• Seulement 1/3 du montant est versé à l’employé
• Pas de couverture santé, ni de déclaration
• De «l’esclavage», selon le président
A la date du 15 janvier 2024, le Burkina Faso compte au total 92 agences d’emploi privées titulaires d’un agrément. Cette information émane du Directeur général du travail du ministère de la Fonction publique, du Travail et de la Protection sociale, W. Roland Sawadogo, qui a signé un arrêté portant liste actualisée des agences d’emploi privées titulaires d’un agrément. Sur les 92 agences légales, 3 sont établies à Bobo-Dioulasso, une à Niankorodougou (région des Cascades) et les 88 agences à Ouagadougou. Elles font deux sortes de placement de travailleur : placement travail temporaire et placement. Comme si le ministre d’Etat Bassolma Bazié en charge du travail avait reçu une semaine d’injonctions de la part du président de la Transition pour actualiser la liste des agences, celui-ci veut réguler et assainir le secteur qu’il trouve s’égarer de la législation du travail. Ils sont de milliers d’hommes, de femmes et de jeunes en quête d’un emploi décent dans le secteur privé qui ont eu recours à des agences d’emploi privés pour se sortir de la « pauvreté ». Autrefois méconnues, ces agences de travail privées se sont multipliées en l’espace de dix ans, avec le plein essor de l’industrie minière, le boom bancaire de microfinances et de cimenterie. Ces multinationales ou succursales étaient dans le besoin d’un vivrier de travailleurs dans la prestation de leurs services. Au bout de quelques années d’exercice, ces agences dont certaines sont légalement reconnues par la législation burkinabè ont commencé à être décriées par les travailleurs embauchés. La principale discorde se trouve dans le partage de la rémunération salariale que reverse la société qui embauche, l’intermédiaire (agence de travail privée) et l’embauché. Ces incompréhensions ont parfois conduit les différents acteurs devant les tribunaux de travail.
Des travailleurs recrutés ne bénéficient ni de déclaration ni de prise en charge sanitaire
Pour le président de la Transition, le Capitaine Ibrahim Traoré, ces agences de travail privées ou encore sociétés de placement de travail doivent revoir cette manière de rémunérer le travailleur recruté. Pour le chef de l’Etat, cette façon de redistribuer le travailleur n’est ni moins ni plus que de « l’esclavage ». Le locataire de la Présidence du Faso explique ce qu’il entend par méthode esclavagiste. Pour lui, c’est le fait que la société demanderesse d’un travailleur paie celui-ci à un montant de 300.000 FCFA par mois et qu’en retour, la société de placement de travail (intermédiaire) reverse à l’employé un salaire de 80.000 FCFA et qu’elle garde le reste, soient 220.000 FCFA. En d’autres termes, l’embauché au lieu d’un salaire de 300.000 FCFA, se retrouve avec un salaire de 80.000 FCFA, pendant ce temps, la société de placement de travail, qui a, certes, facilité son embauche, s’en sort avec un gain de 220.000 FCFA.
Pire, dit-il, le travailleur recruté n’est pas très souvent déclaré au niveau des caisses de prévoyance et fait l’objet de licenciement une fois survint un accident de travail, avec une retraite aux conséquences désastreuses. Pour traduire ses explications en exemple, le Capitaine Ibrahim Traoré est revenu sur le cas des travailleurs saisonniers de la Mairie de Ouagadougou (voir encadré 2). Pour le président de la Transition, qui a échangé le 8 janvier 2024 avec le personnel de la Présidence, ces pratiques doivent changer et il compte mettre le holà en 2024. « Nous n’allons pas permettre à des personnes physiques ou morales d’esclavagiser des Burkinabè », a-t-il martelé. o
Ambéternifa Crépin SOMDA
Encadré 1
Une agence d’emploi privée ?
L’agence d’emploi privée désigne toute personne physique ou morale, indépendante des structures publiques, exerçant les activités de placement et/ou de travail temporaire et titulaire d’un agrément délivré par le ministre chargé du travail, conformément au Décret n°2007-548/PRES/PM/MTSS du 07/09/2007 portant règlementation des activités des bureaux, offices privés du placement et d’entreprises de travail temporaire et à l’Arrêté n°2007-028/MTSS/SG/DGT/DER du 21/11/2007 portant cahier de charges applicables aux bureaux, offices privés de placement et aux entreprises de travail temporaire. Selon l’arrêté, seules les agences d’emploi privées titulaires d’un agrément sont habilitées à exercer les activités de placement et/ou de travail temporaire. Les personnes physiques et morales exerçant ces activités sans agrément sont passibles de sanctions pénales. Le recours aux services des agences d’emploi privées non titulaires d’agrément est interdit.
