En faveur de la 34e Coupe d’Afrique des Nations qui se joue sur les berges de la Lagune Ebrié, une équipe de L’Economiste du Faso a rencontré Windwaoga Roland Sawadogo, chef de poste par intérim du Consulat général du Burkina à Bouaké. Avec lui, il est question du séjour de la délégation burkinabè à Bouaké, de la participation des Etalons à cette CAN, de la situation des Burkinabè vivant dans la circonscription consulaire de Bouaké et de celle des Burkinabè qui ont trouvé refuge en Côte d’Ivoire du fait de l’insécurité.
L’Economiste du Faso : Quelle appréciation faites-vous de la participation des Etalons à la CAN 2023 ?
Windwaoga Roland Sawadogo (chef de poste par intérim du Consulat général du Burkina à Bouaké) : Nous apprécions positivement la participation des Etalons à la CAN. Notre appréciation est positive, parce que le séjour de toute la délégation burkinabè s’est bien passé, les Etalons ont pu avoir, grâce à la mobilisation de la communauté, un soutien de nombreux supporters. Nous pouvons également nous satisfaire du fait que les Etalons aient atteint les huitièmes de finale et des leçons que nous avons pu en tirer. Selon moi, il n’y a pas vraiment lieu de se décourager, parce que des équipes qui étaient présentées comme des favorites à cette CAN ont été éliminées très tôt. L’essentiel est de déceler les limites et de travailler à corriger cela.
Vous avez vu la prestation des Etalons, lors des trois matchs, avec un regard de supporter, qu’est-ce qu’il faut améliorer ?
Nous ne sommes pas de fins connaisseurs du football, même si nous avons tapé dans le ballon, lorsque nous étions enfant et que nous continuons à suivre les différents championnats. En toute chose, il y a des forces et des faiblesses. Ceux qui sont avertis de la chose pourront trouver les forces, les faiblesses et œuvrer à faire mieux. Je retiens, par contre, que nous avons abordé la CAN avec une crise à la Fédération burkinabè de football. Cela a fragilisé un peu l’équipe. Je lance donc un appel aux premiers acteurs du football burkinabè de travailler à ce qu’il y ait plus de cohésion. En tant que supporter, j’espère vraiment qu’on puisse faire mieux la prochaine fois.
Vous avez parlé tantôt de la grande mobilisation de la communauté pour soutenir les Etalons, comment cela s’est fait ?
La mobilisation a été le fruit d’un travail de fond qui a commencé il y a plus de deux mois. Lors des dernières rencontres du Cadre de concertation, nous avons échangé sur la participation des Etalons à la CAN. Nous avons donc mis en place, selon les orientations du ministère en charge des sports, un Comité de soutien aux Etalons, section Côte d’Ivoire. Ce comité a eu pour mission de baliser le terrain et de faciliter l’organisation. Pour cela, nous avons mis fortement à contribution la communauté burkinabè.
Il faut noter que financièrement, nous avons eu des difficultés, parce que nous n’avons rien reçu de Ouagadougou. Mais avec la contribution des uns et des autres, les dons de certaines personnalités ivoiriennes, nous avons mobilisé un peu de moyens pour faire face à certaines dépenses. C’est avec ces ressources que nous avons pu, par moments, acheter les tickets des matchs. Nous avons aussi organisé l’accueil des Etalons à Bouaké avec ce que nous avons mobilisé comme ressources.
Comment avez-vous travaillé avec le comité de préparation de la participation des Etalons à la CAN, structure mise en place par le gouvernement burkinabè ?
Selon mes informations, c’est la première fois qu’on met en place un comité du genre. La volonté politique affichée était claire, si bien qu’il y a eu une section Côte d’Ivoire qui a été mise en place pour appuyer.
Les décideurs ont voulu quelque chose de bien mais dans la mise en œuvre, il y a eu des difficultés. Nous n’allons pas jeter l’eau du bain avec le bébé.
Il y a eu des actions positives qu’il faudra préserver et améliorer.
