

C’est suite à l’adoption de la police de proximité comme étant l’approche de sécurité publique de notre pays, comme étant la manière dont les services de sécurité doivent travailler en impliquant les populations, qu’il y a eu la nécessité de pouvoir mettre en place des mécanismes pour faciliter l’implication des populations. C’est pourquoi, un nouveau numéro vert tel que le 10-10 est venu renforcer des numéros verts existants avant, notamment, le 17 pour la Police nationale et le 16 pour la Gendarmerie nationale. Effectivement, le 10-10 est un numéro vert qui a été ouvert au ministère de la Sécurité pour faciliter ou permettre aux populations de pouvoir appeler et donner des alertes de tout genre. Le 10-10 est logé au niveau d’une Direction, notamment, le Centre national de veille et d’alerte (CNVA) qui est aussi logé à la Direction générale de la Sécurité intérieure.

Parlant de la police de proximité, quand est-ce qu’elle a été mise en place?

La police de proximité a été adoptée dans nos textes par la loi 032-2003-AN du 14 mai 2003, relative à la sécurité intérieure. Selon l’histoire, c’est en 2000 qu’il y a eu pour la première fois au Burkina, un ministère plein chargé de la sécurité. Avant, le département de la Sécurité était rattaché soit à la Défense, soit tantôt à l’Administration territoriale. Et disons qu’en 98 ou 99, c’est là qu’il y a eu la première attaque armée à Ouagadougou, qui a causé la mort d’une personne. Donc, ça a sonné l’alerte. Il fallait que les autorités, en tout cas, mettent un accent sur la question de la sécurité, surtout la sécurité intérieure. Et du coup, dès que ce ministère existe, il faut le doter d’une loi stratégique pour faciliter ses activités. C’est cette loi-là qui est la loi 032 de 2003 relative à la sécurité intérieure. Et cette loi stipule en son article 7 : « la sécurité des personnes et des biens, le maintien de la sécurité et de la paix publiques sont garantis par l’Etat et assurés par la force publique, avec le concours des citoyens, à travers la mise en œuvre d’une police de proximité.

Quand on entend police de proximité, on a tendance à voir le rapprochement géographique entre les populations et les services de police. Dites-nous, pour le citoyen lambda, qu’est-ce que la police de proximité, et est-elle différente de la police secours ?

La police de proximité, c’est une philosophie. C’est un mode d’emploi des forces de sécurité intérieure. Et si je parle des forces de sécurité intérieure, c’est la Police nationale, la Gendarmerie nationale, les Eaux et Forêts, les Douanes, la Garde de sécurité pénitentiaire, la Brigade nationale de sapeurs-pompiers et les Polices municipales. Et, ce sont ces forces-là qui doivent travailler, de concert avec les populations, dans la résolution des différents problèmes qui les concernent ou dans la mise en œuvre des missions qui leur sont assignées. Et c’est cette manière de faire, cette philosophie, ce mode d’emploi qui s’appelle police de proximité ou encore police communautaire. Et il faut dire que la compréhension du concept est assez internationale. Vous allez entendre soit police communautaire, soit police de proximité, selon le cas. Généralement, ce sont les pays anglophones qui aiment utiliser Community policing (police communautaire). Et même des pays francophones actuellement aussi utilisent ce concept. Mais que vous entendiez police communautaire ou police de proximité, c’est la même chose. Donc c’est un mode d’emploi des forces de sécurité. Et cela va venir modifier la manière de produire la sécurité par les forces de sécurité. Et cette modification peut être perceptible dès la phase de formation. C’est à partir de l’adoption de ce concept que les curricula ont été revus dans toutes les écoles de formation pour prendre en compte les questions des droits humains, afin de prendre en compte les besoins réels des populations ; parce que si vous dites que vous produisez la sécurité pour quelqu’un, sans tenir compte de ses besoins, vous allez passer à côté. Vous pouvez avoir une stratégie qui n’est pas du tout utile à la personne pour qui vous la développez. Donc, c’est ce concept-là qui va envoyer ces réformes en profondeur. C’est ce concept-là aussi qui va dire aux forces de sécurité, ce n’est pas la peine de rester dans les casernes, dans les commissariats, les brigades, pour attendre que quelqu’un vienne signaler un fait ou quelqu’un vienne dire que « j’ai déjà été victime ». En ce moment, le temps de vous organiser et d’aller, le mal est déjà fait. Donc cette approche va aider à développer des approches communautaires ; c’est-à-dire, aller auprès des populations. Cela rassure les populations.

C’est vraiment le citoyen qui est au cœur. Et si le citoyen est au cœur, quoi de plus normal de l’impliquer et de lui permettre de comprendre ce que vous-mêmes vous faites d’abord et savoir aussi comment il peut vous aider d’une manière ou d’une autre à atteindre l’objectif qui, au final, est commun, la production de la sécurité.

