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Audit de l’administration publique: le REN-LAC prudent sur la collaboration de l’armée

Sagado Nacanabo, Secrétaire exécutif du Renlac. (DR)

L’Economiste du Faso : L’Audit de l’administration publique est lancé. En attendant les premiers résultats, quel est la position du Renlac sur cette mesure ?
Sagado Nacanabo, Secrétaire exécutif du Renlac : Cela fait partie de nos préoccupations et nous trouvons que c’est une bonne chose de l’avoir fait. Mais, on sera encore plus satisfait après les résultats, lorsqu’on verra que l’audit a été bien fait ; vu l’ampleur des services qui sont à auditer et vu la faiblesse de la structure chargée de les conduire, ce n’est pas gagné d’avance. Mais c’est une bonne chose de faire des audits. A la fin d’un gouvernement démocratiquement élu, on est dans un régime de transition, donc cela va de soi. Quand tu viens dans une maison pour la première fois, tu viens trouver qu’elle a été balayée et tu connais l’état des lieux dans lequel tu t’installes. C’est bien également pour les partants que l’on puisse auditer leur gestion pour voir si elle est clean ou s’il y a des fautes et s’il y a des recommandations à faire, ainsi, les nouveaux arrivants sauront comment se pourvoir. Cela ne pose pas de problème à notre niveau. Nous avons déjà dit à l’ASCE-LC notre soutien, tout ce que nous pouvons faire pour les soutenir pour la réussite de leurs actions, nous sommes prêts à le faire.

De l’autre côté, on sait que l’ancien régime, juste avant de tomber, avait annoncé une opération mains propres, n’était-il pas plus conséquent de vider les dossiers presque bouclés du point de vue administratif et des enquêtes préliminaires ?
Ça ne nous pose pas un problème, parce que l’un n’empêchant pas l’autre. Le fait d’engager des audits, normalement, cela n’a pas d’incidence sur la mise en œuvre des recommandations déjà prises ou des opérations déjà en cours, en ce sens que ce ne sont pas les mêmes acteurs. Même du point de vue temporel, ça ne change pas les agendas. Donc, on peut mener tout ça de front sans qu’il y ait d’inquiétude à se faire.

Cela nécessitera néanmoins plus de moyens ?
Cela nécessite plus de moyens si on fait l’un après l’autre. Mais les audits, plus ça traine après les avoir annoncés, plus leur réalisation va se multiplier. Quelqu’un qui est prévenu 1 mois à 3 mois à l’avance qu’on va venir auditer au service, s’il y est toujours, le premier réflexe sera de chercher à rattraper là où il est sûr d’avoir commis des imperfections. Il va chercher des pièces pour pouvoir se mettre en règle par rapport à certains dossiers ou à faire disparaitre certaines choses qui ne sont pas très présentables. Logiquement, pour certains audits de gestion, il n’aurait pas fallu dire très longtemps à l’avance qu’on va les faire, jouer sur l’effet de surprise pour collecter les pièces et aller les contrôler. Il y a des audits qu’on peut faire sans prévenir les intéressés. En dehors de cela, nous pouvons dire que vu l’intérêt de l’audit, et vu la probabilité que certains acteurs ne cherchent à dissimuler des choses, il y en a qui sont toujours sur place. Quoi qu’on dise, les vrais opérationnels n’ont pas bougé. En réalité, ce sont les politiques qu’on a bloqués un certain temps et ensuite, on les a mis en liberté. Mais ceux qui mènent les opérations, les comptables et autres, ils sont toujours en place. Donc s’il y a quelque chose que le patron avait fait avant et qu’on veut arranger, on peut le faire. Il faut aller vite et bien.

