Dans cet entretien exclusif, Amidou Ki, membre de l’Ordre national des experts-comptables et comptables agréés du Burkina Faso (ONECCA-BF), partage son expertise sur le Système comptable des entités à but non lucratif (SYCEBNL). Il explique en détail les nouvelles obligations auxquelles les entités cibles seront soumises et évoque les efforts déployés pour la vulgarisation de ce référentiel comptable. Alors que l’entrée en vigueur du SYCEBNL approche, monsieur Ki souligne l’importance de la conformité et de la sensibilisation. Expert-comptable renommé, Amidou Ki est commissaire aux comptes et Associé, Directeur technique du Cabinet FIDUCIAL AK SARL. Il est, par ailleurs, auteur d’un ouvrage sur le SYCEBNL et de trois autres sur le SYSCOHADA révisé. Notre entretien met en lumière les attentes vis-à-vis des entités cibles et l’importance de la sensibilisation pour assurer la réussite de cette transition majeure dans l’environnement économique de l’OHADA.
L’Economiste du Faso (EF) : Peut-on faire un rappel de ce qu’est le SYCEBENL ?
Amidou Ki : Avant tout propos, permettez-nous d’adresser nos remerciements au Directeur de publication de l’hebdomadaire L’Economiste du Faso et à l’ensemble du personnel pour tout ce que vous faites pour l’environnement économique. Merci pour l’occasion que vous nous donnez afin d’échanger sur le SYCEBNL, qui est un sujet d’actualité et d’importance significative dans l’environnement économique de l’espace OHADA, en général, et du Burkina Faso, en particulier.
Pour revenir à la question, il faut rappeler que l’article premier de l’Acte uniforme relatif au Système comptable des entités à but non lucratif (AU-SYCEBNL) stipule que : « Il est institué un système comptable unique, commun à tous les Etats parties, dénommé Système comptable des entités à but non lucratif, en abrégé SYCEBNL… ». Il ressort clairement de cet article que pour compter du 1er janvier 2024, seul le SYCEBNL est applicable à toutes les entités à but non lucratif, dans les dix-sept Etats parties de l’OHADA (l’Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires en Afrique). L’article 2 de l’AU-SYCEBNL définit ce qu’on entend par Entité à but non lucratif (EBNL) comme « toute organisation, poursuivant un but désintéressé, et dont les ressources éventuellement générées par l’activité servent au fonctionnement et à la réalisation de son objet social ». En somme, le SYCEBNL est un nouveau référentiel comptable applicable aux entités poursuivant un but désintéressé, c’est-à-dire, ne cherchant pas à réaliser un bénéfice et il entre en vigueur le 1er janvier 2024.
De façon concrète, qui sont ces entités concernées ?
Les entités à but non lucratif sont : « Les associations et les ordres professionnels, les entités ayant pour objet la gestion ou l’administration de projets de développement financés, en général, par les bailleurs bilatéraux, multilatéraux, privés ou étatiques… ». Donc de façon plus précise, les entités éligibles sont les associations (il faut entendre par association, les associations communautaires et autres), les Fondations, les ONG, les Mutuelles (par exemple, la Mutuelle des travailleurs de L’Economiste du Faso…). Les Ordres professionnels (Ordre des médecins, des pharmaciens, des architectes, des géomètres, des Avocats, des notaires, des experts-comptables, …) ; les projets et programmes de développement.
Il faut noter qu’une entité à but non lucratif est exclue du champ d’application du SYCEBNL lorsqu’elle est soumise au système de la comptabilité publique ou à un régime particulier ou encore à des dispositions nationales spécifiques (article 2 du AU-SYCEBNL).
Quelles sont les nouvelles obligations auxquelles les entités cibles seront soumises dans le cadre de ce référentiel comptable ?
En plus des obligations de tenue correcte de la comptabilité conformément au SYCEBNL, le législateur a prescrit des nouvelles obligations pour les entités à but non lucratif éligibles au SYCEBNL. Nous citons trois (3) obligations parmi tant d’autres :
Le registre des donateurs prescrit aux articles 17 et 18 de l’AUSYCEBNL : à partir du 1er janvier 2024, les entités à but non lucratif et éligibles au SYCEBNL doivent mettre en place et tenir à jour un registre sur lequel sera transcrit toutes informations permettant d’identifier sans équivoque (adresse complète) les donateurs, bailleurs de fonds, contributeurs allant jusqu’à la précision du montant, du moyen de paiement, etc.
Obligation de désigner un auditeur sous certaines conditions. En effet, toute entité à but non lucratif qui remplit l’un des trois critères ci-après doit désigner au moins un auditeur (désigner parmi les membres de l’Ordre des experts-comptables de l’Etat partie). Si l’entité a un total du bilan supérieur à cent millions (100 000 000) de francs CFA ou l’équivalent dans l’unité monétaire ayant cours légal dans l’Etat partie ; des ressources annuelles supérieures à deux cent millions (200 000 000) de francs CFA ou l’équivalent dans l’unité monétaire ayant cours légal dans l’État partie ; un effectif permanent supérieur à vingt (20) personnes.
