L’Islam est une religion qui s’intéresse à tous les aspects de la vie de l’Homme. C’est à cet effet que, dès les premiers moments de la révélation, le Coran s’est voulu plus qu’une boussole spirituelle; un code complet régissant la vie terrestre et céleste des musulmans et cela, de façon atemporelle. C’est le cas de l’encadrement des « affaires » comme le financement des activités économiques. Malheureusement, la finance islamique n’est pas assez connue même des musulmans. Qu’est-ce que la finance islamique ? Quels sont ses principes, ses sources et ses modes de financement ?
Essai définitionnel et les sources de la finance islamique
Pour Wadi Mzid, « la finance islamique appartient à un concept plus large, l’économie islamique, une doctrine économique qui, comme toutes les autres doctrines (capitalisme, communisme, socialisme), diffère par son propre système de valeurs ». C’est en cela que la finance islamique est considérée « (…) comme l’ensemble des institutions modernes permettant aux musulmans de concilier impératifs religieux et rentabilité économique ».
Dans un sens plus pratique, « la finance islamique est une finance éthique et responsable. Il en découle l’interdiction de financer toutes les activités et tous les produits qui sont contraires à la morale : alcool, drogues, tabac, armement… ainsi que les produits interdits à la consommation par les textes de l’islam ». Autrement dit, la finance islamique est un système financier enraciné dans les principes religieux musulmans relatifs à l’économie, en général, notamment, l’interdiction du Riiba, l’interdiction du Gharar (aléatoire contractuel) et du maysir (le hasard) et faisant du partage de profit et des pertes la clé de voûte des affaires.
Appréhendées comme un système financier, les opérations de la finance islamique reposent sur les sources de l’islam. Par ordre d’importance, la finance islamique trouve son fondement dans les deux principales sources de l’islam, à savoir le Saint Coran-la parole d’ALLAH révélée au véridique dans l’absolue- : Mohammad (SAW). Ensuite, vient la Sounah comme deuxième principale source. De cette Sounah, pourrait-on retenir qu’il s’agit d’un ensemble de textes authentifiés codifiant à travers les hadiths « les dires; les actes ; les approbations explicites ou implicites ; les qualités morales personnelles ; les désapprobations ; les délaissements de certains actes » du Prophète Mohammad (SAW) leur conférant ainsi une valeur presque « législative ».
A côté de ces sources principales, on admet généralement d’autres dites secondaires – dérivées- : l’Ijmaa ou le consensus de savants reconnus par leurs contemporains. Il s’agit des avis ayant acquis caractère de règle de droit parce qu’issus de l’unanimité des débats savants. Encore au titre de sources dérivées, trouve une place, les Quiass qui sont les sources découlant de l’effort de la doctrine. En clair, c’est le fruit des raisonnements analogiques des théologiens avérés consistant à comparer un cas légiféré à un cas présent nouveau mais similaire à celui-ci dans une moindre mesure et concernant lequel aucun texte (du Coran ou de la Sounnah) n’explicite la conduite à tenir.
Les grands principes de la finance islamique
Dans la doctrine, cinq (05) principes directeurs reviennent très souvent quand on parle de la finance islamique. Il s’agit, notamment, de : la prohibition conjointement de l’intérêt et de l’usure (i), la prohibition de l’aléa ou de l’incertitude dans les contrats (ii), l’interdiction de la spéculation ou du jeu du hasard (Mayssir) (iii), l’interdiction d’investir dans les activités illicites (iv), le partage des profits et des pertes (v).
De la prohibition conjointement de l’intérêt et de l’usure
L’intérêt et l’usure appréhendés dans la finance conventionnelle sont distincts. En effet, dans le système financier classique, le taux d’intérêt représente le loyer de l’argent prêté (emprunt), alors que l’usure est considérée comme un taux maximum d’intérêt au-delà duquel il est interdit de faire des emprunts. Cependant, dans la finance islamique, l’on n’observe guère de distinction entre les deux termes qualifiés de Riiba-l’intérêt et l’usure-.
De la prohibition de l’aléa ou de l’incertitude dans les contrats
Ce principe est encore appelé « principe de l’adossement des transactions et des opérations aux actifs tangibles ». A son terme, il faut comprendre que le financement concerne les activités, des biens ou des services tangibles ou réels. A contrario, ce principe consacre ou rappelle la prohibition des activités de spéculation.
De l’interdiction de la spéculation ou du jeu du hasard (Mayssir)
Ce principe interdit « d’acheter sans payer et de vendre sans détenir ». Ce sont les activités « purement spéculatives » qui n’ont pas de finalité productive ou créatrice de richesses dans les entreprises qui sont en cause ici.