Mais pour ces opérations qui commencent, ils n’ont pas donné de terme, c’est vrai qu’un audit, on sait quand on commence, mais on ne sait pas quand est-ce qu’on finit ?
Le délai est difficile à donner. La principale raison est que ces audits ne sont pas prioritaires par rapport à la question sécuritaire. C’est vrai qu’on veut des services propres mais on veut d’abord être en vie, on veut s’assurer qu’on peut dormir tranquille et se réveiller pour aller faire ces audits. Ça, c’est une inconnue, mais en plus, la faiblesse numérique des ressources humaines de l’ASCE-LC vient compliquer les choses. Lorsqu’elle veut faire recours à des ressources humaines extérieures, c’est difficile à coordonner tout cela. Même pour se concerter après et donner les résultats, tout cela va jouer sur les durées de telle sorte que je pense que ça va prendre du temps.
Nous avons déjà des travaux avec l’ASCE-LC pour d’autres structures qui sont même proches quelquefois, mais pour coordonner les emplois du temps et les agendas, vous pouvez facilement faire une semaine pour quelque chose que vous aurez pu faire en 3 jours. Donc, le travail pourrait trainer, sans compter que certaines personnes auditées peuvent y mettre de la mauvaise volonté pour répondre.

On a vu qu’il y a des institutions qui ont été ciblées, comme la Présidence du Faso, l’Assemblée nationale, la Primature, le ministère des Mines. N’y a-t-il pas un risque de chasse aux sorcières, quand on sait que c’étaient les poids lourds du régime passé qui occupaient plus ou moins ces départements ?
Je ne sais pas comment l’audit peut se transformer en chasse aux sorcières, parce que normalement, l’auditeur qui vient pour examiner la situation n’a pas un pouvoir de gendarme, de police ; il vient pour examiner la gestion, l’organisation. Il ne contrôle que des pièces qu’on lui donne. Il peut réclamer des pièces, mais normalement, il y a des manuels de procédure. Il y a de bonnes pratiques qui sont reconnues par tous et de tous. L’audit n’a pas la qualité de police pour inquiéter quelqu’un.

N’est-ce pas ça aussi qui peut créer un couac dans la communication sur les audits, parce qu’aujourd’hui, quand tout le monde en parle, on se dit qu’il y a des têtes qui vont tomber ?
Les gens pensent automatiquement que quand il y a audit, on va épingler quelqu’un ou bien on va embarquer quelqu’un pour l’emmener quelque part ; comme généralement, l’audit constate et recommande, ça ne doit pas aller au-delà de cela. Maintenant, celui qui sait qu’il a fait quelque chose a peur d’avance, à moins que ça ne soit des auditeurs incompétents, puisqu’il se dit qu’ils vont trouver le trou qu’il a creusé et il aura des problèmes.
Celui-là a mille raisons de s’inquiéter. Sinon auditer les services devrait devenir quelque chose d’anodin, de normal, de courant comme au REN-LAC ici, chaque année. Ce sont des partenaires qui nous donnent les fonds pour fonctionner et chaque année, ils nous auditent et on doit montrer la preuve que nous sommes clean avant de pouvoir même prétendre à d’autres financements. C’est ça qui devrait être la règle, et les recommandations qu’on nous fait nous permettent chaque année de nous améliorer. Il y a des recommandations sur lesquelles on peine des années sans pouvoir s’en sortir, c’est en ce moment qu’on se rend compte qu’avoir un manuel de procédure, c’est bien, mais le respecter c’est encore mieux. Donc, les audits, ça ne doit faire que du bien, aussi bien à ceux qui sont partis et qui n’auront plus l’occasion de s’exprimer, sauf quand ils seront épinglés ; parce qu’une fois que ces audits vont les blanchir, on ne pourra pas fabriquer des trucs et leur coller ça après. Pourtant, s’ils partent dans le silence, on peut tout dire sur eux.