Les dysfonctionnements que nous avons constatés sur le terrain étaient liés au fait que le comité soit nouveau. Je souhaite que des leçons soient tirées, afin de mieux faire la prochaine fois.
Il y a eu des difficultés pour les logements des supporters à Bouaké, que s’est-il passé ?
Notre stratégie de mobilisation était reposée sur le comité d’organisation de la participation des Etalons à la CAN, si bien que le Consulat de Bouaké, qui accueillait l’équipe, n’avait pas d’actions particulières à mener. Toutes nos actions devaient être dans le cadre du comité. Mais avant que le comité nous le demande, nous avions fait le répertoire des sites d’hébergement des villes de Yamoussoukro, Bouaké et Korhogo qui devaient abriter la compétition et qui étaient sous notre circonscription consulaire. Nous avons mis cette liste à la disposition du comité et avons demandé que Ouagadougou fasse des précisions pour les réservations. Mais nous avons attendu ces précisions en vain.
Certains nous avaient même demandé de faire des réservations en leur nom, mais après, ils ont demandé de les annuler. D’autres ont attendu d’arriver à Bouaké avant de nous demander de les aider à trouver des logements. C’était tard, parce qu’en ce moment, les hôteliers avaient déjà fait flamber les prix. Les chambres qui coutaient normalement 10.000 FCFA étaient passées à 20 ou 25.000 FCFA et celles de 7.500 étaient à 15.000 FCFA. Nous avions voulu éviter cela en fournissant la liste des sites d’hébergement à temps. Malgré cela, nous avons pu trouver des solutions. Les supporters étaient, par exemple, logés dans un centre d’accueil religieux et les coûts étaient abordables.
Il y a aussi eu un problème de tickets, lors du premier match des Etalons…
Pour les tickets d’entrée au stade, c’était un problème d’ordre général. Avant l’arrivée de la délégation, nous avions pris contact avec le président du COCAN, le Préfet de région et d’autres personnalités, afin d’avoir des tickets. Mais on nous faisait comprendre que cette question était gérée par la CAF. Ce qui est normal. Ils nous ont fait aussi comprendre que nous devions passer par la Fédération burkinabè de football qui allait faire les estimations de nos besoins en tickets et saisir la CAF pour qu’elle les mette à notre disposition. Mais ce circuit n’a pas marché. Nous avons tenté sans succès d’avoir le soutien de la Fédération. Nous avons même constaté, à un moment donné, que certains qui devaient nous donner des solutions revenaient vers nous pour chercher des solutions.
En tant que Comité d’organisation section Bouaké, nous avions, à un moment, donné de l’argent pour acheter les tickets mais ce n’était pas disponible. Même notre commande de 4.200.000 FCFA n’a pas été satisfaite. L’un dans l’autre, nous avons constaté que cela a été le talon d’Achille de cette organisation. Mais la situation a été rattrapée, lors des prochains matchs, avec l’aide de certaines personnalités ivoiriennes vivant ici à Bouaké et certains opérateurs économiques burkinabè présents également ici. Nous avons eu 1.000 tickets grâce à M. Issouf Badini, opérateur économique burkinabè, et 5.000 tickets, un don du Maire de Bouaké, le ministre Amadou Koné.
Le Burkina Faso a annoncé son retrait de la CEDEAO, comment avez-vous accueilli cette nouvelle ?
La question est très complexe et éminemment politique. Le Consulat ne se prononce pas sur ces genres de questions. C’est l’Ambassade qui est habilitée à le faire. Mais je peux parler de la situation de nos compatriotes. Pour que la décision puisse produire ses effets, il faut attendre un an, selon les textes. Les instruments diplomatiques sont en train d’être mis en œuvre concernant cette actualité. Nous voulons rassurer nos compatriotes que tout est mis en œuvre pour sauvegarder et protéger leurs intérêts, parce que nous savons qu’au-delà des relations multilatérales, il y a les relations bilatérales. Le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire entretiennent des relations bilatérales fortes, matérialisées, notamment, par le TAC (Ndlr, Traité d’amitié et de coopération) et d’autres types d’accords. Nos peuples vivent ensemble avant même la création de ces Etats. Pour cela, les populations doivent être rassurées que leurs intérêts sont pris en compte.