Encadré 2
« Le seul avantage avec les sociétés de placement,
c’est d’avoir un emploi », dixit D.R
D.R travaille dans une société de téléphonie mobile comme téléconseiller depuis 2017, grâce à une société de placement. A la recherche d’emploi, elle a obtenu ce boulot grâce à un groupe d’offres où elle a postulé et l’administrateur du groupe s’est chargé de transmettre à la société de placement où à la fin du processus, elle a été retenue. Notre interlocutrice avoue ne jamais être au courant de l’existence des sociétés de placement au Burkina Faso. Comme avantage, elle ne voit qu’un seul, celui d’avoir un emploi pour survenir à ses besoins vitaux. Sur les inconvénients, elle est très amère et dénonce le fait qu’une fois embauché, l’employé se retrouve avec un salaire extrêmement bas et est confronté à de nombreuses frustrations au bureau. Lesquelles frustrations découlent du fait que le travailleur n’a pratiquement pas de droit. Aucune assurance ni de perspective à une retraite ni de pension. En cas de décès, ta famille n’a droit à rien. “Ta rémunération initiale est égale à ta rémunération finale”, se désole-t-elle. Pire, dit-elle, l’employé n’a aucune perspective de carrière et est cartonné à des CDD sans avenir. “Après deux fautes professionnelles commises, l’employé est renvoyé. L’année dernière, à cause de quelques absences, un employé a été licencié”, révèle-t-elle. D.R s’insurge aussi contre les conditions de travail difficiles auxquelles les sous-traitants sont soumis. A celles-ci s’ajoute le fait que des gens avec un niveau supérieur se retrouvent à faire des tâches relevant d’un niveau inférieur, tout cela parce qu’ils n’ont pas le choix. Notre souhait est que l’Etat intervienne pour trouver des solutions pour mettre fin aux sous-traitants. Que l’Etat impose que les entreprises en quête d’employés les recrutent directement et non passer par les sociétés intermédiaires, a-t-il suggéré.
Encadré 3
Témoignage de jeunes burkinabè
“Avec les sociétés de placement, l’espoir d’un meilleur avenir est incertain”
Les sociétés de placement existent ou prospèrent parce qu’il y a la demande, à savoir des Burkinabè en quête d’un emploi décent pour se prendre en charge financièrement. Qu’en pensent ces Burkinabè demandeurs d’emploi ? Nous sommes allés à la rencontre de deux jeunes burkinabè qui sont passés par les filets des sociétés intermédiaires, le premier a été placé dans une société de cimenterie et le second dans une société de téléphonie mobile. A leur demande, nous gardons leur nom sous l’anonymat.
L’Economiste du Faso : Comment aviez-vous su qu’il y avait des sociétés de placement ?
Employés : Tout demandeur d’emploi est au courant des sociétés de placement. Je pense que toutes ces sociétés de placement ont vu le jour sous le pouvoir de l’ancien président du Faso, Blaise Compaoré. Elles sont assez connues, car elles sont plus visibles dans le pays. Je peux affirmer sans me tromper qu’elles trouvent des emplois pour au moins 90% des entreprises privées. Celles-ci ont au moins fait une fois recours aux sociétés de placement.
Pourquoi aviez-vous décidé de faire le choix de se faire recruter par une société de placement ?
J’ai déjà été dans plusieurs sociétés de placement et j’ai beaucoup de connaissances qui sont passées par cette voie. Aujourd’hui, un travaille dans une société minière et un autre dans une société de téléphonie mobile. Mon cas particulier n’a pas été un choix mais plutôt une obligation, car j’étais à la recherche d’un emploi décent pour me prendre en charge financièrement. Dans cette recherche d’emploi, j’ai vu une offre de recrutement et j’ai postulé et c’est à la fin du processus que j’ai découvert que j’avais affaire à une société de placement. J’ai eu affaire à deux sociétés de placement, dont l’agence de placement, pour le compte de call center d’une société de téléphonie mobile.
Expliquez-nous votre processus de recrutement jusqu’au placement…
C’est toujours une entreprise de la place qui sollicite les services d’une société de placement pour une offre d’emploi et celle-ci lance le processus de recrutement. Souvent, c’est de façon officielle ou officieuse. Exemple : l’agence de placement lance un recrutement d’emploi pour le compte d’une structure donnée. Officieusement, une société X recherche un personnel à tel profil et en ce moment, la société de placement ne s’affiche pas. Mais aux deux cas, c’était de façon officielle que j’ai eu affaire à des entretiens d’embauche à l’agence de placement et une autre société de placement ; à l’issue de l’entretien, les meilleurs ont été recrutés et je faisais partie.
Quels sont les avantages et les inconvénients des sociétés de placement ?
Pour les avantages, honnêtement, j’en vois très peu, voire quasiment pas.
Pourquoi ?