On a vu que dans le cadre de l’exécution de ces audits-là, l’ASCE-LC a fait un communiqué pour appeler les populations à dénoncer, à porter les cas de délation, de corruption dans l’investissement illicite, n’est-il pas maladroit qu’une autorité appelle publiquement de cette façon-là ?
Peut-être que c’est pour inciter, parce que le contexte s’y prête. On va certainement faire le point dans ces jours pour voir s’il y a eu des effets. Je pense que la dénonciation manque au Burkina, à ne pas confondre avec la délation, parce que la délation, c’est quelque chose qui n’est pas bien, alors que la dénonciation, c’est censé dénoncer une mauvaise pratique. Par exemple, dénoncer un fait de corruption, à moins que ça ne soit une dénonciation calomnieuse, et là aussi, c’est prévu et puni par la loi. Si vous avez fait une fausse dénonciation, il y a des dispositions de la loi qui vont permettre de vous poursuivre. Donc, appeler à dénoncer, au niveau du REN-LAC, on ne trouve pas que c’est une mauvaise chose. Il nous est arrivé même de faire des spots pour inviter les citoyens à utiliser notre numéro vert quand à un moment donné, on a senti qu’il était moins utilisé.
Il y a une année où nous n’avons eu que 4 dénonciations. Donc, ça ne correspondait pas à la réalité du terrain. Il a fallu faire une campagne pour que les gens dénoncent. Pour moi, le contexte de la Transition est un bon contexte pour dire aux gens sortez de votre torpeur, soyez à l’aise, rien ne vous arrivera, dénoncez et on va gérer.

Pour vous, les dénonciations sont plutôt des actes citoyens, quand elles sont documentées avec des devis de preuves…
Oui, dénoncer un mauvais fait ; un citoyen devrait se sentir obligé normalement quand il a été témoin d’une corruption. Il devrait se sentir obligé s’il ne veut pas être jugé complice de cette situation, il devrait dénoncer automatiquement. Sinon, il est au courant et il a laissé faire, il a protégé le corrompu ou le corrupteur, ce n’est pas bon pour un citoyen.

L’ancien régime a suscité un rapport sur le drame d’Inata, aujourd’hui, l’ASCE-LC, dirigée par Ibriga, a eu du mal à auditer l’armée, finalement, auditer l’armée tel que annoncé par la nouvelle Direction de l’ASCE-LC sera-t-il une réalité quand un simple rapport administratif est étouffé ?
En tout cas, ce n’est pas donné d’avance. Même si le Contrôleur général est nouveau, la plupart des contrôleurs ont l’expérience du travail et j’allais dire d’investigations dans les casernes. J’ai eu l’occasion de discuter avec certains contrôleurs qui ont eu à travailler avec les intendants militaires. Il y a ce qu’on dit et ce qu’on fait. Un intendant peut refuser, par exemple, de vous donner une information ou une communication, sans explication et je puis dire qu’il n’y aura rien. Vous pourrez juste mentionner dans votre rapport qu’il a refusé de donner. Mais ça ne va pas aller plus loin que ça, parce qu’avec l’armée, la discipline faisant leur force comme ils le disent eux-mêmes, il y a comme des sortes de couverture qu’ils peuvent se faire. Quand on regarde le cas d’Inata, qui était clair, il y a des choses qu’on ne peut plus venir changer, on ne peut pas venir dire que ces gens n’étaient pas affamés, on ne peut pas venir dire que leur relève n’était pas dépassée. Ils ont dépassé leur temps. On ne peut pas venir dire, passer par la route pour aller à Djibo était devenu dangereux pour eux. Ce sont des choses qui sont déjà connues et pourquoi ce rapport rejeté une première fois a été repris et on ne pipe mot ? Alors que probablement, ce sont les acteurs de la chose qui vont être aussi les rapporteurs, parce que je ne me souviens pas si c’est une Commission d’enquête indépendante, ce n’est pas une Commission extérieure ; c’est l’armée qui le fait. C’est quelqu’un qui a fait quelque chose et qui explique ce qu’il a fait. Donc logiquement, ce que nous constatons aujourd’hui, il n’y a rien de plus anormal que ça et cela fait douter comme vous le dites si bien de l’efficacité du contrôle qui est annoncé. Il faut en être conscient pour ne pas avoir des illusions. Dans l’armée, s’ils décident de se couvrir, les contrôleurs ne verront que du feu.
Entretien réalisé par Abdoulaye TAO
Retranscription , Flora SANOU (Stagiaire)