Obligation de faire certifier le registre des donateurs et de faire approuver par l’organe délibérant : si l’entité a un auditeur, elle doit lui soumettre le registre pour certification. En revanche, si l’entité n’a pas d’auditeur, le premier responsable doit attester la réalité, la sincérité et l’exhaustivité des informations contenues dans le registre. Le registre accompagné de la certification de l’auditeur (à défaut de l’attestation des responsables de l’ENBL) sera soumis à l’approbation de l’organe délibérant.
Qu’est-ce qui ne change pas ? Ou si vous voulez, quelles sont les similitudes avec le SYSCOHADA ?
Il faut noter que le SYCEBNL est un référentiel « sectoriel » du SYSCOHADA dédié aux entités à but non lucratif. Donc ce référentiel ne traite que des questions spécifiques liées aux entités à but non lucratif. Pour répondre à la question de savoir « qu’est-ce qui ne change pas ? », c’est tout ce qui relève de droit commun et/ou qui n’exige pas un traitement spécifique, au regard des dispositions relatives aux entités à but non lucratif. Par exemple, les règles d’évaluation générales, les méthodes de détermination des dotations aux amortissements, de dépréciation, etc. sont les mêmes pour les entités relevant du SYCOHADA comme du SYCEBNL. L’article 3 du SYCEBNL exclut clairement les articles de l’Acte uniforme relatif au droit comptable et à l’information financière (AUDCIF) qui ne sont pas applicables aux entités à but non lucratif : 64 sur 123 articles de l’AUDCIF ne sont pas applicables aux entités à but non lucratif (le reste est applicable au EBNL).
L’ONECCA-BF est engagé pour la vulgarisation de ce nouveau référentiel comptable. Qu’est-ce qui est fait exactement sur le terrain ?
Nous ne sommes pas la voix la mieux indiquée pour répondre aux actions des consœurs et confrères (comme nous ne répondons pas aux questions en tant que mandataire de l’ONECCA-BF). Néanmoins, nous savons que le Conseil national de l’ONECCA-BF a déjà fait le nécessaire pour les membres. Une session de formation a été organisée au profit des membres et de leurs collaborateurs sur le sujet. Nous pouvons rassurer le monde économique que les consœurs et confrères ont pris la question très au sérieux et chacun mène le combat de la réussite sur le terrain. Chaque membre de l’Ordre fait de la sensibilisation et des formations ouvertes à toute personne intéressée. Pour notre part, chaque session de formation que nous avons organisée a été une réussite en termes de sensibilisation, de vulgarisation et de satisfaction. Nous mettons tout en œuvre pour que les prochaines sessions soient encore meilleures.
Qui sont les cibles, en dehors des comptables des EBNL ?
Nous disons simplement toute personne qui intervient dans les EBNL ou qui s’intéresse aux ENBL. En dehors des comptables, il y a les dirigeants qui doivent être sensibilisés sur le sujet, les donateurs ou bailleurs de fonds, les journalistes, car, pour traiter ou parler d’un sujet, il faut le connaître. C’est ce que votre Journal fait, à travers cet entretien. Merci à vous.
Y a-t-il eu un bilan de vos actions engagées ? Si oui, quel constat faites-vous sur le terrain ? Les entités au Burkina sont-elles prêtes pour l’entrée en vigueur ?
La question comporte plusieurs volets. Pour le bilan des actions engagées, une fois de plus, nous ne pouvons que donner le bilan de nos actions personnelles. Et nous dirons simplement qu’il est très positif, car nous avons un bon retour des personnes ayant suivi nos sessions de formation. Est-ce que les entités seront prêtes pour le 1er janvier 2024 ? Oui, elles seront prêtes. De toutes les façons, la loi n’a pas laissé d’autre alternative pour l’entrée en vigueur du SYCEBNL. Celles qui ont anticipé en prenant les dispositions nécessaires pour la mise en œuvre seront prêtes au 1er janvier prochain et celles qui seront à la traine, le feront tôt ou tard. Ce qui n’est pas du tout bon pour la gestion d’une entité. Notre souhait est que les entités (les dirigeants) prennent conscience de l’importance des réformes et s’y intéressent, afin que tout le monde soit classé conforme au moment de faire le bilan d’implémentation du SYCEBNL.
Quelles sont les conséquences pour les entités qui vont continuer à fonctionner hors SYCEBNL ?
