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La métamorphose du Fonds monétaire international

Le système de Bretton Woods, qui a donné naissance au Fonds monétaire international (le Fonds) et à la Banque mondiale (la Banque), avait pour objectif de faciliter l’intervention de l’État dans l’économie, afin de surmonter les limites du capitalisme sauvage. Les deux principaux architectes du système, le Britannique John Maynard Keynes et l’Américain Harry Dexter White, croyaient en la nécessité de l’intervention de l’État. Keynes avait écrit un ouvrage classique en ce sens, et White représentait une administration, celle de F.D. Roosevelt, dont le New Deal avait été révolutionnaire. Le système de Bretton Woods a donc permis aux pays d’imposer des contrôles stricts des capitaux, afin que l’État puisse intervenir dans l’économie sans craindre la fuite des capitaux ; et, à titre de mesure complémentaire, il a également permis l’imposition de contrôles vis-à-vis des échanges extérieurs.

Le Fonds et la Banque opéraient dans cette perspective ; le premier, qui nous intéresse ici, accordait des prêts aux pays pour leur permettre de surmonter les crises de balance des paiements. L’un des échecs de l’accord de Bretton Woods était son incapacité à contraindre les pays dont la balance des paiements était excédentaire à procéder à des ajustements, car s’ils pouvaient se débarrasser de leurs excédents par une plus grande absorption intérieure, les pays déficitaires seraient automatiquement débarrassés de leurs crises. Le FMI a bien sûr imposé des «conditionnalités» comme un prêteur, mais celles-ci avaient trait à la «stabilisation» et non à l’»ajustement structurel», c’est-à-dire, à la correction des déséquilibres macroéconomiques pour se débarrasser des déficits de la balance des paiements, et non à la modification de l’orientation de la politique. Pour corriger les déséquilibres, il a utilisé un modèle (le modèle Polak) qui n’utilisait que certaines identités que l’on ne pouvait pas contester.

Le rôle du FMI a toutefois évolué au fil du temps, parallèlement aux changements survenus dans l’économie mondiale. Les énormes concentrations financières entre les mains des banques métropolitaines, favorisées par les deux chocs pétroliers des années 70, ont obligé à modifier le canal par lequel les emprunts du tiers monde ont commencé à être financés, en passant de l’»aide» gouvernementale multilatérale à des prêts commerciaux privés. Les banques métropolitaines avaient des fonds à prêter, pour lesquels elles avaient besoin d’un «contrôleur» ; et les pays du tiers monde, dont les déficits s’aggravaient à cause des chocs pétroliers, voulaient des prêts plus importants qu’auparavant, pour lesquels ils avaient également besoin d’un intermédiaire pour arranger les prêts. Le FMI, dont les fonds propres étaient dérisoires par rapport aux nouveaux besoins, est devenu cet intermédiaire-contrôleur.

Il est devenu un instrument permettant d’imposer l’agenda du capitalisme néo-libéral que le capital financier international était désireux de promouvoir. Il est en effet devenu un agent du capital financier international, poussant les pays à entreprendre un «ajustement structurel» dont l’essence réside dans le démantèlement des régimes dirigistes qu’ils avaient érigés après la décolonisation. Il favorisait les taux de change flexibles et unifiés par opposition aux taux de change fixes et multiples, désapprouvait les accords commerciaux bilatéraux qui contournaient le dollar américain, souhaitait une «législation sur la responsabilité fiscale» qui limitait le déficit budgétaire par rapport au PIB et encourageait l’adoption d’un régime de circulation transfrontalière plus libre des biens et des services, ainsi que des capitaux, y compris des finances. En bref, il a poussé à l’adoption d’un régime et de politiques qui étaient tout à fait à l’opposé des politiques souhaitées par Keynes. Ce changement a une signification plus large. Le capitalisme métropolitain a besoin de toute une série de matières premières, non seulement des minéraux, mais aussi des produits agricoles tropicaux et subtropicaux dont il ne peut se passer mais qu’il ne peut produire ni en totalité, ni en quantité suffisante, ni tout au long de l’année. Étant donné que la masse terrestre tropicale et subtropicale est plus ou moins pleinement utilisée (et que l’évolution technologique visant à «augmenter la superficie des terres» nécessite un activisme de l’État qui est généralement évité), la métropole souhaite généralement que ces produits soient mis à sa disposition en comprimant l’absorption locale de ces marchandises. Cela pouvait se faire facilement sous le colonialisme, grâce au système fiscal (et ces biens étaient ainsi obtenus gratuitement) ; la décolonisation a toutefois créé un problème à cet égard, pour lequel le système de Bretton Woods n’avait pas de panacée.

L’ordre néolibéral que le FMI a contribué à promouvoir a comblé cette lacune et a ainsi créé un nouveau dispositif impérial. Chaque fois que la demande métropolitaine d’un produit primaire tropical et subtropical dépasse l’offre actuelle et génère de l’inflation, cette inflation est particulièrement marquée dans l’économie de la périphérie ; des mesures d’austérité anti-inflationnistes doivent donc être prises, de peur de déclencher une fuite des capitaux, qui freinerait automatiquement l’absorption locale du produit (ou de son substitut). Le FMI est ainsi devenu la sage-femme et le gardien d’un nouveau dispositif impérial. o

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