• Le président de la Transition parle de plus de 9 milliards FCFA non recouvrés
• Plus de 26 milliards FCFA d’amendes prononcés.
• Par le pôle ECOFI du TGI OUAGA depuis 2018
Le procès pénal vise la répression des personnes qui ont commis des infractions à la loi pénale, simplement appelées les délinquants. Son aboutissement est marqué par l’intervention d’une décision judiciaire. En revanche, la justice n’est véritablement rendue que lorsque la décision est entièrement exécutée. En matière pénale, les peines prononcées sont celles privatives de liberté, les peines d’amendes et les peines complémentaires. Les peines d’amendes, lorsqu’elles sont définitives, c’est-à-dire insusceptibles de recours, doivent être recouvrées au profit du budget de l’Etat. Le recouvrement des amendes prononcées par les juridictions constitue un enjeu en matière d’exécution des peines et de crédibilité de la réponse pénale, mais il s’agit également d’une question financière, puisque le produit des amendes pénales constitue une recette au profit du budget de l’État. Au Burkina Faso, le recouvrement des amendes judiciaires demeure le parent pauvre du système répressif de la justice. Cette tâche relève des attributions de quelles fonctions ? Quelles sont les raisons qui entravent le recouvrement de ces amendes. A combien pourrait s’élever le montant des amendes judiciaires ?
Les acteurs de l’exécution des peines
Aux termes de la loi portant Code de procédure pénale, le ministère public et les parties poursuivent l’exécution de la décision, chacun en ce qui le concerne. De plus, elle précise que les poursuites pour le recouvrement des amendes sont faites au nom du Procureur du Faso par le Trésor public.
Les intervenants dans le recouvrement sont de deux ordres : d’une part, ceux qui exécutent les ordres du Procureur selon les cas (officiers de police judiciaire, huissiers de justice) et le Trésor public, d’autre part.
Cependant, l’établissement d’un titre de perception est la condition nécessaire à l’exécution des peines d’amendes, le recouvrement des dommages et intérêts prononcés au profit de l’État, les dépens et les frais postérieurs à la décision. Ce titre de perception est appelé extrait pour le Trésor. L’établissement de ce document incombe aux Greffiers qui vérifient, au préalable, si les peines sont définitives ou pas. Il y a lieu de souligner que le rôle du Greffier en chef s’est davantage accru avec l’arrêté n°2009-0106/MEF/SG/DGTCA/DELF du 24 mars 2009 portant création des régies de recettes auprès des Cours et tribunaux. Désormais, le Greffier en chef ne se contente plus seulement de l’émission des titres de perception, il est également un acteur intervenant directement dans le recouvrement. Avec cet arrêté, le recouvrement des condamnations pécuniaires est fait par le Greffier en chef directement en tant que régisseur de recettes, contre quittance qu’il délivre à l’intéressé.
Dès que les décisions portant condamnation pécuniaire au profit du Trésor public sont devenues définitives, le Greffe établit un extrait de jugement en trois exemplaires aux fins de contraindre la partie condamnée à s’en acquitter entre les mains du Régisseur de la juridiction (Greffier en chef) ou du Receveur du Trésor.
Interviennent essentiellement dans le processus de recouvrement des amendes judiciaires, le ministère public, représenté par le Procureur du Faso près les Tribunaux de Grande instance, ou les Procureurs généraux près des Cours de justice, les Greffiers et le Trésor public.
Les raisons du non-recouvrement
Pour Me Mathieu Simporé, Greffier en chef, Secrétaire général du syndicat des Greffiers (SGB), l’interpellation du président de la Transition est fondée, mais rien ne peut se faire dans l’illégalité, et tout doit s’inscrire dans la légalité.
Sur le plan procédural, il relève que les dispositions de l’article 622-1 du Code de procédure pénale, qui veulent que pour les condamnations à l’amende ou aux frais ou à tout autre payement au profit du Trésor public, la durée de contrainte judiciaire soit fixée par la décision de condamnation, ne sont pas toujours respectées. Il fait savoir que l’article 700 de l’ancien Code de procédure pénale permettait au Greffier de fixer la durée minimum prévue par cette loi et que comme le nouveau Code pénal n’offre pas cette possibilité au Greffier, ce dernier ne peut pas inventer de délai. Pourtant, sur cette base, note-t-il, le Greffier établit l’extrait pour la prison à l’effet de contraindre les condamnés qui ne veulent pas s’exécuter volontairement.
Ensuite, comme difficultés rencontrées en matière de recouvrement des amendes, Me Simporé évoque le fait que la loi ne donne pas plein pouvoir au Greffier en chef de saisir directement, les biens du condamné, puisque selon lui, les condamnés sont le plus souvent insolvables.
De plus, notre interlocuteur avance comme raisons objectives qui expliquent cette situation, l’insuffisance des locaux et matériels informatiques, la non-opérationnalisation de la gestion informatisée des données des pièces d’exécution, l’absence des moyens de communication dans les Greffes , la récurrence des recherches infructueuses des officiers de police judiciaire, le manque de moyens alloués à ces derniers pour effectuer les recherches. En outre, le Greffier en chef pointe du doigt le problème lié à l’adressage des condamnés et suggère que les numéros de personnes à prévenir en cas de besoin soient associés aux contacts de ces derniers qui ne manquent pas de changer de contacts après leur libération.