Du coup, la police de proximité, ça commence dès la base, dès la formation des agents de police…

Tout à fait. C’est une réforme.

Et la population est au cœur des grands axes de cette réforme. Comment vous l’impliquez ?

Tout à fait. Il y a plusieurs canaux par lesquels les populations viennent. D’abord, ce mécanisme est facilité par les différentes sensibilisations et formations que les agents de sécurité offrent aux populations. Quand on parle de population, c’est vraiment dans son ensemble, même dans les écoles de formation, dans les établissements scolaires, pour sensibiliser les élèves sur qu’est-ce qu’ils doivent faire en tant qu’élèves dans la production de la sécurité. Et également, vous savez que les populations, de façon générale, sont organisées. Si nous prenons par exemple les femmes, nous avons les coordinations des femmes qui ont été mises en place par le ministère en charge de la femme. Depuis le niveau communal jusqu’au niveau national. Nous avons les coordinations communales des femmes, les coordinations provinciales, régionales, etc. Donc les services de sécurité s’appuient aussi sur ces différentes structures déjà existantes. Pour les sensibiliser sur comment ces femmes-là aussi peuvent contribuer dans la production de la sécurité. Vous le savez, dans le contexte du Burkina, c’est toujours la femme qui est la première à se lever. C’est toujours la femme qui est la première à se lever pour aller en brousse, à la recherche du bois de chauffe, à la recherche de l’eau potable, etc.  Donc, les forces de sécurité travaillent aussi avec ces femmes-là. Et également, au niveau des jeunes, il y a aussi cette organisation qui est mise en place depuis le niveau national et jusqu’au niveau communal. Ils sont aussi impliqués. Maintenant, pour revenir sur la mise en œuvre opérationnelle, même du point de vue de police de proximité. Après son adoption en 2003, la mise en œuvre opérationnelle a commencé en 2005. Et là, l’État a mis en place les comités locaux de sécurité (CLS) dans tous les villages. Et ces CLS comprenaient les représentations du village, c’est-à-dire, les religieux, les coutumiers, les femmes, les leaders, etc. Ainsi que les services de sécurité, les agents, les points focaux pour justement jouer la jonction entre ces CLS et le service de sécurité le plus proche. Donc ça a fonctionné sur la base de la mise en œuvre d’un plan quinquennal. Ce plan quinquennal a couvert la période 2005-2009.

Après la mise en œuvre de ce plan, il y a eu une étude qui a été menée pour voir l’impact que ces CLS ont eu. Et c’est à cette étude qu’on s’est rendu compte qu’en plus de ces CLS, il y avait des initiatives des populations qui existaient dans certaines régions, et qui faisaient à peu près le même travail que les CLS, notamment, les Kolgweogo.  Donc du coup, avec cette existence, il y a eu des recommandations au niveau du bilan, afin de prendre en compte justement ces initiatives endogènes. Donc, il a été demandé de pouvoir sensibiliser les populations partout, afin que ces initiatives puissent naître. Il y a eu l’élaboration d’un deuxième plan quinquennal, qui couvrait la période 2011-2015. Toujours pour la mise en œuvre de la police de proximité. Et c’est ce deuxième plan qui devait justement sensibiliser les populations pour qu’elles puissent s’organiser en prenant l’exemple des initiatives endogènes.

Et l’insécurité est venue…

Bon, disons qu’en ce moment, l’insécurité ne s’était pas vraiment installée. Vraiment, ce deuxième plan n’a pas connu de mise en œuvre pour des raisons que j’ignore. Et il fallait même relire justement le décret sur les CLS pour permettre au deuxième plan de pouvoir s’exécuter.  Mais ce décret n’a pas été relu. Et finalement, comme la nature a horreur du vide, on a dû voir l’émergence de ces initiatives locales de sécurité. Avec toutes les bavures, les mauvaises actions et aussi les bonnes actions.

D’où donc la naissance, en 2016, du décret du 14 novembre 2016, portant modalités de participation des populations à la mise en œuvre de la police de proximité. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Sur le décret ?  Oui, je vais expliquer. Il faut dire que ce décret devait venir abroger le décret sur les CLS, depuis 2011, pour permettre au plan quinquennal 2011-2015 de s’exécuter

C’est finalement ce décret qui a été pris en 2016, portant modalités de participation des populations à la mise en œuvre de la police de proximité. Et ce décret est venu mettre en place la Coordination communale de sécurité (CCS), qui remplace les CLS. Les CCS devaient se mettre en place dans toutes les Communes et dans tous les Arrondissements, pour les Communes à statut particulier. Elles devaient être sous la responsabilité du premier responsable de la Commune, notamment, le Maire, avec la participation de toutes les forces vives de la Commune.

