Au « Festival Ondes de Libertés », tenu en 2013 à Bamako, j’avais eu la charge de porter aux participants, le regard de l’instance de régulation des médias (CSC) sur le traitement de l’information en période de crise.
La première réaction que j’ai eue à l’approche du sujet, c’était de me demander s’il y avait une façon de traiter l’information en période de crise, et une autre façon de le faire en période de stabilité. Le journalisme serait-il alors une profession à géométrie variable ?
Je jette dans la présente analyse, le regard d’un citoyen qui a évolué dans le milieu de la presse par ‘’effraction’’, comme le disait parfois négativement, les érudits de la profession ; non pas que je crois au fétichisme du diplôme. Il y a, en effet, dans la pratique, de grands diplômés en journalisme qui ne peuvent ni produire un bon article de presse, ni rendre un bon texte.
Au-delà donc de la formation théorique, qui confère les outils de la profession, il y a un tronc commun avec les impétrants non formés dans les écoles professionnelles : la rude épreuve du terrain.
A l’observation, il y a de grands journalistes qui n’ont pas été immergés à une formation théorique de base. Je ne citerai pas certaines figures emblématiques de la presse nationale. Au plan international, il y a de grandes voies et plumes qui ont dû se soumettre au long processus de l’apprentissage sur le terrain. J’ai en mémoire feu Siradou Diallo de ‘’Jeune Afrique ‘’, dont la rigueur et l’élégance du style peuvent faire pâlir de jalousie.
Je prends toutes ces précautions préliminaires. Etant très loin de ceux que j’évoque pour solliciter l’indulgence des professionnels et des lecteurs si je venais à m’incruster dans des approximations. Le journalisme est une profession comme les autres, c’est-à-dire, encadré par des règles. J’ai en abjection l’idée de ceux qui soutiennent que n’importe qui peut être journaliste. Luc Adolphe Tiao affirmait que si tout le monde pouvait être journaliste, tous les écrivains seraient des journalistes. Je ne partage pas totalement son point de vue, parce que l’on peut avoir les aptitudes de la profession sans forcément l’aimer ou préférer des univers de métiers plus numérateurs. Mais, il y a dans son propos, une part de vérité.
En effet, les premiers essais en presse écrite ou à l’audiovisuel n’ont pas toujours été fameux, sauf pour les génies. Or, ils ne sont pas nombreux ses gifles ou ironies des rédacteurs en chef ou des patrons de presse aux débutants, beaucoup de journalistes s’en souviennent.
Bref, la digression est trop longue. Revenons à notre problématique sur le traitement de l’information en période de crise.
Respect de la vérité
Au-delà de la loi, le journaliste est tenu au respect de la vérité (qui exige un recoupement des sources), à la production de contenus respectueux de l’ordre public, au respect de la vie privée des citoyens, de la présomption d’innocence, et de l’objectivité. Je ne tiens pas, tout au moins dans l’absolu, à l’objectivité, parce qu’il y a toujours une part de subjectivité dans l’objectivité. Le journaliste est, en effet, influencé dans sa pratique professionnelle par sa sensibilité idéologique, politique, religieuse, morale, culturelle, et j’en passe. Je préfère la notion d’équilibre. Il a, en effet, le devoir professionnel d’équilibrer ses écrits ou ses propos.
A la période qui a immédiatement suivi la chute de Laurent Gbagbo, j’ai été effarouché par deux titres de journaux.
Le premier avait comme titre : « Inculpation de Laurent Gbabgo pour crimes économiques et de sang : cet homme est coupable de haute trahison, il mérite d’être jugé ».
Un autre avait intitulé son titre: « Inculpation de Laurent Gbabgo pour crimes économiques et de sang ; c’est faux de A à Z ».
De toutes les façons, il y a un manque criard d’équilibre dans les deux titres. Le journaliste est devenu juge. Il s’est arrogé le droit de remettre en cause les enquêtes préliminaires effectuées par un juge, qui a estimé les charges suffisantes pour inculper Laurent Gbabgo. Le 2e journaliste l’accuse de haute trahison. Il ne le savait peut-être pas, car la haute trahison a une définition juridique précise.
Il y a là, une première illustration des dérives de traitement de l’information en période de crise (la Côte d’Ivoire était dans une situation de crise postélectorale).
En période de crise ou sous les régimes militaires ou de transition, il y a toujours cette tendance sinon à museler la presse, du moins, à contrôler certains contenus. Il s’agit généralement d’erreurs. Ce qui est porté à la connaissance du public peut immédiatement choquer, mais perd quelque temps après, l’émotion ou la désapprobation qu’il a suscitée.
En revanche, lorsqu’une information sensible est muselée (de nos jours, pratiquement impossible, en raison de la démultiplication des canaux de communication, induite par la convergence numérique), elle prend l’effet d’une boule de neige. Cette information prend un caractère plus dévastateur.
C’est pourquoi, le journaliste ne se contente pas du contenu des communications officielles, faites généralement pour soigner des images personnelles, de dirigeants ou une situation critique. Comme le soutenait le Professeur Serge Théophile Balima, le journaliste creusera pour découvrir les dessous des affaires gênantes que l’on veut cacher au public. C’est son métier.
En revanche, le journaliste a-t-il le droit de tout publier ?
Comment traiter une information sensible, lorsqu’elle peut porter atteinte à l’ordre public, à la sécurité nationale ou à la cohésion sociale ?
Ces questionnements nous ramènent à l’éthique. Notion complexe, proche de la morale sans s’y confondre, l’éthique est la mesure du niveau auquel le journaliste tient sa responsabilité sociale. Le journaliste est, en effet, un modulateur des opinions publiques et des consciences. Une information mal traitée (ou traitée sans un sens de la mesure) peut allumer ou raviver des braisiers. Malheureusement, quand les journalistes approuvent des conflits, ils en ont toujours été les premières victimes. Même quand ils ne cherchent que la vérité des faits (c’est leur métier), ils paient parfois de leur vie. Les exemples sont légion.
Au total, en période de crise ou sous les régimes d’exception, le traitement de l’information interpelle fortement le journaliste sur l’ampleur de sa responsabilité sociale. Ce ne sont donc ni les restrictions ni les contrôles de contenus ou la simple suspension des publications qui font l’affaire, surtout quand, même sans légalité initiale, un signe peut acquérir une légitimité sociale. De même, un régime légal peut perdre, en cours de route, sa légitimité sociale.
Il n’y a donc pas de paradigmes particuliers de traitement de l’information selon que l’on est en période de stabilité ou de crise. C’est au journaliste de tenir compte du péril auquel il expose le citoyen ou la société dans la diffusion sans mesure de certaines informations.
Toute autre démarche, tendant notamment à restreindre la liberté de la presse, risquerait de tomber dans des dérives aux conséquences plus dévastatrices.o
TIONON K. Justin,
Chevalier du mérite des Arts, des Lettres et de la Communication