De l’interdiction d’investir dans les activités illicites
Par ce principe, il est fait consécration des interdits religieux, des principes directeurs des affaires commerciales. Ainsi, le financement ne peut être fait, entre autres, dans le cadre de l’industrie pornographique, des jeux du hasard, de l’alcool et du tabac, de la filière porcine, de l’armement, du secteur bancaire classique basé sur l’intérêt.
Du partage des profits et des pertes ou principe des « 3 P »
Le principe de « partage des profits et des pertes » recherche l’équité dans les affaires. Il consiste à favoriser le partage des profits et des risques entre l’apporteur de financement et le promoteur d’une activité et cela, suivant une clé de répartition convenue d’avance. Ce principe sert de socle au caractère participatif de certains modes de financement. La clé de répartition est définie préalablement dans un document consensuel entre les parties. Ces principes directeurs sont accompagnés d’un certain nombre de valeurs qui font de la finance islamique une finance éthique. Il s’agit, notamment, de la solidarité, de l’équité, de l’intégrité et de la « liberté économique encadrée ». Nous aurons, ALLAH voulant, à développer ce dernier point dans les prochains écrits.
Les modes d’institution de financement islamique
Pour l’essentiel, dans la finance islamique, on pourrait retenir deux modes dominants de financement, à savoir les modes de financement participatif et les modes de financement non participatifs. Le premier mode de financement s’inscrit dans la logique du principe des « 3P ».
Au titre de ce mode de financement, il existe les produits ou contrat/produits suivants :
Mudaraba : dans un tel contrat, le capital est entièrement fourni par l’institution de finance islamique et l’entrepreneur ou le promoteur apporte son savoir-faire – capital humain- en vue de la réalisation du projet. Les pertes sont partagées suivant une clé de répartition suivant un contrat synallagmatique. Les pertes sont supportées par les deux parties-la banque perdra le capital-, le promoteur, l’investissement en termes d’apport intellectuel ou physique. Placé dans le contexte de la finance classique, il serait assimilable à une société en commandite simple dans laquelle la banque occupera la fonction de commandité et l’entrepreneur ou le promoteur, la qualité de commanditaire
Musharaka : dans le registre des modes de financement non participatif, les produits sont fondés sur la théorie du coût plus marge. Il s’agit des opérations qui mettent l’accent sur la répartition des marges bénéficiaires.
Murabaha : ici, le capital du projet est apporté par l’institution de finance islamique et un ou plusieurs partenaires. Au moment du partage des profits, il est appliqué le principe du prorata de la part contributive de chaque bailleur. Un droit de regard est reconnu aux cocontractants sur la gestion du projet.
Salam : il s’agit de l’application d’une vente différée dans laquelle l’acheteur paie au comptant le prix convenu à la signature du contrat mais ne prendra livraison que plus tard à un terme déterminé par une promesse de livraison. C’est le format usité dans le cadre de la vente des produits agricoles à récolter.
Istisna : c’est une modalité de financement qui se présente comme un tempérament aux principes d’ « interdiction de vendre ce qu’on ne possède pas ». En effet, à son terme, il s’agit d’une relation contractuelle par le biais de laquelle une partie, le fabriquant produit un objet moyennant un paiement au comptant, échelonné ou à terme. Il présente l’avantage de fournir le financement sur un moyen ou long terme dans le cadre d’activité de production, de fabrication ou dans un projet de grande envergure.
Ijara : il s’agit de la location dans laquelle un bien est acquis par l’institution de finance islamique auprès d’un fournisseur. Elle la met ensuite en location au profit d’un entrepreneur. L’institution de finance islamique se rémunère du loyer, d’une part, et d’une marge échelonnée sur la période qui court le bail, d’autre part.
Bien que le recours à la banque conventionnelle soit quasi systématique dans notre économie dont le socle est capitalisme, de plus en plus, la finance islamique se présente comme une alternative « éthique » dans laquelle la recherche du profit n’est point une « fin en soi ». Dans ce contexte, les défis pour les promoteurs d’institutions de finance islamique sont divers. Il s’agit de rendre plus accessibles leurs activités, à travers un plan de communication dans la perspective d’une plus grande attractivité. Aussi, l’accompagnement du législateur est souhaité pour une intégration des règles de la finance islamique dans la règlementation bancaire conventionnelle. En outre, il leur faudra travailler à déconstruire l’amalgame que pourrait succéder ce mode de financement du fait de son imbrication à la religion musulmane qui a tort, n’a pas bonne presse dans le milieu financier à cause de ses principes directeurs qui sont contraires au libéralisme et ses aboutissants. Reste encore que les musulmans eux- mêmes se doivent de s’investir davantage à connaitre ce système de financement qui est par essence social et vertueux.
Fako Mouaz SOMA, Juriste Conseil