Nous savons tous qu’évoluer dans l’illégalité a toujours des conséquences et elles sont diverses. D’abord, l’entité qui ne se soumettra pas au SYCEBNL est certaine que ses états financiers ne seront pas certifiés par l’auditeur. La certification des comptes renforce la crédibilité desdits comptes, d’une part, et d’autre part, elle augmente la confiance accordée par les utilisateurs des états financiers. Par contre, la non-certification peut entrainer la suspension ou l’arrêt des financements par les partenaires techniques et financiers, d’où une remise en cause de la continuité de l’exploitation, en d’autres termes, la cessation des activités de l’entité, c’est-à-dire, sa « fermeture ». Enfin, le dirigeant ou toute personne ayant contribué ou favorisé cette situation d’illégalité encourt des sanctions pénales prévues aux articles 24 à 27 du SYCEBNL.
EF : Pour des structures qui désirent se faire accompagner, y a-t-il un dispositif spécifique pour celles-ci ?
Amidou Ki : Pour les entités qui désirent se faire accompagner, il suffit de se référer à un expert-comptable ou un comptable agréé, régulièrement inscrit sur le tableau de l’Ordre national des experts-comptables et comptables agréés du Burkina Faso (ONECCA-BF), pour bénéficier des services de qualité. Nous profitons de cette opportunité pour lancer un appel à l’endroit des acteurs économiques en disant ceci : il faut s’adresser aux professionnels, consulter toujours la liste des experts-comptables et des comptables agréés pour tout service relatif à la gestion de vos entités.
Quelles sont les difficultés rencontrées sur le terrain ?
Pour le moment, ça se passe très bien, en dehors du fait que certaines personnes concernées ignorent même l’existence du nouveau référentiel, malgré les efforts fournis par l’ONECCA-BF et ses membres, d’une part, et d’autre part, par l’OHADA, à travers sa représentation nationale au Burkina, le CONHADA. En rappel, le CONHADA Burkina a organisé un atelier de sensibilisation à l’endroit des responsables des entités éligibles au SYCEBNL, les 26 et 27 juin 2023. Nous avons eu l’honneur d’animer cet atelier, à l’occasion duquel nous avons constaté que les participants étaient très intéressés par le sujet. Malheureusement, notre satisfaction était mitigée, au regard du nombre de participants présents en rapprochement avec le nombre de personnes invitées par le CONHADA pour cet atelier (à peine un tiers), pour une formation entièrement supportée par le CONHADA.
En termes de perspectives, le SYCEBNL sera-t-il dans les curricula académiques ? Si oui, comment cela va-t-il se faire ?
Dans le programme des études supérieures en comptabilité, il y a normalement une unité d’enseignement ou module « Comptabilité spéciale ou spécifique ». Ce module comporte des thèmes comme la comptabilité bancaire, des assurances, de la prévoyance, des projets, … Donc le SYCEBNL sera naturellement enseigné dans le cadre de la comptabilité spéciale. Mais à mon avis, cela n’est pas nécessaire pour le secondaire (CAP, BEP, BAC), car si la base (SYSCOHADA) est bien maîtrisée, les particularités suivront.
Quelles sont vos attentes vis-à-vis de vos partenaires ?
Nos attentes sont multiformes. Sur le plan de la communication, nous souhaitons que l’OHADA, à travers ses représentations nationales, communique davantage sur le sujet.
Au plan institutionnel et règlementaire, il est nécessaire que l’Etat renforce son dispositif règlementaire, afin que les EBNL publient effectivement leurs états financiers, car c’est un outil d’aide à la prise de décision et de contrôle (par exemple, le registre des donateurs qui est désormais obligatoire peut servir pour le contrôle et la détection des flux financiers illicites). Ensuite, que les dirigeants des entités prennent des dispositions pour la mise en œuvre effective du SYCEBNL dès le 1er janvier 2024. Pour terminer, nous souhaitons que les partenaires techniques et financiers accompagnent les entités cibles pour la mise en œuvre du SYCEBNL.
Un mot pour conclure ?
Encore merci à L’Economiste du Faso pour l’intérêt accordé au SYCEBNL et votre engagement à accompagner les acteurs économiques du Burkina Faso. Nous espérons que cet article contribuera à la vulgarisation du SYCEBNL dans notre pays, en particulier, et dans l’espace OHADA, en général. Pour conclure, nous disons tout simplement que l’implémentation et la réussite d’un nouveau référentiel quel que soit le domaine ne sont pas que l’affaire des pratiquants. Le nouveau référentiel a besoin de la communication, de la sensibilisation, de la formation et d’appropriation par les acteurs de mise en œuvre (organes délibérants, dirigeants, …) avec un appui fort de l’institutionnel (du pouvoir public). Cela dit, nous souhaitons vivement que nos autorités accompagnent le SYCEBNL, afin que son implémentation soit une réussite, ce qui contribuera à assainir l’environnement des EBNL et à booster notre économie. Que le tout miséricordieux bénisse le pays des Hommes intègres et ramène la paix, afin qu’ensemble nous relevions les défis.
Entretien réalisé par Etienne LANKOANDE (Collaborateur)