S’il y a une société de placement, c’est qu’il y a une entreprise qui a besoin de personnel. Sur ce, pourquoi l’entreprise demanderesse ne recruterait-elle pas directement le personnel au lieu de passer par un intermédiaire ?
Parce qu’une fois un candidat recruté, la société de placement devrait, selon moi, affecter ce candidat à l’entreprise pour une période probatoire (3 à 6 mois) ; si après l’entreprise le juge apte, elle le recrute directement ou à défaut, le libère.
Moi, particulièrement, j’ai été recruté en mars 2016 pour une société de téléphonie mobile par l’agence de placement où j’ai fait 11 mois.
Lorsque j’étais dans la société de téléphonie mobile, j’ai constaté que des gens y travaillaient plus de 5 ans sans espoir d’être recruté par l’entreprise. J’ai trouvé cela inadmissible, car je n’avais pas de charge et j’ai préféré partir. Mais aujourd’hui, j’ai des charges et je suis obligé de faire avec.
Sur les inconvénients ?
Le premier inconvénient, c’est le fait de maintenir le travailleur dans la société de placement et non dans l’entreprise demanderesse. Dans ces conditions, l’espoir d’une carrière professionnelle prometteuse n’est pas lisible. Le deuxième inconvénient, si vous êtes recruté par une entreprise X, c’est au niveau du traitement salarial, vous n’aurez jamais le même salaire que ceux recrutés directement par l’entreprise. Même les avantages en nature, vous ne les aurez pas, parce que vous relevez de la société de placement. Sans compter les frustrations. Là où je travaille actuellement, nous sommes un certain nombre d’employés dans le bureau et nous travaillons en rotation, mais certains comme moi n’ont pas le même traitement salarial, alors que nous travaillons pour la même société et travaillons dans les mêmes conditions. La raison de cette injustice, c’est que nous n’avons pas le même employeur. Cette situation dure depuis des années. L’entreprise demanderesse fait tout pour ne pas nous recruter pour que nous ayons les mêmes avantages que nos collègues. L’entreprise même fait des pressions sur la société de placement et celle-ci fait aussi des pressions sur l’employé. Avec le système mis en place par les sociétés de placement, l’espoir d’un meilleur avenir est incertain.
L’Etat souhaite règlementer le secteur des sociétés de placement, car trouvant certaines s’adonner à l’exploitation des Burkinabè en quête de travail décent. Qu’en pensez-vous ?
C’est une bonne chose, même si je dois reconnaître que l’Etat est très en retard sur ce volet de contrôle et de règlementation. Nous rappelons que sous le régime du président de la Transition, le Lieutenant-Colonel, Paul Henri Sandaogo Damiba, le ministre en charge de la fonction publique, Bassolma Bazié, avait évoqué le sujet mais après, plus de suite. Je pense que tout le monde a suivi avec intérêt la rencontre qu’a eue le président de la Transition actuelle, Ibrahim Traoré, avec le personnel de la Présidence où il a évoqué le cas des sociétés de placement. L’exemple même qu’il a pris le jour pour illustrer son constat dit tout.
Cet exemple montre vraiment le côté exploitation de l’employé et c’est malheureusement le cas sur le terrain. En plus des sociétés de placement, il faut que l’Etat regarde du côté des entreprises qui embauchent. Nous avons vu qu’à la société de brasserie Brakina, ils ont commencé à régulariser la situation des employés placés par les sociétés intermédiaires, et récemment, 72 agents de pesée recrutés au départ par Afrique pesage étaient en voie de licenciement et ont été finalement recrutés par l’Office national de la sécurité routière (ONASER).
L’Etat doit créer des lois qui permettent de protéger l’employé, car celui-ci a besoin de se sentir sécurisé et surtout qu’il aura droit à une retraite pour continuer de prendre en charge financièrement sa famille. Il faut que l’Etat tape du poing sur la table et qu’il limite les placements pour un délai de 6 mois non renouvelable.
Aussi, votre rémunération de départ et ce que vous aviez reçu à la fin…
Une fois employé, vous ne pouvez pas savoir le contrat qui lie la société d’embauche et celle de placement. Exemple, dans les sociétés de téléphonie mobile et les cimenteries qui emploient beaucoup, l’employé ne connait pas le contenu du contrat, mais de fil en aiguille, des bribes d’informations sortent.
Pour le travail que je fais actuellement, je sais que le salaire normal est entre 300.000 et 350.000 FCFA par mois, mais malheureusement, ce que je perçois, c’est moins que la moitié du salaire normal. Soit entre 80.000 et 130.000 FCFA. Ce qui est le contraire du salaire perçu par ceux qui ont été recrutés directement par l’entreprise sans passer par une société intermédiaire.
Entretien réalisé par ACS