 

Encadré

« Nous avons en vue d’avoir une loi qui protège les lanceurs d’alertes »

Nous sommes dans une période de transition avec des piliers qui est l’amélioration de la gouvernance tant financière qu’administrative, vous en tant qu’activiste de la lutte anti- corruption, promoteur de la bonne gouvernance, entend s’adapter à cette période en termes de programme, d’actions anti-corruption… 
« Nous venons de finir d’écrire un plan stratégique 2021-2025. On était en phase de mise en œuvre. Aujourd’hui, on est obligé de revoir certaines prévisions, parce que les données ont changé. Il y a plus d’ouverture sur certains chantiers, parce que les blocages institutionnels (politique partisane) seront levés, les demandes d’informations devront rencontrer moins de blocage, parce que ce n’est pas la même chape de plomb qu’on peut poser sur tous les services et surtout que les acteurs vont changer, prenons le cas de l’Assemblée ; on va se retrouver avec une Assemblée très composite avec des acteurs venant d’horizons très différents. Nous reformulons beaucoup de projets qu’on avait fait pour nous adapter et pour aussi tenir compte du fait qu’en période de transition, il y a des choses beaucoup plus faciles à faire. Pour donner un seul exemple, nous avons essayé la loi anti-corruption pendant des années consécutives à régime constitutionnel normal et on n’a pas réussi et en une année de transition, on a eu la loi ; nous allons faire des propositions, ce qui me vient en tête tout de suite, nous avons en vue d’avoir une loi qui protège les lanceurs d’alertes.
Nous allons mettre à profit cette période pour voir si on ne va pas réussir à avoir cette loi, parce que vers la fin du régime Kaboré, on a vu qu’on avait commencé à arrêter les lanceurs d’alertes, à les inquiéter pour faire le silence. Et comme on le dit, quand on commence à inquiéter les gens pour leur publication sur Facebook, leur email, c’est qu’on veut bloquer leur liberté.
Donc nous, nous savons que pour lutter contre la corruption, on a besoin d’informations et la liberté de presse et d’expression est très importante. Nous allons donc essayer d’avoir une amélioration des textes en matière de protection des lanceurs d’alertes et aussi améliorer au niveau de la Justice, le statut des acteurs des pôles ECOFI.
Les acteurs des pôles ECOFI sont des acteurs spécialisés. Ils sont formés pour ça, mais lorsqu’ils reviennent dans les services, ils continuent à exécuter les tâches comme tout autre magistrat, alors que poursuivre les crimes économiques, ce n’est pas la même chose que poursuivre les voleurs de chèvre, ce n’est pas la même chose que juger les crimes involontaires des accidents de circulation.
Donc, il y a beaucoup plus de pression, de menace et d’intimidation, beaucoup plus de risques et normalement, on devrait pouvoir avoir un statut particulier et même un plan de carrière de telle sorte que les magistrats qui s’engagent dans ces pôles soient un peu rassurés et libres de leurs actions. Si je le dis, c’est parce que certains d’entre eux ce sont confiés à nous et on a vu comment d’autres sont venus et sont partis. Ils ont démissionné. Ils ont quitté les pôles ECOFI parce que d’abord, ça ne leur apporte rien, en matière d’expérience, ça ne leur rapporte rien, n’en parlons pas de bénéfice financier.
Donc, nous pensons que ce que nous proposons sans succès depuis sera accepté. Il y a certains qui sont disposés à travailler dans les pôles ECOFI, à condition qu’ils ne soient pas abandonnés à leur propre sort. Un jour, il y a un juge d’instruction de pôle ECOFI qui a dit : tu vois comment tu es arrivé dans mon bureau, si quelqu’un arrive ici avec un pistolet. C’est la même chose, on n’est pas protégé, donc, ce n’est pas motivant », a affirmé Sagado Nacanabo.

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