Donc, il faut dire que ce concept de police de proximité ou police communautaire, comme je l’ai dit, c’est vraiment une approche globale de développement. Ça ne se limite pas à la sécurité physique, mais plutôt à la sécurité humaine.

Que comprendre par sécurité humaine ?

La sécurité humaine, c’est un concept internationalement reconnu. Quand on parle de sécurité humaine, on voit tout de suite plusieurs dimensions pour le bien-être de l’individu. D’abord, il y a la sécurité physique. Il faut vous rassurer que votre sentiment de sécurité est élevé. Si le sentiment de sécurité n’est pas élevé, vous ne pouvez pas vaquer à vos occupations. Nous avons vu tout de suite avec les inondations, il y a eu beaucoup de projets de voyage qui ont été annulés, parce que les routes étaient inondées. Ça, par exemple, en tenant compte de la sécurité humaine, on dira de trouver la solution à ces inondations, parce que ça joue sur le bien-être de l’individu.

Donc la sécurité humaine prend en compte plusieurs dimensions et cela vise le développement de façon générale. Donc, cette sécurité humaine va également vous dire, pour quelqu’un qui n’a pas accès à l’éducation, c’est une forme d’insécurité pour la personne. Donc il faut en tenir compte pour voir comment on se développe depuis le bas âge, comment on fait pour que l’éducation soit réellement accessible à tous les enfants de votre pays ou de votre localité. Sinon, un enfant qui n’a pas cette capacité d’aller à l’école, c’est une forme d’insécurité sur sa personne, parce que ça joue sur son bien-être. Ce même concept de sécurité humaine va vous dire également, si vous êtes dans une localité où il n’y a pas d’eau potable, c’est une forme d’insécurité. S’il y a la famine, c’est une forme d’insécurité. Donc, c’est ça le concept de sécurité humaine.

La Direction travaille-t-elle sur un plan quinquennal ? Quels sont les objectifs ? Ou sur quoi est-ce que la Direction se base pour travailler au jour le jour ?

Oui, la Direction a travaillé pendant longtemps sur la base de la Stratégie nationale de sécurité intérieure.

La Stratégie nationale de sécurité intérieure couvrait également la période 2011-2020. Maintenant, quant à la Direction de la police de proximité, comme je vous l’ai dit, nous avons nos attributions qui sont consignées dans l’arrêté portant organigramme de la Direction générale de la Sécurité intérieure. Et là, il y a plusieurs missions qui sont assignées à cette Direction. Il y a la poursuite de ses activités régulières qui étaient d’encadrer toutes les forces de sécurité, ainsi que les populations, dans leur rôle dans la mise en œuvre de la police de proximité. Et également, avec le contexte actuel, la Direction a aussi été mandatée de contribuer, avec les autres ministères concernés, au retour des personnes déplacées internes dans leur localité. Il s’agit de développer des stratégies et des plans pour que ces personnes déplacées internes, une fois dans leur localité, puissent encore se reconstruire. Comme je vous l’ai dit, ce concept-là parle de la sécurité humaine dans son ensemble. Donc, il faut réfléchir au bien-être de l’individu, au bien-être de ces personnes déplacées internes. Voilà pourquoi cette mission a été attribuée à la Direction de la police de proximité. Et nous travaillons également à sensibiliser et à former les populations sur la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent.o

Propos recueillis par la Rédaction

Encadré

Travaillez-vous avec les COVED ?

«Je vous ai parlé du décret de 2016, décret 2016-1052 sur les CCS, il a été abrogé par le décret sur les COVED. Il faut effectivement noter que la participation des populations dans la gestion de la sécurité, c’est un impératif. Si les populations ne sont pas impliquées, les services de sécurité ne vont pas connaître les besoins réels des populations. Ils ne sauront pas quelle stratégie adopter pour que ça soit profitable à tout le monde. Et également, ils ne pourront pas efficacement atteindre les résultats de leurs missions ; parce que, comme vous le savez, chez nous, il y a un jargon qui dit le terrain commande la manœuvre. Cela implique qu’il faut connaître le terrain. Qui de mieux que les populations pour permettre aux forces de sécurité de connaître le terrain ? Ce sont les populations locales », Anès Ouoba/ Nignan, Commissaire Divisionnaire de Police, Directrice de la Police de proximité.

Encadré 2

Anès Ouoba/ Nignan est Commissaire Divisionnaire de Police, Directrice de la Police de proximité, 2e vice-présidente de l’AFFPN/BF, Membre du Bureau exécutif de l’AS Police, et Enseignante vacataire à l’Ecole nationale de Police et à l’Académie de Police.

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