- Un geste de solidarité
- L’esprit du TAC
- Une polémique injustifiée
Une livraison d’équipements militaires d’un coût estimé à 2, 3 milliards de F CFA reçue par le Burkina de la part de la Côte d’Ivoire suscite la controverse. La discrétion qui a entouré la réception dudit matériel a davantage semé la confusion dans les esprits. Occultant les liens séculaires entre les deux pays, certains se sont laissés à des exagérations en criant au complot. Et pourtant, il n’en valait pas la peine.
Loin des caméras et des micros, les autorités burkinabè ont reçu une cinquantaine de véhicules pickup, de 1000 fusils d’assaut et de 100 mille munitions du pays frère, la Côte d’Ivoire. Un geste de solidarité du gouvernement ivoirien qui pense qu’il est de son devoir de voler à la rescousse d’un voisin confronté à un défi majeur, le péril terroriste. Comme l’a souligné le porte-parole du gouvernement ivoirien suite à une question d’une journaliste à l’issue du conseil des ministres du mercredi 22 mars 2023, le don de matériel militaire au Burkina répond à un impératif de solidarité. Le Burkina, tout comme d’autres pays du Sahel, fait face à la morve terroriste depuis huit ans. La Côte d’Ivoire, l’heureuse bienfaitrice, est également dans l’œil du cyclone. Quoi de plus de normal que d’aider le voisin à circonscrire les flammes qui envahissent sa maison au lieu d’attendre sans rien faire ? Si le Burkina parvient à endiguer la vague terroriste, la Côte d’Ivoire est par ricochet à l’abri. Ceux qui ont vite fait de verser dans la polémique parce que doutant de la sincérité du don ont omis un certain nombre de paramètres dans leur ire. Si comme certains l’affirment, l’équipement serait une commande du régime Kaboré qui est arrivé après les événements du 24 janvier 2022, fallait-il pour le gouvernement ivoirien le remettre au lieutenant-colonel, Paul Henri Sandaogo Damiba, au risque d’être accusé de trahison ? Même si l’entente était cordiale entre Damiba et Ouattara, il aurait été tout de même délicat de livrer ledit matériel au risque d’être vu comme un soutien des putschistes. Si l’on s’en tient au fait que le matériel aurait été commandé par le Burkina depuis belle lurette, sa remise actuelle, même si ce n’est plus l’entente cordiale entre les autorités actuelles et ceux de la Côte d’Ivoire, répond à un impératif de realpolitik. Fallait-il s’étriper pour autant ? Depuis que les groupes terroristes écument le Sahel, notamment le Mali, le Burkina et le Niger, le manque de solidarité entre Etats africains dans le malheur n’a cessé d’être dénoncé. Mais pourquoi s’offusquer quand la Côte d’Ivoire exprime sa solidarité avec son voisin ?
« mettre en place un parténariat dynamique »
Au temps fort de la crise sociopolitique qu’a connue la Côte d’Ivoire dans période 2000-2010, le climat s’était détérioré également entre Ouagadougou et Abidjan. Les autorités de l’époque, conscientes des liens séculaires qui unissent les deux pays ont su transcender leurs incompréhensions pour préserver l’essentiel. C’est dans cette dynamique que le Traité d’Amitié et de Coopération (TAC) a vu le jour le 29 juillet 2008. Entre autres, ses objectifs visent à instaurer un cadre permanent de concertations entre les deux pays, à mettre en place un partenariat dynamique pour garantir la stabilité et la prospérité des deux pays, à consolider les relations privilégiées de fraternité et de coopération dans les grands domaines d’intérêt commun notamment culturel et artistique, à stimuler le processus d’intégration sous régionale et à promouvoir le bien-être des peuples burkinabè et ivoirien. Quels que soient les moments de difficultés que peuvent connaitre les deux pays dans leur cheminement, l’esprit de ce TAC ne saurait être relégué aux oubliettes. Une telle initiative a pu être concrétisée pour inscrire cette coopération ivoiro-burkinabè dans la durée. L’exemple de cet accord est inédit dans la sous-région. D’ailleurs, dans leurs histoires politiques respectives avec les différents régimes ont géré le pouvoir d’Etat, le Burkina et la Côte d’Ivoire ont connu des parenthèses difficiles sans compromettre leur volonté d’être toujours ensemble. La Côte d’Ivoire représente un partenaire économique de premier plan pour le Burkina. Ce n’est pas parce que des vents contraires charrient toutes sortes de discours que l’on se laisserait aveugler en adoptant des postures de bellicistes. Le bon sens recommande que chacun fasse preuve d’une certaine retenue dans l’appréciation des faits.
C’est dire que cette polémique sur la livraison d’armes de la Côte d’Ivoire au Burkina ne trouve aucune justification qui tienne. Le drame que vit le Burkina a un écho néfaste en Côte d’Ivoire. De ce fait, elle ne saurait faire l’autruche face au malheur qui frappe son voisin. Comme il est trivialement dit, l’histoire et la géographie ont scellé à jamais le sort des deux pays. Par-delà les tempêtes qu’il peut y avoir, les peuples burkinabè et ivoiriens sont appelés à se tenir la main. Au contraire, l’on devrait se réjouir de cette solidarité africaine agissante au lieu de nous égarer des diversions aux relents haineux et tendancieux. Si l’exemple de la Côte d’Ivoire pouvait susciter une saine émulation dans la sous-région, nous aurions en partie trouvé une solution à la question sécuritaire. C’est ce déficit d’entraide qui donne la latitude à certains de venir faire toutes sortes de propositions sous nos tropiques. Entretenir des débats qui nous détournent des vraies préoccupations, c’est creuser le lit d’un enlisement certain. Ceux qui distraient l’opinion en voyant à travers le geste de la Côte d’Ivoire une manœuvre de la France pour déstabiliser n’avancent à rien, sinon à la sempiternelle théorie du complot. A l’épreuve des difficultés, il nous faut avoir le courage d’interroger au-delà nos raccourcis. Il nous faut changer de lorgnettes pour voir un peu plus loin. C’est à ce prix que l’on saura mieux assumer ses responsabilités devant un quotidien fait d’incertitudes. Osons faire le pari de la réflexion féconde, lucide, débarrassée des préjugés anachroniques.
Jérôme HAYIMI