Parlant de nos compatriotes, quelles sont les difficultés auxquelles les Burkinabè sont confrontés ?
Nos compatriotes sont confrontés à des difficultés d’ordre général. Il y a la question du foncier rural. Au départ, certains n’avaient pas eu de contrat formel avec certains autochtones qui étaient leurs amis. Aujourd’hui, les enfants de ces derniers réclament les terres qui appartenaient à leurs parents. Ce sont principalement ces soucis auxquels ils font face. Mais avec la mise en place de l’AFOR (Ndlr, Agence foncière rurale), une agence qui travaille à sécuriser le foncier en milieu rural, nos parents peuvent avoir accès au certificat foncier. Ce certificat est différent du titre foncier. Ce document officialise leur rapport avec l’Administration qui peut les défendre à tout moment. Seulement, l’obtention de ce certificat n’est pas souvent aisée pour les parents. Mais nous les sensibilisons sur la nécessité d’avoir ce document. Nous les aidons en plaidant auprès de certaines autorités pour faciliter leur accès au certificat.
En plus de cela, il y a les cas d’éboulement au niveau des sites d’orpaillage. Nous avons sillonné plusieurs localités (Korhogo, Boundiali, Touba, Boukro, Daoukro, Séguéla, etc.), en 2023, afin de les sensibiliser sur la nécessité de prendre certaines précautions pour leur sécurité. Nous en avons profité pour rendre visite à ceux qui sont en milieu carcéral, afin de voir comment nous pouvons les aider.
Nous avons aussi les cas de trafic d’enfants dans les champs ou les sites d’orpaillage. Grâce à la bonne collaboration avec les services de sécurité, nous recevons des enfants ici, afin de trouver des solutions.
Si nous retrouvons leurs familles, nous les renvoyons au pays. Il y a également la question de l’exploitation des forêts classées. Nous avons des cas actuellement et nous espérons que nos compatriotes vont quitter ces zones pour s’installer dans des endroits qui sont dédiés à leurs activités. Par moments, nous avons aussi des crises liées au leadership entre des communautés, surtout avec la question de chefferie. Nous essayons d’y trouver des solutions en faisant comprendre qu’il s’agit de chef de communauté et que le responsable ne doit pas forcément être un prince au pays.
Des cas de rackets vous sont-ils aussi rapportés ?
Oui. Lors des voyages, il est souvent demandé à certains parents de présenter leur carte de résidence. S’ils n’en ont pas, on leur dit de payer de l’argent. Nous avons toujours saisi les autorités sur la question à chaque fois que nous sommes informés de ces situations ; puisqu’on ne peut pas exiger que nos compatriotes aient des cartes consulaires. C’est illégal et nous saisissons les autorités compétentes. Malgré nos actions, il y a toujours des cas qui nous reviennent mais nous pensons qu’avec la sensibilisation, nous viendrons à bout de ces situations.
Qu’est-ce qui est reproché à nos parents en milieu carcéral dans votre circonscription?
Pour le cas carcéral, nos compatriotes y sont pour la plupart pour des cas de violation de droit commun. Il y a des abus de confiance, des viols, de vente ou de consommation de drogue, des homicides involontaires. Certains sont totalement condamnés, n’ont plus qu’à compter sur la grâce présidentielle pour les tirer d’affaires et il y a ceux qui attendent d’être jugés. C’est souvent difficile, parce que beaucoup d’entre eux n’ont pas les moyens de s’offrir les services d’un Avocat, alors que le Consulat n’a pas de budget pour cela. Nous voyons que pour certains cas, il suffit d’un Avocat pour atténuer la peine de la personne. Mon cri du cœur serait de disposer des services d’Avocats, comme au pays, avec l’assistance judiciaire, pour nos compatriotes.
