• Entre opportunisme et calculs
• La primauté des ambitions personnelles
• Que reste-t-il de la crédibilité des leaders ?
Le renversement du régime du Président Roch Marc Christian Kaboré, le 24 janvier 2022, a bouleversé les plans de bon nombre de leaders politiques. Même si certains, du fond de leur pensée, souhaitaient un changement à la tête de l’Etat, au regard du brouillard d’incertitudes instauré par le péril terroriste, ils ont vu leurs rêves s’écrouler comme un château de cartes. Les vagues de démissions qui se succèdent dans les partis politiques depuis le début de l’année cachent mal bien des stratégies de positionnement après la parenthèse de la Transition. A tout le moins, l’ego et les intérêts personnels éclipsent pour le moment les convictions.
Bon nombre d’observateurs de la scène politique burkinabè étaient unanimes à reconnaitre que le pays était dans une sorte d’impasse, au regard de l’ampleur du terrorisme. Mais ils étaient sceptiques quant à une prise du pouvoir par la force. A commencer par certains leaders politiques qui ont été pris de court par les évènements du 24 janvier 2022, avènement du coup d’Etat du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR). Sachant que tout est mouvant sur le terrain politique, beaucoup ont vite fait de démissionner de leur parti politique et d’en créer de nouveaux. Cette période d’exception a littéralement rebattu les cartes, ce qui suppose qu’il faut travailler à se repositionner pour ne pas être surpris. Que ce soit l’ex-parti au pouvoir, le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP) ou d’autres formations politiques, les démissions sont presque quotidiennes en cette période de transition. Il serait inconcevable de se laisser surprendre par le temps pour se mordre les doigts après. La durée de la Transition étant connue, il faut se hâter pour se mettre en posture idéale au moment opportun. Au fond, ce branle-bas a remis au goût du jour les petites rivalités qui avaient été tues. Comme le gâteau a échappé aux puissants d’hier, que faut-il attendre encore ? Il faut guetter les opportunités ailleurs. Pour certains leaders, l’occasion leur est offerte de se venger du mépris d’un compagnon de lutte qui faisait le paon hier. L’on préfère créer son petit parti pour espérer faire allégeance à celui qui aura les faveurs des pronostics.
Ce qui importe dans cette valse de démissions et de création de partis politiques, c’est moins l’intérêt général que les ambitions personnelles que l’on veuille mettre en avant. L’introspection que l’on s’attendait à voir de la part de bon nombre de leaders politiques quant à leurs responsabilités dans le balbutiement du processus démocratique au Burkina n’a pas été au rendez-vous. L’appréhension de la crise sécuritaire multidimensionnelle, qui veut désagréger la Nation, n’est plus une priorité. Il faut penser à sa propre existence avant de se pencher sur le grand corps malade. Du moins, il faut être aux affaires pour mieux décider. Ce qui irrite le plus dans ces mutations, c’est le sort réservé à ceux qu’on appelle militants de base, c’est-à-dire, le petit peuple qu’on convoie par cars dans les meetings, lors des campagnes électorales. Le plus souvent, c’est à la surprise générale qu’ils apprennent que leur mentor pour qui ils déchiraient les cordes vocales en scandant son nom a pris ses clics et ses clacs du parti pour aller voir ailleurs. Sans un minimum de gratitude, le leader qu’on applaudissait hier tourne casaque sans crier gare. Le sens des scrupules va le visiter au moment opportun, quand l’échéance électorale sera proche ; puisque pour bon nombre de leaders, le militant de base n’est qu’un bétail auquel l’on recourt à une occasion précise. Dans leur conception, le militant de base ou le peuple est, selon l’expression du Pr Jacques Nanema, « soit une masse informe, indistincte, anonyme et sans identité claire, sans personnalité précise (c’est tout le monde et personne à la fois), soit un fantôme, un être sans corps, inconsistant, vaporeux et irréel, une pure abstraction qu’on invoque pour faire peur aux adversaires politiques. » Alors, pourquoi tenir compte de l’avis d’une composante à l’identité floue devant la réalisation de l’ambition personnelle ?
Cette volonté à maintenir sa présence vaille que vaille sur la scène publique effrite une fois le peu de crédibilité que l’on accordait à la classe politique. A force de noyer les valeurs et les convictions dans le lit des intérêts égoïstes, l’on en est venu à coller une image caricaturale à la figure politique. Aux yeux de nombreux citoyens, il est l’imposteur et l’opportuniste prêt à retourner toute situation en sa faveur. Il serait un individu, sous le prétexte fallacieux d’un engagement au service de l’intérêt général, qui se pare de bonnes intentions, fait parler de lui, pour juste assouvir ses ambitions personnelles.
Jérôme HAYIMI
Encadré
Le tango de l’ego
A qui imputer cette perte de crédibilité des leaders politiques ? Naturellement, à la classe politique qui a toujours été incapable de transcender ses propres vues pour penser Nation, communauté de destin. Cette méfiance vis-à-vis de l’homme politique n’augure rien de bon pour l’avenir d’un pays qui est à la croisée des chemins. Selon son origine grecque, le mot crise désigne « une décision, un jugement », un moment clé où l’on doit se décider pour changer le cours des choses. Mais à observer les agissements des différents acteurs politiques, l’on est bien loin de cet effort de sursaut patriotique qui est attendu d’eux en ce moment charnière de l’histoire du pays des Hommes intègres. Pendant que le mal s’enracine, la lucidité attendue de leaders a été éclipsée par une myopie patente. Et pourtant, cette crise aurait permis à certains de se réhabiliter aux yeux de l’opinion, mais hélas, le tango de l’ego et des calculs se poursuit allègrement.