Par ailleurs, le leader du SGB pense que l’absence de motivation financière, même si elle n’est pas une raison suffisante qui justifie le faible recouvrement, n’inciterait pas les acteurs à redoubler d’efforts pour renflouer les caisses de l’Etat.
Il raconte que des émoluments étaient servis aux Greffiers en chef, toute chose qui a été supprimée par le décret n°85-305 du 03 juin 1985 portant suppression des émoluments et des droits tarifés alloués aux Greffiers en chef. Et ce décret se voulait rétroactif, conséquence, les Greffiers en chef ont été obligés de rembourser tout ce qu’ils ont perçu depuis janvier. Naturellement, cette situation n’a pas fait que des heureux. Son constat est que depuis cette époque, la culture de l’établissement des pièces d’exécution n’est plus enseignée de sorte que les Greffiers qui ont moins de 20 ans sur le terrain ne connaissent pas concrètement ce dont il est question.
Maître Simporé se réjouit du fait que les autorités aient pris à bras-le-corps le problème. Pour preuve, il fait cas d’un atelier diagnostic courant 2022, qui s’est penché sur la question.
Pour pallier ces insuffisances, il propose la création et l’opérationnalisation des bureaux d’exécution de peines dans toutes les juridictions, la dotation des régies des juridictions en moyens humains et financiers et l’adoption des textes relatifs aux frais de justice criminelle. Il a insisté sur la nécessité de former les acteurs et de sensibiliser les condamnés à s’acquitter de leurs peines d’amendes.
Le niveau financier des amendes
Le non-recouvrement des amendes judiciaires constitue un manque à gagner au profit du budget de l’Etat. Le président de la Transition, Ibrahim Traoré, dans son entretien avec la presse, a fait cas de plus de 9 milliards FCFA d’amendes non recouvrés. Les Greffiers ont été interpellés à se mettre au travail, a-t-il poursuivi.
Seules les peines d’amendes fermes et définitives sont exigibles. Une peine d’amendes est dite définitive lorsque celui contre qui elle est prononcée ne dispose plus d’une voie de recours contre la décision. Le caractère ferme ou assorti de sursis est fixé par le juge, lors du prononcé du jugement ou de l’arrêt.
Selon les états fournis par les différents Greffes, le montant total des amendes à recouvrer sur la période 2018-2021 était de 9.142.910.555 FCFA, foi de Me Mathieu Simporé. Il poursuit en affirmant que sur la même période, la somme de 152.243.550 FCFA a été recouvrée, soit un taux de recouvrement de 1,66%. Il dit déplorer cette situation de déperdition de ressources et assure la disponibilité de son syndicat à accompagner les autorités.
Dans le but de permettre l’appréciation de ce que pourrait être ce montant, L’Economiste du Faso a fait un zoom sur un pôle judiciaire spécialisé dans la répression des infractions économiques et financières (ECO-FI). Il s’agit du pôle ECOFI rattaché au Tribunal de Grande instance Ouaga I. C’est la juridiction qui prononce les peines d’amendes les plus élevées, toute chose qui s’explique par la nature des infractions qu’elle traite. En seulement 75 décisions rendues depuis son fonctionnement effectif en 2018, le montant total des peines d’amendes fermes prononcées s’élève à 26.191.128.737 FCFA. Dans l’affaire contrebande de carburant, qui a défrayé la chronique en son temps, le montant total des peines d’amendes s’élevait à plus de 14 milliards FCFA. Il convient de préciser que les peines d’amendes assorties du sursis n’ont pas été prises en compte.
Aussi, 2.925.711.019 FCFA représentent le montant des dommages et intérêts au profit de l’Etat, et pour lesquels les contrevenants à la loi ont reçu condamnation. De plus, plusieurs confiscations de biens, notamment de biens immeubles, ont été prononcées au profit du Trésor public. Cependant, il faut noter que les décisions rendues par le pôle ECOFI sont susceptibles de recours, donc les peines d’amendes indiquées ne sont pas systématiquement exigibles.
Rahim OUEDRAOGO (Collaborateur)
Encadré
L’exécution volontaire
La procédure d’exécution volontaire des condamnations à l’amende et aux frais au profit du Trésor public est régie par les dispositions du Code de procédure pénale (article 622-6 et suivants). L’article 622-6 dispose que : « Toute condamnation à l›amende ou aux frais ou à tout autre payement au profit du Trésor public, prononcée par une juridiction répressive, peut être exécutée volontairement par le condamné dans les conditions prévues aux articles 622-7 à 622-9 ci-dessous, sans préjudice du droit pour le Trésor public de poursuivre l’exécution sur les biens du condamné. Ainsi, le condamné à une peine d’amende ferme dispose d’un délai de 3 mois, à compter du jour où la décision est devenue définitive, pour s’exécuter librement. Pour le condamné à une peine d’emprisonnement ferme en plus de l’amende, ce délai court à compter du jour de sa libération.