En attendant l’assistance judiciaire, nous plaidons souvent auprès de certains responsables de tribunaux, lorsque nous nous rendons compte que quelqu’un a été accusé sans fondements, afin que le dossier soit revu si possible. Il faut noter que lors des visites, nous y allons avec des médicaments et d’autres besoins pour nos parents.
L’insécurité a contraint des compatriotes à trouver refuge en Côte d’Ivoire, comment se fait la prise en charge de ces derniers ?
La Côte d’Ivoire a effectivement reçu une vague de déplacés dû à la situation sécuritaire au Burkina Faso. Les autorités ivoiriennes ont pris les dispositions pour accueillir nos compatriotes sur le sol ivoirien.
Nous saluons ce niveau de coopération et ce qui est fait pour leur permettre d’avoir un toit et de quoi s’alimenter et se soigner. A Ouangolodougou, un site a été mis en place avec l’appui du HCR (Ndlr, Agence des Nations unies pour les réfugiés) pour nos compatriotes. Il faut dire qu’avant l’effectivité de ce site, les Burkinabè de Ouangolodougou avaient mis en place une organisation pour accueillir nos parents qui venaient. Nous avons effectué une mission l’année dernière, avec l’aide de l’Ambassade du Burkina en Côte d’Ivoire, sur ces sites. Nous avons pu apporter de quoi contribuer à soulager la souffrance de nos compatriotes.
Ce mouvement de population n’est pas sans difficultés. Certaines familles viennent à l’intérieur du pays et cela, à cause de leur nombre, interpellent souvent les autorités locales. A Abolikro, un village qui n’est pas loin de Bouaké, une famille est venue en grand nombre chez leurs parents.
La population qui n’était pas habituée à voir ce mouvement de personnes a interpellé les autorités locales. Après vérification, ces dernières se sont rendu compte qu’il s’agissait de personnes qui cherchaient un abri. Elles nous ont envoyé la famille qui est restée près d’un mois ici. Nous avons dû trouver des solutions palliatives pour les aider. Nous avons effectué une sortie dans le village, en compagnie de la famille. Nous avons tenu des rencontres avec les populations et jusqu’à présent, la famille est là-bas.o
Propos recueillis par Issa Sawadogo, envoyé spécial à Bouaké
Encadré 1
La vie à Bouaké
La circonscription consulaire de Bouaké couvre les localités de Yamoussoukro, Korhogo, Daoukro, Sinfra et bien d’autres localités. Selon les récents chiffres, 216.791 personnes se sont fait enrôler au niveau du service consulaire. Parmi elles, nous avons 174.913 hommes et 41.878 femmes. Mais ils sont encore plus nombreux ceux qui ne sont pas enrôlés à notre niveau.
Ils sont majoritairement dans le secteur agricole (anacarde, céréales, etc.), mais aussi dans l’élevage, le commerce (gros et demi-gros). La communauté à Bouaké est forte dans le commerce.
« Il n’existe pas de chiffres qui permettent de donner leur apport à l’économie du Burkina Faso. Mais nous savons que la diaspora burkinabè, au niveau de notre circonscription consulaire, contribue énormément à l’économie du Burkina par les transferts d’argent à leurs familles et d’autres investissent au pays », a affirmé le chef de poste.
Encadré 2
Comment est organisé le Consulat du Burkina à Bouaké ?
«Le Consulat existe depuis 1972. C’est un poste consulaire qui a à sa tête, selon l’organigramme, un Consul général aidé par un service administratif et juridique, un service consulaire qui compte deux sections : celle en charge des visas et passeports et une autre en charge de l’établissement des cartes consulaires. Il y a également le service culturel et l’Etat civil et un service Perception. Le Consulat a aussi un réseau consulaire constitué par des délégués consulaires et leurs adjoints et les délégués du Conseil supérieur des Burkinabè de l’étranger (CSBE). Ils sont nommés par décret et sont en lien avec le ministère des Affaires étrangères », a déclaré Windwaoga Roland Sawadogo.