• Du laxisme au niveau de la nationale des eaux ?
• Cette méthode inédite sera-t-elle plus efficace
• Il faut plutôt envisager d’autres alternatives de recouvrement
Par ces temps qui courent, il ne fait pas bon avoir des factures impayées de l’Office national de l’eau et de l’assainissement (ONEA). On peut voir son nom sur la place publique et, qui par la magie des réseaux sociaux, va devenir viral, surtout qu’il est question d’arriérés de factures. C’est la douche froide que la nationale de l’eau a réservée à près de 80 de ses clients, le 17 mai dernier. Ces derniers sont à la fois des particuliers et des personnes morales qui ont la particularité de résider dans le quartier huppé de Ouaga 2000. Leurs noms, dont certains sont célèbres, se sont retrouvés sur une liste de 17 pages publiée sur la page Facebook de l’Office. Très rapidement, ladite liste a été reprise, notamment, dans des groupes WhatsApp, grâce au phénomène des partages.
Les informations qui figurent dans quatre colonnes sont relatives aux numéros d’abonnés, aux noms des abonnés débiteurs ou la raison sociale pour les personnes morales, le nombre de factures impayées et le montant correspondant. Dans les détails, on s’aperçoit que les plus petits débiteurs, des particuliers, traînent 4 factures impayées, tandis que le plus gros, une personne morale, en cumule 166 (excusez du peu). Soit plus de 13 ans de consommation sans régler la moindre facture. La plus petite dette est d’un peu plus de 60.000 FCFA et la plus élevée, plus de 3 millions FCFA.
Ceux qui ont eu le temps de faire une sommation des différents montants ont trouvé un cumul de créances de plus de 400 millions FCFA. La liste est accompagnée d’un communiqué du département de la communication de l’ONEA qui fait savoir qu’« au regard de l’ampleur des créances que détiennent les abonnés de cette zone – NDLR : Ouaga 2000 – (particuliers et des personnes morales) et de la volonté manifeste de certains détenteurs de créances de ne pas se mettre en règle, l’ONEA se voit contraint de les interpeller de manière ciblée, à travers ce communiqué ». Un délai de 10 jours, à compter de la date de la première publication du communiqué (17 mai), a été donné aux créanciers pour s’exécuter.
Sauf erreur ou omission de notre part, c’est la première fois que la nationale de l’eau procède ainsi pour recouvrer des créances. La publication de la liste de la honte a suscité des interrogations. La toute première d’entre elles est de savoir s’il n’y a pas eu un laxisme de la part de l’Office qui, par exemple, a laissé un client accumuler des factures impayées durant plus d’une décennie. Est-ce parce qu’il s’agit de clients intouchables du fait de leur statut social particulier, si ce n’est celui de leur quartier ? Dans ces circonstances, la société ne devrait-elle pas plutôt s’en prendre à elle-même ? Pourquoi est-elle si prompte à déposer le compteur (couper la fourniture d’eau) chez un client pour 3 factures impayées et, dans le même temps, fermer les yeux, traîner les pieds concernant d’autres utilisateurs de ses services ?
Un autre questionnement est celui de l’opportunité de la démarche. Généralement, les personnes, parties d’un contrat, s’en remettent à la Justice pour trancher les différends. Et lorsqu’il y a des créances, c’est la même Justice qui est sollicitée pour faciliter le recouvrement. On se demande donc si la même démarche a été utilisée dans le cas présent pour que l’on en vienne à mettre sur la place publique, les noms de clients redevables. Il y a de quoi donner des insomnies à tout le monde, car, qui que l’on soit, on doit de l’argent à un ami, à une connaissance, ou à une banque.
En d’autres termes, nous vivons tous de crédits et on n’aimerait pas que son nom soit exposé un jour parce que l’on est redevable ou parce que l’on est mauvais payeur.
En publiant la liste des créanciers, on se demande aussi si l’ONEA n’a pas exposé des données à caractère personnel de certains de ses clients avec, notamment, la mention des noms ou la raison sociale, le nombre de factures impayées et des montants dus. On se dit qu’il a certainement pris des précautions, en faisant la part des choses entre ce qui est données à caractère personnel et ce qui ne l’est pas (voir encadré), pour ne pas tomber sous le coup de la loi. Toutefois, on a remarqué que dans la foulée de l’ONEA, la Société nationale burkinabè d’électricité (SONABEL) a aussi publié, le 20 mai 2024, sur sa page Facebook, la liste de ses clients de la même zone de Ouaga 2000 qui cumulent des factures impayées.
Certes, la société a supprimé par la suite sa liste pour corrections, des internautes ont eu, malgré tout, le temps de la partager, d’en faire des captures d’écran.
Ce qui a permis de se rendre compte, par exemple, que l’ONEA lui-même, ironie du sort, doit aussi à la nationale de l’électricité pour l’alimentation d’un château d’eau situé à Ouaga 2000.
Avant l’ONEA et la SONABEL, la Société nationale de l’équipement rural (SONATER) avait menacé, en 2023, ses créanciers qui lui doivent plus de 11 milliards FCFA pour des tracteurs et d’autres équipements agricoles subventionnés, de publier leurs noms dans la presse. Mais sauf erreur ou omission de notre part, la société n’a jamais franchi le pas dans ce sens.
Elle a plutôt envisagé d’autres alternatives comme, par exemple, des retenues à la source sur les salaires des agents publics débiteurs, en collaboration avec le ministère en charge des finances. En agissant comme elle l’a fait, la nationale de l’eau use d’un autre moyen de pression ou d’humiliation, c’est selon, pour recouvrer ses créances. Parviendra-t-elle à faire rentrer dans ses caisses les millions FCFA qui sont dehors depuis des lustres ? Autrement dit, cette méthode inédite sera-t-elle plus efficace que les autres ?
Basibiri BAZONGO (Collaborateur)
Encadré
Quid des données à caractère personnel ?
Article 5: au sens de la présente loi, on entend par :
(…)
Donnée à caractère personnel : toutes informations relatives à une personne physique identifiée ou identifiable, directement ou indirectement, notamment, par référence à un numéro d’identification, à un ou plusieurs élément(s) propre(s) à son identité physique, physiologique, génétique, psychique, culturelle, sociale ou économique.
Source : loi n°001-2021/AN du 30 mars 2021 portant protection des personnes à l’égard du traitement des données à caractère personnel.